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Ils avaient parfois l’impression d’être confinés dans un hôtel sans issues, sans balcons. D’où un sentiment d’oppression grandissant. Quatre mois avaient passé, mais ils n’étaient même pas encore à mi-chemin. Et ce n’étaient pas la routine quotidienne ou leur environnement physique savamment conçu qui pouvaient accélérer leur voyage.

Un matin, la seconde équipe de vol affrontait un nouveau problème d’Arkady, quand plusieurs écrans passèrent en alerte rouge.

— Une éruption solaire a été détectée par le circuit de surveillance ! annonça Rya.

Arkady se redressa aussitôt.

— Ce n’est pas moi !

Il se pencha sur l’écran le plus proche, leva les yeux et sourit en rencontrant les regards sceptiques de ses collègues.

— Désolé, les copains. Cette fois, le coup est authentique.

Un message urgent de la base de Houston le confirma. Il avait pu inventer ça aussi mais, simulation ou non, ils étaient forcés de suivre.

En fait, une éruption solaire majeure avait déjà fait partie de leurs exercices. Chacun connaissait son poste, ce qu’il devait faire et, pour quelques-uns, le plus rapidement possible. Ils plongeaient déjà dans les torus en jurant et en essayant de ne pas se gêner les uns les autres. Ils avaient de nombreuses tâches à accomplir, et la mise en place des panneaux de protection, à peine automatisée, était complexe. Janet, qui poussait les bacs à plantes vers l’abri végétal, s’écria soudain :

— Est-ce que c’est encore un exercice d’Arkady ?

— Il prétend que non !

— Merde !

Ils avaient quitté la Terre durant la période basse du cycle solaire de onze années afin de réduire le risque de la rencontre avec une déflagration solaire. Et il leur en arrivait une. Ils n’avaient qu’une demi-heure avant que la première vague de radiations déferle, et guère plus d’une heure ensuite pour se protéger des rayonnements les plus durs.

Les alertes dans l’espace pouvaient être aussi évidentes qu’une explosion, ou aussi intangibles qu’une équation. Mais le danger était sans rapport avec l’évidence ou l’intangibilité. Jamais ils ne percevraient le vent de particules qui allait souffler sur le vaisseau et, pourtant, c’était un des pires dangers qu’ils couraient. Ils le savaient tous. Ils fonçaient de torus en torus pour abaisser les panneaux, couvrir les plantes ou les déplacer vers des zones de sécurité. Ils regroupaient la volaille, les cochons et les vaches pygmées avant de les diriger vers les abris prévus. Il fallait rassembler les graines aussi bien que les embryons surgelés, blinder les composants électroniques sensibles, et parfois les démonter. Et quand enfin ils eurent fini, ils se halèrent dans les rayons, en direction du puits central, aussi vite qu’ils le pouvaient, et se laissèrent glisser vers l’abri solaire, qui était situé exactement à l’extrémité du puits.

Hiroko et son équipe de biosphère arrivèrent les derniers et refermèrent le sas vingt-sept minutes après le déclenchement de l’alerte. Ils dérivèrent en apesanteur, essoufflés, écarlates.

— Ça a déjà commencé ?

— Non, pas encore.

Ils prirent des dosimètres sur un panneau velcro et les fixèrent sur eux. Les autres étaient déjà installés dans le demi-cylindre, le souffle court, soignant leurs égratignures et quelques bleus. Maya ordonna l’appel et fut soulagée d’en compter cent.

Évidemment, la salle était comble. Depuis des semaines, jamais ils ne s’étaient retrouvés rassemblés, et la plus vaste des salles du vaisseau n’aurait pas été suffisante. Ils étaient dans un réservoir, dans la partie centrale du moyeu. Les quatre réservoirs qui les entouraient étaient remplis d’eau, et celui dans lequel ils étaient avait été divisé dans le sens de la longueur, l’autre partie faisant fonction de bouclier, remplie de métaux lourds. La partie plate de ce demi-cylindre constituait le « plancher » de leur abri, qui avait été monté sur des rails circulaires, ce qui lui permettait de se maintenir en rotation pour contrebalancer celle du vaisseau, tout en gardant le bouclier de métaux lourds entre le soleil et eux.

Ils flottaient donc dans un volume stable, alors même que la paroi du réservoir était en rotation de quatre tours par minute, comme d’habitude. Le spectacle était assez particulier. En apesanteur, à l’approche de la nausée, certains avaient l’air inquiet. Les malheureux s’étaient regroupés au fond de l’abri, près des toilettes. Afin de les aider à prendre leurs repères, tous les autres s’étaient orientés par rapport au sol de l’abri. Ainsi, les radiations leur arrivaient droit sous les pieds. Pour la plus grande part, des rayons gamma qui avaient réussi à s’infiltrer dans les masses de métaux lourds.

Maya résista à l’impulsion de serrer les genoux. Les autres, autour d’elle, se laissaient dériver, ou bien enfilaient des pantoufles velcro pour se déplacer sur le « plancher ». Ils parlaient à voix basse et retrouvaient d’instinct leurs voisins, leurs amis, leurs partenaires. Toutes les conversations étaient assourdies. Ils étaient dans un cocktail, mais quelqu’un avait dit que les amuse-gueule étaient empoisonnés.

Arkady et Alex étaient penchés sur les moniteurs, à l’autre extrémité de l’abri, et John Boone s’approcha d’eux dans le scritch-scratch de ses pantoufles velcro. Il appuya sur une touche et le taux des radiations extérieures apparut soudain sur le grand écran.

— Voyons combien on déguste ! fit-il d’un air excité.

Des grognements s’élevèrent.

— C’est vraiment nécessaire ? s’exclama Ursula.

— Il vaut mieux le savoir. Et je veux vérifier aussi si cet abri est vraiment efficace. Celui du Rust Eagle était à peu près aussi fiable que la petite serviette que le dentiste vous met autour du cou.

Maya sourit. Il était rare que John rappelle qu’il avait été exposé à un taux de radiations plus élevé que quiconque – plus de 160 rems au cours de toute son existence, ainsi qu’il répondait dès qu’on lui posait la question. Sur Terre, on recevait un cinquième de rem par année et, dans une station orbitale, en dépit de la magnétosphère, ça grimpait à 35. John avait reçu une dose extrêmement élevée, ce qui, d’une certaine façon, lui donnait le droit d’afficher les prélèvements extérieurs s’il le voulait.

Ceux qui étaient intéressés – plus de la moitié – se regroupèrent derrière lui pour observer l’écran.

Les autres se réfugièrent à l’autre extrémité de l’abri, avec ceux qui luttaient contre leur malaise. Apparemment, ils ne tenaient pas du tout à savoir combien de radiations ils avaient encaissées. À cette seule idée, ils pouvaient craquer.

Et la déflagration les atteignit de plein fouet. L’indicateur de radiations grimpa bien au-dessus du taux normal avant de filer brusquement vers le haut. Ils retinrent tous un sifflement, mais on entendit quelques exclamations étouffées.