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Dans cette cité, Coyote fut reçu comme partout, avec effusion. Peu importait que le refuge fut ou non exposé. Il s’installa dans un coin du garage principal, au bord du cratère, et se lança dans un échange animé de marchandises : stocks de semences, logiciels, ampoules, pièces détachées et petit outillage. Mais, auparavant, il avait consulté longuement leurs hôtes et s’était lancé dans des négociations auxquelles Nirgal ne comprenait rien. Puis, après une brève visite du fond du cratère, sous le dôme violet scintillant, où la population ressemblait de façon surprenante à celle de Zygote, ils reprirent leur route.

Entre deux refuges, les explications de Coyote à propos de ses marchés n’étaient pas réellement évidentes.

— Ce que je fais ? Je sauve ces gens de toutes ces ridicules notions économiques qui sont les leurs ! Une économie de donation, c’est très bien, mais elle n’est pas suffisamment organisée par rapport à notre situation. Il existe certains biens essentiels dont tout le monde doit disposer, et par conséquent les gens doivent donner, c’est juste ?… J’essaie de mettre sur pied un système rationnel. À vrai dire, c’est Vlad et Marina qui travaillent là-dessus, et moi, j’essaie de le rendre effectif, ce qui veut dire que j’essuie tous les reproches.

— Et ce système ?…

— C’est un truc à double voie : les gens peuvent avoir tout ce qu’ils veulent, mais on attribue des valeurs aux choses de première nécessité et elles sont distribuées selon les besoins. Mais, bon Dieu, si tu savais tous les conflits auxquels j’ai été mêlé. Les gens sont complètement stupides, parfois. Je fais tout mon possible pour que ça donne une écologie stable, comme dans les systèmes d’Hiroko, avec chaque refuge remplissant sa propre niche tout en fournissant sa spécialité, et qu’est-ce que je récolte ? Des injures ! Quand j’essaie de verrouiller le gaspillage, je me fais traiter de brigand, et quand je veux arrêter la thésaurisation, je suis un fasciste. Quelle bande d’idiots ! Qu’est-ce qu’ils compter faire, étant donné qu’aucun refuge n’est autonome et que la moitié sont paranos ? (Il eut un soupir dramatique.) Mais, malgré tout, on progresse. Christianopolis fabrique des ampoules, Mauss Hyde fait évoluer de nouvelles variétés de plantes, comme tu l’as vu, et Bogdanov Vishniac construit tout ce qu’il existe de gros sur cette planète : des barres pour les réacteurs, des véhicules furtifs et la plupart des grands robots. Zygote produit des instruments scientifiques, et ainsi de suite. Et moi, je suis chargé de redistribuer tout ça.

— Tu es le seul à le faire ?

— Presque. Si l’on excepte les éléments critiques, les refuges peuvent fonctionner en autarcie, à vrai dire. Ils ont leurs programmes, leurs semences, les fournitures de base. Et puis, il est important qu’il n’y ait qu’un minimum de gens qui connaissent la situation des refuges clandestins.

Tandis qu’ils avançaient dans la nuit, Nirgal digéra lentement les implications de ce que venait de lui dire Coyote. Qui s’était lancé dans un discours sur les normes du peroxyde d’hydrogène et de l’azote selon le nouveau système mis au point par Vlad et Marina. Nirgal avait du mal à suivre, d’une part parce que ces concepts étaient complexes et aussi parce que Coyote émaillait ses explications de vindictes à propos de certains refuges qui lui causaient des difficultés. Nirgal décida d’interroger directement Sax ou Nadia quand ils seraient de retour à Zygote et n’écouta plus.

La région qu’ils traversaient était parsemée d’anneaux de cratères, les plus récents chevauchant les plus anciens, presque enfouis.

— On appelle ça la « cratérisation saturée ». C’est un terrain très ancien.

Un grand nombre de cratères n’avaient même plus de rebords. Ils n’étaient guère plus que des dépressions à fond plat.

— Qu’est-ce qui leur est arrivé ?

— Ils ont été usés.

— Par quoi ?

— Selon Ann, par la glace et le vent. Elle prétend qu’avec le temps mille mètres au moins ont été érodés sur les highlands du sud.

— Mais à cette vitesse, tout aurait dû être emporté !

— Mais d’autres météores sont venus. Ce pays est ancien.

