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Zeyk, Nazik et un important contingent d’Arabes venaient de débarquer dans Du Martheray pendant son sommeil. Zeyk pointa la tête dans la cuisine :

— Sax dit que la navette va arriver.

Du Martheray ne se trouvait qu’à six degrés au nord de l’équateur, et ils étaient très bien placés pour assister à l’aréofreinage qui devait avoir lieu peu après le coucher du soleil. Le temps était avec eux : le ciel était sans nuage et limpide. Le soleil s’abaissa sur l’horizon, le ciel s’assombrit à l’est, et l’arche de couleurs se déploya au-dessus de Syrtis, du jaune à l’indigo, en passant par l’orange, une trace de vert pâle, un bleu sarcelle. Puis, le soleil sombra derrière les collines noires et les couleurs devinrent plus profondes, puis transparentes, comme si le dôme du ciel était maintenant cent fois plus vaste.

Et au centre de ces couleurs, entre deux des étoiles du soir, une troisième apparut, blanche, rapide qui laissait derrière elle une courte traînée parfaitement droite. C’était le spectacle qu’offraient toujours les navettes pendant la phase d’aréofreinage dans la haute atmosphère, visibles de jour comme de nuit. Il ne leur fallait qu’une brève minute pour traverser le ciel d’un horizon à l’autre comme des étoiles filantes plus lentes et plus lumineuses.

Mais cette fois-ci, loin sur l’horizon d’ouest, l’étoile pâlit rapidement et s’estompa. Puis s’effaça.

Toute une foule s’était entassée dans la salle d’observation de Du Martheray. Il y eut de nombreuses exclamations devant cette vision inusitée, même si tous avaient été prévenus. Quand la navette eut disparu, Zeyk demanda à Sax d’expliquer ce qui s’était passé à ceux qui n’avaient pas entendu toute l’histoire. La fenêtre d’insertion orbitale, expliqua-t-il, était très exiguë, exactement comme elle l’était à l’arrivée de l’Arès, au tout début. La marge d’erreur était infime. Le groupe technique de Da Vinci avait donc équipé une fusée avec une charge de fragments métalliques – une citerne de limaille, selon ses termes – et l’avait lancée quelques heures auparavant. La charge avait explosé sur la trajectoire de la navette en approche martienne quelques minutes avant son arrivée, et les fragments de métal s’étaient répandus largement à l’horizontale et formaient une bande de faible épaisseur. Les insertions orbitales étaient entièrement sous contrôle informatisé, bien sûr, et lorsque le radar de la navette avait détecté le nuage de débris, l’IA s’était trouvée devant plusieurs options. Plonger sous les débris aurait orienté la navette vers une atmosphère plus dense où elle avait de grandes chances de brûler. Essayer de traverser le nuage ferait courir des risques au bouclier de protection, qui pouvait être percé sous les impacts, et se consumer. Donc, c’était shikata ga nai. Devant les risques éventuels, l’IA de la navette avait dû avorter la trajectoire d’aréofreinage en volant au-dessus des débris, et la navette avait ainsi rebondi hors de l’atmosphère martienne. Ce qui signifiait qu’elle poursuivait sa course vers l’extérieur du système solaire à une vitesse quasi maximale de quarante mille kilomètres-heure.

— Est-ce qu’ils ont les moyens de ralentir en dehors de l’aréofreinage ? demanda Zeyk.

— Pas vraiment. C’est pour ça qu’ils ont aréofreiné.

— La navette est condamnée ?

— Pas nécessairement. Ils peuvent utiliser une autre planète comme poignée gravifique pour pivoter et revenir ici, ou encore retourner vers la Terre.

— Alors, ils sont en route pour Jupiter ?

— Mais Jupiter se trouve à l’opposé du système solaire, actuellement.

Zeyk souriait.

— Ils vont vers Saturne ?

— Il se pourrait qu’ils se rapprochent de certains astéroïdes, dit Sax. Et qu’ils puissent rectifier leur crash – pardon : leur course.

Zeyk éclata de rire, et tandis que Sax se lançait dans des explications sur la correction de trajectoire, les bavardages vinrent couvrir sa voix.

