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Nadia les interrompit :

— Vos satellites fonctionnent ?

— Nous pensons qu’ils sont OK ! On n’en sera certains qu’après un test complet, et tout le monde s’active pour ça.

— On va en essayer un tout de suite. Prenez ça en priorité, voulez-vous ? Nous avons besoin d’un système redondant, très redondant.

Elle coupa la communication et tapa les codes de fréquence et d’encryptage que Sax lui avait donnés. Quelques secondes après, elle parlait à Zeyk, qui était à Odessa pour aider à la coordination des activités du Bassin d’Hellas. Jusque-là, lui dit-il, tout fonctionnait selon le plan prévu. Bien sûr, ils n’avaient commencé que depuis quelques heures, mais il semblait que ce que Michel et Maya avaient organisé était payant, car tous les membres des cellules d’Odessa s’étaient déversés dans les rues pour prévenir la population de ce qui se passait, déclenchant instantanément une manifestation et une grève spontanées. Ils s’apprêtaient à bloquer la gare. Ils occupaient déjà la corniche et la plupart des espaces publics, en une grève qui ne tarderait pas à devenir une occupation totale de la cité. Le personnel de l’Autorité transitoire avait battu en retraite vers la gare et la centrale, ainsi que Zeyk l’avait espéré.

— Quand une majorité sera à l’intérieur, nous allons passer les IA de la centrale en override[81] et elle deviendra leur prison. Nous contrôlons les systèmes vitaux de la ville, et ils ne peuvent pas faire grand-chose, si ce n’est se faire sauter, ce dont nous doutons. Il y a pas mal de Syriens niazi, dans les gens de l’ATONU, et je reste en contact avec Rashid : nous essayons de neutraliser la centrale de l’extérieur et on aimerait être sûrs que personne n’a décidé de jouer les martyrs.

— Je ne pense pas que les métanats aient trop de martyrs.

— Je l’espère, mais on ne peut jamais savoir. En tout cas, jusque-là, ça se passe bien. Et ailleurs, dans Hellas, les choses ont été encore plus faciles – les forces de sécurité étaient réduites au minimum et la population compte pas mal d’indigènes et d’immigrants radicalisés. Ils se sont contentés de cerner les gens de la sécurité en les provoquant. Ça devrait se terminer par un statu quo ou par le désarmement des forces de sécurité. Harmakhis et Dao-Reull se sont proclamés canyons libres et ils sont ouverts à tous les réfugiés.

— Bien !

Zeyk perçut un accent de surprise dans sa voix et la mit en garde :

— Je ne crois pas que ça sera aussi facile pour Burroughs et Sheffield. Et puis, il va falloir que nous neutralisions l’ascenseur, pour qu’ils ne puissent pas tirer depuis Clarke.

— Clarke est quand même coincée au-dessus de Tharsis.

— C’est vrai. Mais il est certain qu’il vaudrait mieux nous en emparer pour éviter que l’ascenseur ne nous retombe encore dessus.

— Je sais. J’ai entendu dire que les Rouges travaillaient avec Sax sur un plan à ce sujet.

— Allah nous préserve ! Je dois te quitter, Nadia. Dis à Sax que les programmes pour la centrale ont parfaitement fonctionné. Écoute, je pense qu’on devrait te rejoindre dans le Nord. Si nous pouvons nous assurer très vite d’Hellas et d’Elysium, ça renforcera nos chances pour Burroughs et Sheffield.

Tout se passait donc comme prévu sur Hellas. Plus important encore, ils restaient en communication. Un point essentiel : de toutes les images cauchemardesques de 61, des scènes marquées dans sa mémoire par des éclairs de peur et de souffrance, aucune n’était plus insupportable que ces instants de détresse absolue qui avaient suivi la rupture de toutes leurs communications. Après, plus rien n’avait eu d’importance. Ils étaient devenus des insectes amputés de leurs antennes qui titubaient en rond. Pour cette raison, durant ces dernières années, Nadia avait insisté auprès de Sax pour qu’il prévoie un plan de renforcement de leurs systèmes de communication. Il l’avait conçu, construit, et placé sur orbite : toute une flotte de satellites très petits, furtifs et renforcés au maximum. Et qui semblaient fonctionner comme prévu. Et le noyau de fer qui était en elle, même s’il ne s’était pas résorbé, ne pesait plus aussi durement sur ses côtes. Du calme, se dit-elle. C’est le moment, c’est l’instant. Concentre-toi dessus.

