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— C’est ça ma vie, mon garçon.

La cinquième nuit de leur traversée des highlands chaotiques du sud, Coyote ralentit et fit le tour d’un ancien cratère qui avait été érodé presque jusqu’au niveau de la plaine. Le plancher était marqué par un énorme trou noir. Apparemment, c’était ça un mohole vu de la surface, se dit Nirgal. Un plumet de givre flottait dans l’air à une centaine de mètres de haut, comme suscité par la baguette d’un magicien. Le bord du mohole était biseauté, ménageant une pente intérieure de béton à quarante-cinq degrés. Il était impossible d’en mesurer la largeur et elle pouvait être aussi bien une simple route circulaire. Sur le bord extérieur, une haute clôture était visible.

— Mmouais… marmonna Coyote.

Il recula à l’abri du défilé et gara le patrouilleur avant de revêtir un walker.

— Bon, à bientôt, lança-t-il en entrant dans le sas.

Pour Nirgal, ce fut une longue nuit d’anxiété. Il ne dormit que durant de brèves périodes et, quand le matin apparut, il était dans un état d’inquiétude épouvantable. C’est alors que Coyote apparut à l’extérieur du sas, peu avant sept heures, alors que le soleil allait monter à l’horizon. Nirgal était sur le point de se plaindre de sa longue absence, mais Coyote, quand il eut ôté son casque, se montra d’une humeur exécrable. Durant toute la journée, il demeura seul en conférence avec son IA, à jurer sans retenue, visiblement oublieux de son jeune passager. Nirgal fit réchauffer un repas pour deux, sombra dans une sieste profonde, et ne s’éveilla que lorsque le patrouilleur démarra brusquement.

— Je vais tenter de franchir le portail. C’est la seule vraie sécurité qu’ils aient sur ce trou. Encore une nuit, et je le saurai, n’importe comment.

Il fit le tour du cratère et s’arrêta sur le rebord opposé. Quand le crépuscule tomba, il quitta de nouveau le patrouilleur.

Il fut encore absent toute la nuit et Nirgal se battit encore pour trouver un peu de sommeil. Il se demandait ce qu’il ferait si Coyote ne revenait pas.

Et justement, quand l’aube vint, il ne s’était toujours pas montré. La journée s’étira et, indéniablement, ce fut la plus longue qu’il ait jamais vécue. Il n’avait pas la moindre idée de ce qu’il devait faire : essayer d’aller au secours de Coyote, de retourner à Zygote avec le patrouilleur, ou à Vishniac. Descendre dans le mohole et se jeter dans le mystérieux système de sécurité qui, apparemment, avait avalé Coyote. Autant de solutions impossibles.

Une heure avant le coucher du soleil, Coyote tapota contre le sas, et entra avec une expression de fureur. Il but un litre d’eau, puis un autre, et plissa les lèvres d’un air dégoûté.

— Foutons le camp d’ici.

Ils roulèrent en silence pendant deux heures. Nirgal se décida enfin à parler d’un autre sujet :

— Coyote, combien de temps crois-tu qu’on va être obligés de rester cachés ?

— Ne m’appelle pas Coyote ! Je ne suis pas Coyote. Coyote, il est là-bas, quelque part dans les collines, il respire déjà librement, ce salopard, et il fait ce qu’il veut. Moi, je m’appelle Desmond. Et tu vas m’appeler Desmond, compris ?

— OK, fit Nirgal, apeuré.

— Quant à ce qui est de rester cachés, je crois que ce sera pour toujours.

Ils retournèrent vers le sud, en direction du mohole de Rayleigh, là où Coyote (qui n’avait toujours pas l’air d’un Desmond) avait pensé à se rendre en premier. Le mohole était totalement abandonné et son plumet thermal flottait dans le ciel comme le spectre d’un monument disparu. Ils descendirent jusqu’au parking couvert de sable et stoppèrent entre des véhicules robots bâchés.

— J’aime mieux ça, murmura Coyote. Bon, on va aller jeter un coup d’œil là-dedans. Enfile un walker.

