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Nadia essaya ensuite de joindre Ann, mais sans succès. Puis elle appela Hastings. Leur échange ne fut guère productif. Il avait perdu l’attitude de dégoût satisfait qu’il avait eue la nuit d’avant.

— L’occupation de la digue ! fit-il d’un ton furieux. Qu’est-ce qu’ils essaient de prouver ? Est-ce que vous pensez vraiment que je vais croire qu’ils la feront sauter alors qu’il y a deux cent mille personnes dans cette ville, qui sont pour la plupart acquises à leur cause ? Absurde ! Mais écoutez-moi : il y a certaines personnes, dans cette organisation, qui n’apprécient pas le danger que vous faites courir à la population ! Et je vous le dis, je ne veux pas être responsable de ce qui se passera si ces gens n’évacuent pas la digue – et tout Isidis Planitia ! C’est à vous de les faire dégager !

Il coupa la communication avant qu’elle ait pu répondre, visiblement dérangé par quelqu’un qui venait de surgir pendant sa tirade. C’était un homme qui avait peur, songea-t-elle. Le noyau de fer était revenu au creux de son estomac. Oui, un homme qui sentait que les choses lui échappaient. Ce qui était vrai, sans aucun doute. Mais elle n’avait pas beaucoup aimé sa dernière expression. Elle essaya de le rappeler, mais la montagne de la Table ne répondait plus.

Deux heures plus tard, Sax la réveilla et elle prit conscience de ce qui inquiétait tant Hastings.

— L’unité de l’ATONU qui a incendié Sabishii a tenté de – de reprendre la digue aux Rouges avec des blindés, lui apprit Sax, l’air grave. Apparemment, il y a eu un accrochage à proximité de la ville. Certaines unités des Rouges nous ont informés que la digue avait sauté.

— Quoi ?

— C’est eux qui l’ont fait sauter. Ils ont foré des trous et placé des charges explosives pour tenter d’exercer une… une menace. Durant le combat, selon eux, ils auraient procédé à la mise à feu. C’est ce qu’ils m’ont dit.

— Mon Dieu !

D’un seul coup, elle était complètement éveillée. Une autre explosion s’était produite en elle, libérant un flot d’adrénaline dans tout son corps.

— Tu as eu la confirmation ?

— Il y a un nuage de poussière. Très volumineux.

— Oh, Seigneur… (Elle s’approcha d’un écran, le cœur battant. Il était trois heures du matin.) Est-ce qu’il existe une chance pour que la glace occupe la brèche et forme un barrage ?

— Je ne le pense pas. Ça dépend des dimensions de la brèche.

— Est-ce que nous pouvons déclencher des contre-explosions et fermer la brèche ?

— Je ne crois pas. Regarde : voilà la vidéo que les Rouges nous ont transmise depuis le sud de la brèche.

Il pointa le doigt vers l’écran. L’image en infrarouge était noire à gauche, noirâtre à droite, et mouchetée de vert au milieu.

— Au milieu, c’est la zone de l’explosion. Elle est plus chaude que le régolite. Apparemment, la charge a sauté tout près d’une mare de fonte. Ou bien ils ont déclenché une explosion destinée à liquéfier la glace derrière la brèche. En tout cas, une énorme quantité d’eau va se déverser par là. Et la brèche va s’agrandir. Nous avons vraiment un problème.

Elle lui agrippa l’épaule en s’écriant :

— Sax ! Qu’est-ce que les gens de Burroughs sont censés faire ? Bon Dieu, mais à quoi Ann a-t-elle pensé ?

— Ce n’est peut-être pas de son fait.

— C’est en tout cas sa faute ou celle des Rouges !

— Ils ont été attaqués. C’est peut-être un accident. Quelqu’un s’est peut-être dit qu’on allait les repousser loin des charges.

Dans ce cas, c’était maintenant ou jamais. (Il secoua la tête.) Le résultat n’est jamais bon.

— Je les déteste ! Il faut absolument faire quelque chose ! (Ses pensées s’accéléraient frénétiquement.) Est-ce que le haut des mesas échappera à l’inondation ?

— Pour un temps. Mais dans cette dépression, Burroughs est presque le point le plus bas. C’est pour ça qu’elle a été construite ici. À cause des horizons prolongés des parois de la cuvette. Le haut des mesas sera submergé également. Je ne peux pas dire avec certitude combien de temps cela prendra, parce que je ne connais pas exactement le débit de l’inondation. Mais voyons… le volume à remplir est d’environ…

Il tapait à toute allure sur son clavier, mais avec un regard absent, et Nadia devina qu’une autre partie de son esprit se perdait dans des calculs, plus rapidement que son IA, avec une conception gestalt de la situation. Art contemplait l’infini tout en hochant la tête comme un aveugle.

— Ça pourrait aller très vite, souffla-t-il. Si la mare de fonte est très importante.

— Nous devons partir du principe qu’elle l’est.

Il acquiesça.

Côte à côte, ils fixaient l’écran de l’IA.

— Quand je travaillais à Da Vinci, commença Sax d’un ton hésitant, j’ai essayé d’imaginer divers scénarios possibles. Les choses à venir. Tu comprends ? Et j’ai craint à l’époque qu’une chose pareille se produise. Des villes ravagées. Des tentes déchirées. Des incendies.

— Oui ?… dit-elle en le fixant.

— J’ai pensé à une expérience… un plan.

— Dis-moi.

Mais Sax venait de se plonger dans la lecture d’un récent bulletin météo qui s’était déroulé sur l’écran, et elle attendit patiemment. Dès qu’il releva la tête, elle insista :

— Eh bien ?…

— Une cellule de haute pression descend de Xanthe vers Syrtis. Elle devrait être sur nous aujourd’hui. Ou demain. Dans Isidis, la pression sera de 340 millibars, avec en gros quarante-cinq pour cent d’azote, quarante pour cent d’oxygène et quinze pour cent de gaz carbo…

— Sax, je me fiche du temps !

— C’est respirable. (Il se tourna vers elle avec l’expression d’un lézard, ou plutôt d’un dragon, dans une attitude froide de créature post-humaine, habitante du vide.) Presque respirable. Si on filtre le CO2. Et ça, on peut le faire. Nous avons fabriqué des masques faciaux à Da Vinci. Ils sont faits d’un alliage de zyrconium méché. Très simple. Les molécules de CO2 sont plus grosses que celles d’oxygène ou d’azote, et nous avons ainsi constitué un filtre moléculaire. Qui est également un filtre actif, parce qu’il comporte une couche piézo-électrique et la charge générée par la déformation des matériaux sous l’effet de l’inhalation et de l’exhalation suscite un transfert actif d’oxygène à travers le filtre.

— Et la poussière ?

— C’est un jeu de filtres, par ordre de grandeur. La poussière est bloquée, puis les particules, et après le CO2. (Il regarda Nadia.) Je m’étais dit alors que les gens… pouvaient avoir besoin de fuir une ville. Et nous avons fabriqué un demi-million de masques. Il suffit de les mettre. Les bords sont en polymère adhésif. Ensuite, on respire l’air ambiant. Très simple.