Leur piste mobile rejoignit la grande ligne équatoriale, qui avait été déplacée l’année d’avant pour éviter la glace de Chryse, et ils furent aiguillés vers l’ouest sur une piste prévue pour les trains locaux. Le train ne comportait que trois voitures. Nadia et son équipe étaient tous rassemblés dans la première, afin de suivre les infos sur l’écran. Il s’agissait d’un bulletin officiel de Mangalavid, transmis depuis Fossa Sud, confus et inconsistant, mêlant les flashes météo avec de brefs comptes rendus des grèves dans plusieurs villes. Nadia était en contact permanent avec Da Vinci ou le refuge de Mars Libre à Burroughs et elle observait tour à tour l’écran et son bloc de poignet. Les informations lui parvenaient en rafales, comme de la musique polyphonique. Elle s’était aperçue qu’elle pouvait suivre les deux sources sans problème. Elle était avide d’en savoir plus. Praxis leur envoyait des rapports continus sur la situation terrienne, qui était confuse mais pas aussi incohérente et opaque qu’en 61 : d’abord justement parce que Praxis les tenait informés, et aussi parce que l’activité essentielle, sur Terre, était pour l’heure l’évacuation des populations côtières. Les inondations étaient comme de grandes marées, ainsi que Sax l’avait dit. Le métanatricide se déchaînait encore sous forme de coups chirurgicaux, de décapitation, de raids de commandos et de contre-raids dans divers immeubles ou quartiers généraux, combinés avec des actions légales et des séries de plaintes et d’appels introduits devant la Cour mondiale. Ce que Nadia trouvait encourageant. Mais tous ces raids et manœuvres stratégiques étaient relégués à l’arrière-plan par les inondations planétaires. Même les attaques les plus terribles (vidéos d’édifices qui explosaient, d’accidents d’avions, de routes défoncées par des voitures piégées) étaient infiniment moins graves que l’escalade d’une guerre qui, avec l’utilisation d’armes biologiques, pouvait faire des millions de morts. Comme le prouvait malheureusement un rapport d’Indonésie : un groupe de libération radical, à l’est de Timor, sur le modèle du Sentier lumineux péruvien, avait infesté toute l’île de Java avec un germe non encore identifié. Des centaines de milliers de morts s’ajoutaient aux victimes de l’inondation. Sur un continent, cette peste pourrait devenir un désastre final, et nul n’était certain que ce ne serait pas le cas. Mais l’île était une exception atroce, car la guerre, si tel était le nom que l’on pouvait donner au chaos du métanatricide, allait vers un affrontement au sommet. Dans un style proche de celui qui avait été adopté pour Mars, à vrai dire. Ce qui était en un sens réconfortant ; mais si les métanats se rodaient à ce style, elles pourraient l’appliquer sur Mars – non pas dans le premier moment de surprise, mais plus tard, quand elles se seraient réorganisées. Dans le flot des rapports de Praxis Genève, il y avait un détail menaçant qui révélait que les métanats avaient peut-être déjà déclenché la riposte : une navette rapide, avec un contingent d’« experts en sécurité », avait quitté l’orbite de la Terre à destination de Mars trois mois auparavant et devait atteindre le système martien dans « quelques jours ». Cette nouvelle était répandue afin d’encourager les forces de sécurité confrontées aux émeutes et aux actes de terrorisme, si l’on en croyait le communiqué de presse de l’ONU.

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81

En informatique, consiste à supplanter un système par un autre, en d’autres termes à le «shunter», le «bypasser» ou encore le «circonvenir». (N.d.T.)