Pour Nirgal, ce fut étrange de se retrouver dans le vent de l’extérieur, au bord du gouffre immense. Ils se penchèrent sur un muret à hauteur de poitrine et découvrirent la bande de béton en biseau qui encerclait le trou, plongeant sur deux cents mètres. Pour découvrir le puits, ils durent suivre la route creusée dans le béton pendant un kilomètre avant de se pencher vers l’obscurité. Coyote se tenait à l’extrême bord, ce qui rendait Nirgal passablement nerveux. Lui, il était à quatre pattes. Mais il n’apercevait pas le fond du puits : ils auraient aussi bien pu contempler le noyau de Mars.

— Vingt mille mètres, dit la voix de Coyote dans l’intercom. (Il tendit la main et Nirgal l’imita et sentit le courant d’air ascendant.) OK. On va voir si on peut démarrer les robots.

Ils remontèrent la route.

Coyote avait consacré la plupart de leurs journées à étudier d’anciens programmes sur son IA. Après avoir pompé le peroxyde d’hydrogène de leur patrouilleur dans deux des robots géants, il retourna à sa console, reprogramma les robots et eut la satisfaction de les voir démarrer sur leurs roues géantes, hautes quatre fois comme le patrouilleur. Ils s’engagèrent sur la route du fond.

— Excellent ! s’exclama Coyote. Ils vont utiliser l’énergie de leurs panneaux solaires pour produire leurs propres explosifs à base de peroxyde, et aussi leur carburant. Ils vont continuer bien tranquillement, jusqu’à ce qu’ils rencontrent quelque chose de brûlant. Il se pourrait bien qu’on vienne d’amorcer un volcan !

— Est-ce que c’est une bonne chose ?

Coyote eut un de ses rires sauvages.

— Je l’ignore ! Mais personne ne l’a encore jamais fait, ce qui est déjà au moins une bonne raison !

Ils reprirent l’itinéraire prévu, de refuge en refuge, clandestins ou non. Partout, Coyote annonçait fièrement :

— On a relancé le mohole de Rayleigh la semaine dernière. Est-ce que vous auriez aperçu un volcan ?

Mais personne n’avait rien vu. Rayleigh semblait se comporter comme avant.

— Peut-être que ça n’a pas marché, disait Coyote. Ou alors, ça prendra encore du temps. D’un autre côté, si ce mohole était inondé par la lave en fusion, comment savoir ?…

On le saurait, disaient ses interlocuteurs.

Et d’autres ajoutaient :

— Pourquoi faire une chose aussi stupide ? Autant prévenir l’Autorité transitoire et leur demander de descendre jeter un coup d’œil par ici.

Coyote cessa de soulever le sujet. Et ils continuèrent leur chemin : Mauss Hyde, Gramsci, Overhangs, Christianopolis… À chaque étape, Nirgal était accueilli avec joie, et les gens semblaient le connaître déjà de réputation. Il était surpris par le nombre et la diversité des refuges. Ensemble, ils composaient un monde étrange, à demi secret, à demi ouvert. Et si ce monde n’était qu’une partie de la civilisation martienne, qu’étaient donc les grandes cités du Nord ? Son esprit en restait confondu – bien qu’il eût le sentiment que sa vision des choses s’était considérablement élargie depuis leur départ. Et puis, après tout, on ne pouvait exploser d’émerveillement.

— Bon, dit Coyote tandis qu’ils roulaient. (Il avait appris à Nirgal à piloter.) On a peut-être créé un volcan, ou rien. Mais c’était une idée nouvelle, non ? C’est ça qui compte vraiment dans le projet martien, mon garçon. Tout est nouveau.

Ils retournaient vers le sud, et la calotte polaire redevint visible à l’horizon. Ils ne tarderaient pas à être de retour.

Nirgal songeait à tous les refuges clandestins qu’ils avaient visités.

— Desmond, tu penses qu’on devra toujours rester cachés comme ça ?

— Desmond ? Desmond ? Mais qui est ce Desmond ? (Coyote fit la moue.) Bon Dieu, je l’ignore. Personne ne peut le savoir. Les gens qui se cachent ont été balayés de la surface à une période bizarre de l’histoire, quand leurs existences étaient menacées, et je ne suis pas convaincu que ce soit encore comme ça dans toutes ces grandes cités qu’ils construisent au nord. Peut-être que les patrons, sur Terre, ont compris la leçon et que la vie est redevenue plus confortable. Ou bien c’est parce qu’ils n’ont pas encore réussi à remplacer l’ascenseur.