Выбрать главу

— Je ne crois pas qu’ils aient capturé les gens d’Hiroko, dit Michel. Je pense qu’ils ont suivi Coyote dans l’underground.

— C’est ce que tu souhaites, commenta Jackie, et Maya sentit sa lèvre supérieure se plisser.

— Ils nous auraient prévenus s’ils étaient en danger, dit Michel.

Jackie secoua la tête.

— Ils ne se cacheraient pas maintenant que la situation devient critique. (Dao et Rachel acquiescèrent.) Et puis, il y a les Sabishiiens, et la fermeture de Sheffield, non ?… C’est ce qui va se passer ici. Non, l’Autorité transitoire s’empare de tout. C’est maintenant qu’il faut agir !

— Les Sabishiiens ont porté plainte contre l’Autorité transitoire, dit Michel, et ils sont toujours chez eux.

Jackie afficha un air dégoûté, comme si Michel se comportait en idiot optimiste et trouillard. Le pouls de Maya bondit brusquement et elle serra les dents.

— Nous ne pouvons agir maintenant, dit-elle d’un ton sec. Nous ne sommes pas prêts.

Jackie la foudroya du regard.

— Si on te croit, nous ne le serons jamais ! On va attendre jusqu’à ce qu’ils aient bouclé toute la planète, et alors nous ne pourrons plus rien faire, même si nous le voulons. Ce qui est exactement ce qui te plairait, j’en suis certaine.

Maya jaillit de sa chaise.

— Il n’y a plus de ils. Quatre ou cinq métanationales se battent pour Mars actuellement, comme elles le font sur Terre. Cet assaut contre Sabishii n’était qu’une phase de ce combat. Si nous nous interposons, nous allons être pris dans un feu croisé. Il faut que nous choisissions notre moment. Ce sera quand ils se feront réellement du mal que nous aurons une chance de réussir. Sinon, ce moment nous sera imposé, et c’est comme en 61 : personne ne saura ce qui se passe, ça nous tombera dessus, ce sera le chaos et des gens mourront !

— 61 ! s’écria Jackie. C’est toujours 61 avec toi – l’excuse parfaite pour ne rien faire ! Sabishii et Sheffield sont bouclés, et Burroughs n’en est pas loin. Hiranyag et Odessa vont suivre, des renforts de police arrivent tous les jours par l’ascenseur. Ils ont arrêté ou tué des centaines de gens, comme ma grand-mère, qui est notre leader à tous, et tu nous parles de 61 ! C’est 61 qui a fait de toi une lâche !

Maya la frappa durement sur la tempe, Jackie bondit sur elle, et Maya s’écroula contre une table, relâchant l’air de ses poumons dans un souffle violent. Jackie la martelait de coups de poing, mais elle réussit à lui saisir un poignet et elle lui mordit l’avant-bras de toute la force de sa mâchoire, en essayant vraiment de pénétrer dans la chair. Puis on les sépara dans le déchaînement général. Tout le monde hurlait, y compris Jackie :

— Putain ! Putain ! Putain ! Sale meurtrière !

Et Maya entendit les mots qu’elle crachait en réponse :

— Sale petite traînée idiote !

Elle avait mal dans les côtes et dans les gencives. Des gens se penchaient sur elle, pressaient les doigts sur ses lèvres et celles de Jackie. Et quelqu’un siffla :

— Chtt, chtt ! Du calme. On va nous entendre, on nous dénoncera et la police va venir !

Michel leva enfin la main et Maya souffla encore, une dernière fois :

— Sale petite traînée idiote !

Avant de s’affaler dans une chaise et de lancer aux autres un regard tellement furieux que la moitié au moins en furent paralysés. Ils venaient de libérer Jackie qui se mit aussitôt à jurer à voix basse, jusqu’à ce que Maya lance « Tais-toi ! » avec une telle férocité que Michel s’interposa à nouveau.

— Tu traînes tes garçons en remorque par la bite et tu te crois un chef ! grinça Maya dans un souffle. Mais il n’y a pas l’ombre d’une idée dans ton crâne vide…

— Je ne supporterai pas d’entendre ça ! glapit Jackie.

