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Maya dérivait, les bras étendus, tournant très lentement sur elle-même, essayant de discerner un sens dans le schéma complexe de ses émotions. Elle cligna des yeux et de petites sphères de larmes montèrent vers les étoiles.

La porte du sas s’ouvrit. John Boone entra, la vit, et agrippa la poignée pour se retenir.

— Désolé, Maya. Je peux me joindre à toi ?

— Non. (Elle renifla en se frottant les yeux.) Qu’est-ce que tu fais ici à cette heure ?

— Je me lève souvent très tôt. Et toi ?…

— J’ai fait de mauvais rêves.

— À propos de quoi ?

— Je ne m’en souviens pas vraiment.

Mais le visage lui revenait à l’esprit.

Il flotta dans sa direction.

— Moi non plus, je n’arrive jamais à me rappeler mes rêves.

— Jamais ?

— Disons rarement. Si je me réveille, et si j’ai le temps d’y penser, j’arrive parfois à m’en souvenir.

— C’est normal. Ce qui est mauvais, c’est de ne jamais se souvenir d’aucun rêve.

— Vraiment ? Et c’est le symptôme de quoi ?

— Je crois que c’est un refoulement complet. (Elle s’était laissée dériver vers le côté et revint vers John.) Mais c’est peut-être du Freud pur et dur.

— Tu veux dire que c’est de la phlogistique[7].

Elle rit.

— Oui, exactement.

Ils se turent et contemplèrent Mars en se désignant l’un l’autre les points de repère. Puis ils bavardèrent. Maya l’observait. Il était trop beau, trop bien. Ça n’était pas le genre d’homme qu’elle pouvait aimer. Toujours de bonne humeur : elle avait longtemps pris cela pour de la stupidité, tout au moins au début. Mais, durant le voyage, elle avait compris qu’il n’en était rien.

— Qu’est-ce que tu penses de toutes ces discussions à propos de ce que nous devrions faire ? demanda-t-elle.

— Je ne sais pas.

— Je pense que Phyllis a marqué des points.

Il haussa les épaules.

— Je ne crois pas que ce soit important.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Dans une discussion importante, ce qui compte, ce sont les argumentations des gens : X prétend a, Y prétend b. Ils se disputent pour défendre leurs points de vue. Mais quand leur public se souvient de leur discussion, seul importe que c’est X qui pense a et que Y pense b. Les gens se font leur conviction à partir de ce qu’ils pensent de X ou de Y.

— Mais nous sommes des scientifiques ! Nous avons été formés à mettre en doute l’évidence.

Il acquiesça.

— Exact. En fait, vu que je t’aime bien, je te concède ce point.

Elle rit en le repoussant, et ils plongèrent vers le bas du dôme.

Maya, surprise de son geste, ne s’arrêta que sur le sol. En se retournant, elle vit que John était resté au centre et qu’il la regardait avec un sourire. Puis il prit appui sur une rambarde, s’élança dans les airs, et traversa le dôme dans sa direction.

Maya comprit aussitôt et, oubliant sa résolution d’éviter ce genre de chose, elle se projeta vers lui. Ils arrivaient droit l’un vers l’autre et, afin d’éviter une collision douloureuse, ils se saisirent en plein vol, comme dans une danse acrobatique.

Ils se mirent à tourner, les mains jointes. Ils flottaient en spirale vers une issue aussi limpide qu’évidente. Maya sentait son pouls s’accélérer, et son souffle était devenu brûlant. Ils s’embrassèrent.

Avec un sourire, John se détacha d’elle et l’envoya valser doucement vers le sommet du dôme tandis qu’il redescendait vers le sol. Là, il rampa jusqu’à l’écoutille d’accès qu’il verrouilla.

