Выбрать главу

— Oui. Nous voulons d’abord frapper tous les satellites de surveillance et d’attaque avec des missiles.

— Et pour Kasei Vallis ?

— Je m’en charge.

— Quand veux-tu commencer ?

— Qu’est-ce que tu dirais de demain ?

— Demain !

— Il faut que je m’occupe très vite de Kasei. Les conditions sont favorables.

— Qu’est-ce que tu comptes faire ?

— Essayons de lancer ça dès demain. Ça ne servirait à rien de perdre du temps.

— Mon Dieu ! Nous allons nous trouver derrière le Soleil ?

— Oui.

Cette position en opposition par rapport à la Terre n’était qu’une question symbolique depuis que les communications transitaient par un nombre important de satellites-relais, mais elle impliquait qu’il faudrait des mois aux navettes les plus rapides pour aller de la Terre à Mars.

Nadia inspira profondément et dit :

— Allons-y.

— J’espérais que tu dirais cela. Je vais appeler Burroughs et leur passer le message.

— On se retrouve à Underhill ?

C’était leur point de rendez-vous convenu en cas d’urgence. Sax se trouvait dans un refuge du cratère Da Vinci où un certain nombre de silos à missiles étaient groupés, et l’un et l’autre pourraient rallier Underhill en une journée.

— Oui, dit-il. À demain.

Et il disparut de l’écran.

Et c’est ainsi qu’elle déclencha la révolution.

Elle tomba sur un programme d’infos qui montrait une photo satellite de l’Antarctique et elle regarda dans une sorte d’hébétude. Des voix ténues bavardaient fiévreusement. L’une d’elles clamait que le désastre était un sabotage écologique perpétré par Praxis qui aurait foré la glace pour déclencher des bombes à hydrogène sur le socle rocheux de l’Antarctique.

— On se tait ! cria-t-elle, écœurée.

Elle ne retrouva cette assertion sur aucun autre programme, mais nul ne la réfutait – ça faisait partie du chaos, sans doute, et ça disparut sous la rafale d’autres informations à propos de l’inondation. Mais le métanatricide se poursuivait. Et ils en faisaient partie.

Toute vie se réduisit immédiatement à cela, ce qui rappelait crûment 61. Elle sentit son estomac se nouer, se rétrécir bien au-delà des limites habituelles de tension pour devenir un noyau de fer douloureux au centre de son être. Depuis quelque temps, elle prenait des médicaments contre l’ulcération, mais ils semblaient tristement inefficaces dans ce genre de crise. Allons, se dit-elle, du calme. C’est l’instant. Tu l’attendais, tu as tout fait pour. Tu as tout préparé pour ça. Et voici venir le chaos. Au cœur de chaque changement de phase, il existe une zone de chaos où les choses se recombinent en cascade. Mais il y avait des méthodes pour le déchiffrer, pour composer avec.

Elle traversa le petit habitat mobile, jeta un bref regard sur la beauté idyllique du fond du canyon, avec le ruisseau qui courait dans son lit de pierres roses, entre les jeunes arbustes, les haies de peupliers des marais des berges et des îlots. Il était possible, si les choses tournaient au drame, que personne n’habite jamais dans Shalbatana Vallis. Elle resterait alors une bulle vide jusqu’à ce que les tempêtes de boue crèvent la tente ou qu’un élément de l’écologie mésocosmique tourne mal. Dans ce cas…

Elle haussa les épaules et réveilla son équipe pour annoncer qu’ils partaient pour Underhill. Elle leur expliqua pourquoi et, comme ils faisaient tous partie de la Résistance d’une façon ou d’une autre, ils applaudirent.

On était juste après l’aube. Une belle journée de printemps s’annonçait, du genre où on pouvait circuler en combinaison à peine fermée, avec un masque facial. Seules les bottes isolantes rappelaient à Nadia les tenues massives des premières années. On était vendredi, Ls 101, 2 juillet, année martienne M-52, date terrienne (elle consulta son bloc de poignet)… 12 octobre 2127. Ce serait bientôt le centième anniversaire de leur arrivée, bien que personne ne parût désireux de fêter l’événement. Cent ans ! L’idée était bizarre.