La foule fit chtt ! et elle s’enfuit. C’était une erreur, une retraite, et Maya en profita pour fustiger sa stupidité dans un chuchotement rauque – puis, quand elle eut réussi à dominer un peu sa fureur, qui ne vint plus qu’affleurer son visage sous une expression de patience, de détermination et de contrôle, elle leur redemanda d’attendre leur heure, un discours qui était par essence incompréhensible. Durant sa péroraison, tous les regards étaient braqués sur elle, bien sûr, comme si elle était maintenant une sorte de gladiatrice ensanglantée, la Veuve Noire en personne, mais elle avait encore la mâchoire douloureuse et elle ne pouvait décemment pas prétendre être le modèle parfait du débatteur intelligent. Elle avait l’impression que ses lèvres étaient tuméfiées, et elle dut refouler un sentiment d’humiliation pour continuer, froide, passionnée et impérieuse. Le meeting s’acheva dans une ambiance morose. Ils étaient tous d’accord, sans l’avoir exprimé, pour garder un profil bas et retarder toute insurrection généralisée. Maya se retrouva affalée dans un tramway entre Spencer et Michel, refoulant ses larmes. Ils devaient prendre en charge Jackie et son groupe pendant qu’ils étaient à Odessa – et leur immeuble était le refuge désigné, après tout. C’était une situation à laquelle elle ne pourrait échapper. Et des policiers étaient maintenant en place à l’entrée des bureaux et des centrales de la ville. Ils vérifiaient les identités de tous ceux qui entraient. Si elle ne retournait pas au travail, ils pourraient l’interpeller pour lui demander quels étaient ses motifs, mais si elle regagnait son bureau, il n’était plus certain qu’elle s’en tirerait avec son identité de poignet et son passeport suisse. La rumeur disait que la balkanisation de l’information qui avait suivi les événements de 61 était en train de s’effondrer pour laisser la place à un système intégrant les données d’avant-guerre, d’où la nécessité de passeports nouveaux. Et si elle était filtrée par un de ces systèmes, ce serait fini pour elle. On l’expédierait dans les astéroïdes, ou à Kasei Vallis, à moins qu’on ne la torture et qu’elle ne se retrouve avec l’esprit détérioré, comme Sax.

— C’est peut-être le moment, déclara-t-elle à Michel et Spencer. S’ils bloquent toutes les villes et toutes les pistes, quel choix nous reste-t-il ?

Ils ne répondirent pas. Pas plus qu’elle, ils ne savaient quoi faire. Tout à coup, l’ensemble du projet d’indépendance semblait une fiction, un rêve impossible, comme il l’avait été quand Arkady y avait adhéré, Arkady, qui avait été si fort et si joyeux. Jamais ils ne se libéreraient de la Terre. Ils étaient impuissants.

— Je veux d’abord en parler avec Sax, dit Spencer.

— Et avec Coyote aussi, ajouta Michel. Je veux qu’il m’en dise plus sur ce qui s’est passé à Sabishii.

— Et moi je veux voir Nadia, fit Maya, la gorge nouée.

Si Nadia l’avait vue à ce meeting, elle aurait eu honte pour elle, et cette idée la blessait. Elle avait besoin de Nadia, la seule personne sur Mars dont elle acceptait le jugement.

Alors qu’ils changeaient de tram, Spencer dit à Michel :

— Il se passe quelque chose de bizarre avec l’atmosphère. Je veux vraiment savoir ce que Sax peut en dire. Les taux d’oxygène augmentent plus rapidement que je ne m’y attendais, et plus particulièrement dans Tharsis Nord. On dirait qu’on a répandu une bactérie qui a réussi sans gènes-suicide. Sax a plus ou moins réorganisé sa vieille équipe du Belvédère d’Echus, ils sont tous vivants et ils ont travaillé à Acheron et ailleurs sur des projets dont ils ne nous ont jamais parlé. C’est comme ces conneries de réchauffeurs à éoliennes. Donc, il faut que nous en discutions. Sur ce plan-là, nous devons travailler ensemble, ou alors…