Ils n’avaient donc plus à s’inquiéter des renforts de sécurité de la Terre, du moins dans l’immédiat. Mais Nadia considérait que ce nouveau facteur pouvait donner l’impression à la police de Burroughs qu’elle était prise au piège. Dans le même temps, les Rouges continuaient leur progression au nord de la ville, ce qui ne pouvait qu’accentuer l’inquiétude au sein des forces de sécurité. La nuit où la navette rebondit sur l’atmosphère, des groupes de Rouges en véhicules blindés investirent définitivement la digue. Ce qui signifiait qu’ils étaient à proximité du spatioport, à dix kilomètres au nord-ouest de la ville.

Maya apparut sur leurs écrans. Sa harangue de la nuit précédente ne l’avait pas changée.

— Si les Rouges prennent le spatioport, déclara-t-elle à Nadia, la sécurité sera coincée dans Burroughs.

— Je sais, et c’est exactement ce que nous ne voulons pas. Surtout en ce moment.

— Est-ce que tu peux les contrôler ?

— Ils ne me consultent plus.

— Mais je croyais que tu étais le grand leader, ici.

— Moi, je croyais que c’était toi, rétorqua Nadia.

Et Maya partit d’un rire dur et sans joie.

Un nouveau rapport leur parvint de Praxis, regroupant des infos terriennes relayées à partir de Vesta. Elles concernaient principalement les dernières nouvelles sur l’inondation, les désastres en Indonésie et autres régions littorales, mais il était aussi question de politique. Des forces militaires de pays-clients du Club du Sud avaient nationalisé certains holdings de métanats. Les analystes de Praxis considéraient que c’était le signe d’un début de révolte des gouvernements contre les métanats. Quant à la manifestation monstre de Burroughs, elle avait figuré dans les bulletins de nombreux pays, et constituait très certainement une préoccupation importante pour les administrations gouvernementales ou privées sur toute la Terre. La Suisse avait confirmé qu’elle établissait des relations diplomatiques avec le gouvernement martien, « qui devront être définies ultérieurement », comme le souligna Art avec un rictus. Praxis avait suivi. La Cour mondiale avait proclamé qu’elle considérait la plainte de la Coalition neutre pacifique de Dorsa Brevia contre l’ATONU comme fondée – classée « Mars vs Terre », par les médias – et prioritaire. Quant à la navette qui poursuivait sa course, elle avait rapporté l’échec de son insertion orbitale. Apparemment, elle devait amorcer un virage autour des astéroïdes. Mais sur Terre, aucun de ces événements n’était à la une : le chaos qu’engendrait l’inondation était la préoccupation principale de tous. Les réfugiés se déplaçaient sur tout le globe, dans un état de précarité absolue.

C’était justement la raison pour laquelle ils avaient déclenché la révolution à ce moment. Les mouvements indépendantistes contrôlaient la plupart des villes. Sheffield était encore un bastion des métanationales, mais Peter Clayborne était présent sur place et commandait tous les insurgés de Pavonis qui avaient coordonné leurs actions à la différence de ce qui se passait à Burroughs. C’était en partie parce que de nombreux éléments radicaux de la Résistance avaient évité Tharsis, et aussi parce que la situation de Sheffield était extrêmement difficile, ne laissant qu’une faible marge de manœuvre. Les insurgés contrôlaient à présent Arsia et Ascraeus et la petite station scientifique du cratère Zp, dans Olympus Mons. Ils occupaient même la plus grande partie de Sheffield. Mais le socle de l’ascenseur spatial et tout le quartier proche étaient encore aux mains de la sécurité, qui disposait d’un armement important. Peter était totalement pris par Tharsis et ne serait pas en mesure de les aider à Burroughs. Nadia eut un bref entretien avec lui. Elle lui décrivit la situation de la ville et lui demanda d’appeler Ann pour qu’elle tente de freiner un peu les Rouges. Il lui promit de faire ce qu’il pouvait, mais il ne semblait pas persuadé de pouvoir se faire entendre de sa mère.