Une autre révolution de Juillet, une autre révolution d’Octobre. Une décennie après le bicentenaire de la révolution bolchévique, si elle se souvenait bien. Autre pensée bizarre. Après tout, eux aussi avaient essayé. Comme tous les révolutionnaires, au long de l’histoire. Pour la plupart des paysans désespérés qui se battaient pour que vivent leurs enfants. Comme dans sa Russie. Ils avaient été tellement nombreux dans cet âge amer du vingtième siècle à tout risquer pour une vie meilleure, et pourtant ils avaient abouti au désastre. C’était effrayant – comme si l’histoire humaine n’était faite que d’assauts contre la misère qui échouaient tous l’un après l’autre.

Mais la Russe qui était en elle, la Sibérienne inscrite dans son cerebellum, décida qu’octobre était un bon auspice. Ou que cette date rappelait en tout cas ce qu’il ne fallait pas faire – de même que 61. Et dans son esprit sibérien, elle pouvait dédier ce moment à tous : aux héros de la catastrophe soviétique, à tous ses amis morts en 61, à Arkady, Alex, Sasha, Roald, Janet, Evgedia et Samantha, tous ceux dont le souvenir hantait ses rêves et ses insomnies, tournant comme des électrons autour du noyau de fer qui était en elle, l’avertissant de ne rien rater, de lancer les choses à temps, cette fois, pour que leurs vies et leurs morts aient un sens. L’un d’eux lui avait dit : « La prochaine fois que tu décideras une révolution, tu ferais bien d’essayer de t’y prendre autrement. »

L’heure était venue. Mais des unités de guérilla mars-unistes sous le commandement de Kasei étaient coupées de tout contact avec le quartier général de Burroughs. Et des milliers d’autres facteurs allaient peser dans la balance, et échappaient à son contrôle. Le chaos recombinant en cascade. Alors, à quel point ce serait différent ?…

Elle fit embarquer son équipe dans les patrouilleurs et ils s’engagèrent sur la petite piste qui conduisait à la gare, à quelques kilomètres au nord. Là, ils prirent un train de marchandises qui empruntait une piste mobile qui avait été installée pour le chantier de Shalbatana. Elle rejoignait plus loin la ligne principale Burroughs-Sheffield. Mais ces deux villes étaient des bastions des métanats, et Nadia redoutait qu’elles ne prennent des mesures pour renforcer la sécurité de la piste. En ce sens, Underhill avait une importance stratégique : en l’occupant, ils couperaient la liaison entre Burroughs et Sheffield. Mais, pour cette même raison, elle voulait fuir Underhill et tout le réseau des pistes. Elle voulait gagner les airs, comme en 61. Tous les réflexes qu’elle avait acquis durant les mois des événements refluaient en elle, comme si les soixante-six années qui s’étaient écoulées depuis ne comptaient pas. Et ces réflexes lui commandaient de se cacher.

Tandis qu’ils glissaient vers le sud-ouest à travers le désert, franchissant le col entre Ophir et Juventae Chasma, elle entra en liaison sur son bloc de poignet avec le quartier général de Sax, dans le cratère Da Vinci. Les techniciens de Sax essayaient d’imiter son style sec, mais il était clair qu’ils étaient aussi excités que les membres de sa jeune équipe de construction. Ils furent cinq en même temps à lui annoncer qu’ils avaient déclenché la mise à feu des missiles surface-espace que Sax avait dissimulés dans des silos clandestins au cours de la décennie. C’avait été comme autant de feux d’artifice et les missiles avaient descendu toutes les plates-formes armées en orbite dont ils connaissaient la position, de même que de nombreux satellites de communication.

— Nous avons atteint quatre-vingts pour cent des cibles avec la première vague ! – Nous avons placé nos propres satellites de communication sur orbite ! – Maintenant, nous frappons au coup par coup !…