Entre les cratères, le terrain était couvert de fragments de rocaille et incroyablement changeant. Ils allaient d’éminences en fosses, ils escaladaient des buttes, dévalaient des tranchées, des grabens[16], des surrections[17], des collines et des vallons. Ils ne connaissaient plus le sable plat, si ce n’est lorsqu’ils suivaient le rebord d’un cratère et, quelquefois, une des chaînes basses que Coyote utilisait comme des routes. Mais leur itinéraire restait tortueux, et Nirgal n’arrivait pas à croire qu’on pouvait le mémoriser. Quand il avoua cela à Coyote, l’autre rit :

— Comment ça, mémoriser ? On est complètement perdus, Nirgal !

Mais pas vraiment, ou du moins pas pour longtemps. La fumerolle d’un mohole apparaissait à l’horizon et Coyote obliqua droit dessus.

— Je le savais bien, marmonna-t-il. Le mohole de Vishniac. Quatre moholes ont été démarrés sur le 75° de latitude, et il y en a deux qui ont été abandonnés, même par les robots. Vishniac tient encore. Il a été repris par une bande de Bogdanovistes qui vivent au fond. (Il rit.) Ce qui est une idée splendide : ils peuvent creuser la paroi jusqu’au fond, et comme ça ils auront de la chaleur, autant qu’il leur faut, sans que personne ne pense que c’est autre chose, encore, qu’un mohole qui dégaze. Comme ça, ils peuvent construire n’importe quoi, et même traiter de l’uranium pour les barres des réacteurs. C’est une vraie cité industrielle, maintenant. Et aussi une de mes étapes préférées : on y fait toujours la fête !

Il engagea le patrouilleur-rocher dans une des nombreuses tranchées, freina, tapota sur son écran, et un énorme bloc pivota sur le côté, démasquant un tunnel. Coyote redémarra et le rocher se remit en place derrière eux. Nirgal ne s’attendait plus à d’autres surprises à ce stade de leur voyage, mais il écarquilla les yeux tandis qu’ils s’enfonçaient entre les parois rocheuses. Le tunnel semblait ne pas avoir de fin.

— Ils ont creusé beaucoup de tunnels d’accès, lui dit Coyote. Pour donner l’illusion que le mohole est déserté. Il nous reste au moins vingt kilomètres à parcourir.

Il éteignit enfin les phares et ils pénétrèrent dans une nuit aubergine sombre, sur une route à la pente plus accentuée qui dessinait apparemment une spirale le long de la paroi du mohole. Les voyants du tableau de bord étaient comme des lanternes minuscules. Dans leur vague reflet, Nirgal discernait la route : elle était quatre ou cinq fois plus large que leur véhicule. Il ne parvenait pas à apercevoir tout le mohole mais, à en juger par la courbure de la route, il se dit qu’il devait bien faire un kilomètre de diamètre.

— Tu es certain qu’on tourne à la bonne vitesse ? demanda-t-il, inquiet.

— Je me fie au pilote automatique, dit Coyote, agacé. Et puis ça porte malheur d’en discuter.

Ils descendaient depuis une heure quand un bip résonna. Le patrouilleur tourna alors sur la gauche, et soudain un tube vint se coller sur leur sas avec un claquement sonore.

Ils sortirent dans le garage. Une vingtaine de personnes étaient là pour les accueillir. Ils les suivirent au long d’une série de salles au plafond lointain avant de pénétrer dans une sorte de caverne. Toutes les pièces que les Bogdanovistes avaient taillées dans la paroi du mohole étaient bien plus vastes que celles qu’ils avaient visitées à Prometheus. Les salles du fond étaient hautes de dix mètres, et certaines étaient profondes de deux cents mètres. La caverne centrale devait avoir les dimensions de Zygote, avec de grandes fenêtres qui ouvraient sur le puits du mohole. Nirgal constata en se penchant que, vu de l’extérieur, le verre des vitres avait la même apparence que la roche. Les revêtements filtrants avaient été astucieusement choisis car, dès le matin, une lumière éclatante se répandit à l’intérieur. La vue se limitait à la paroi lointaine du puits, en face, et à une tache gibbeuse de ciel, tout en haut. Mais chaque salle donnait une impression de clarté et d’espace, un sentiment de ciel ouvert que Nirgal n’avait pas connu à Zygote.

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16

Parties de terrain effondrées. (N.d.T.)

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17

Blocs de l’écorce de la planète ayant subi un soulèvement. (N.d.T.)