Maya démêla ses cheveux et secoua la tête d’un mouvement vif en riant. Non, ce ne serait pas un moment d’amour sublime et inoubliable, mais simplement un moment de plaisir, et cette impression de simplicité était… Un désir brutal l’envahit, elle s’élança vers John. Elle exécuta un double saut périlleux tout en faisant glisser le zip de sa combinaison, dans le tam-tam et les timpani de son cœur, la peau embrasée. Elle se déshabillait avec le sentiment de fondre, se heurta à John, dériva loin de lui, ils rebondirent encore en se défaisant de leurs combinaisons. Enfin, contrôlant leur vol, ils se rapprochèrent lentement l’un de l’autre, et leurs lèvres les soudèrent dans la spirale d’une étreinte aérienne.

Ils se revirent les jours suivants. Ils ne firent aucun effort pour garder leur liaison secrète et, très vite, ils devinrent un couple public qui surprit beaucoup de leurs compagnons de voyage. Maya, en entrant un matin dans le réfectoire, saisit un bref regard de Frank, qui la glaça. Elle se rappela un autre incident, dans d’autres circonstances, et elle préféra ne pas réveiller dans son esprit ce que pouvait évoquer ce regard.

Mais la plupart semblaient trouver le couple plaisant. Après tout, c’était une sorte d’union royale, l’alliance des deux puissances qui dirigeaient la colonie, ce qui signifiait une certaine harmonie. Bien sûr, cette union semblait en catalyser un certain nombre d’autres, qui sortaient de l’ombre ou qui s’affichaient plus franchement.

Vlad et Ursula, Dmitri et Elena, Raul et Marina – les nouveaux couples se montraient un peu partout et les plaisanteries agacées se multipliaient. Mais Maya avait l’impression que la tension diminuait, de même que les querelles, et que les rires revenaient.

Une nuit, alors qu’elle réfléchissait à un moyen de se glisser discrètement jusqu’à la chambre de John, elle se demanda ce qui les avait rapprochés. Pas l’amour : elle ne l’aimait toujours pas, elle n’éprouvait que de l’amitié à son égard, plus un désir aussi fort qu’impersonnel. Non, en vérité, ils s’étaient trouvés parce que c’était utile. Utile pour elle… Mais elle s’arracha à cette idée pour se concentrer sur l’expédition. Oui, leur couple était politiquement utile. Comme à l’époque féodale, dans les anciennes comédies de régénération, de renouveau printanier. Elle semblait réagir à des pulsions plus fortes que son désir, comme si elle obéissait à un pouvoir supérieur. Peut-être était-ce Mars. Une idée qui était loin d’être déplaisante.

Quant à estimer qu’elle avait acquis un moyen de pression vis-à-vis d’Arkady, de Frank ou d’Hiroko… Elle réussit à rejeter cette idée. Ce qui était un de ses talents.

Le jaune, l’orange et le rouge s’épanouissaient sur les parois du vaisseau. Mars avait à présent la moitié de la taille de la Lune. Le temps de récolter le prix de leurs efforts approchait. Dans une semaine au plus, ils y seraient.

La tension persistait pour l’attribution des postes pour la manœuvre de débarquement. Et, à présent, Maya avait plus de difficulté à travailler avec Frank. Ça n’était pas encore une gêne, mais elle prit conscience que leur incapacité à contrôler cette situation ne lui déplaisait pas. Les désaccords étaient surtout suscités par Arkady, et ainsi, la faute incombait plus à Maya qu’à lui. Plus d’une fois, en sortant d’une réunion avec Frank, elle était allée trouver John en espérant quelque secours de sa part. Mais John se tenait à l’écart des débats et soutenait toutes les propositions de Frank. Les conseils qu’il donnait en privé à Maya étaient assez avisés, mais l’ennui, c’était qu’il aimait bien Arkady et ne supportait pas Phyllis. Donc, il lui conseillait souvent de soutenir les propositions d’Arkady, sans paraître se rendre compte que cela sapait l’autorité de Maya dans le groupe russe. Pourtant, jamais elle ne le lui fit remarquer. Amants ou non, il existait encore des sujets qu’elle ne voulait pas aborder, avec lui ou avec quiconque.

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7

Le phlogiston était un fluide que des chimistes du XVIIIe siècle avait imaginé pour expliquer la combustion. (N.D.T.)