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— On peut donc évacuer Burroughs.

— Je ne vois pas d’alternative. Nous ne pouvons pas prendre en charge autant de gens par les airs ou par train suffisamment vite. Mais nous pouvons marcher.

— Pour aller où ?

— Jusqu’à la gare de Libya.

— Sax, il y a soixante-dix kilomètres entre Burroughs et Libya, n’est-ce pas ?

— Soixante-treize.

— Ça fait une sacrée longue marche !

— Je crois que la plupart y arriveront s’il le faut, dit-il d’un ton égal. Et ceux qui ne le pourront pas seront récupérés par des patrouilleurs ou des dirigeables. Dès qu’ils auront rallié Libya, ils pourront s’en aller en train. Ou en dirigeable. Libya peut abriter vingt mille personnes en même temps. Si on les tasse.

Elle réfléchit en scrutant le visage inexpressif de Sax.

— Et où sont ces masques ?

— À Da Vinci. Mais ils ont d’ores et déjà été chargés dans des avions rapides et ils pourraient être ici dans quelques heures.

— Tu es certain qu’ils fonctionnent bien ?

Il acquiesça.

— Nous les avons essayés. Et j’en ai apporté quelques-uns. Je vais te montrer.

Il se dressa et prit son vieux sac noir. Il en sortit un jeu de masques blancs et en donna un à Nadia. Il couvrait le nez et la bouche, et ressemblait tout à fait à un masque anti-poussière ordinaire, si ce n’est qu’il était plus épais et avec une bordure collante.

Nadia l’examina longuement avant de le passer. Elle découvrit qu’elle respirait aussi aisément qu’avec un masque anti poussière, sans la moindre sensation d’étouffement. Les joints semblaient fonctionner parfaitement.

— Je vais aller l’essayer dehors, dit-elle.

Tout d’abord, Sax demanda à Da Vinci d’expédier les masques. Puis ils descendirent jusqu’au sas. La nouvelle à propos du plan et de l’essai s’était répandue et tous les masques de Sax furent vite distribués. Une dizaine de personnes accompagnèrent Nadia et Sax à l’extérieur, au nombre desquelles on comptait Zeyk, Nazik et Spencer Jackson, qui avait débarqué à Du Martheray dans l’heure précédente.

Ils portaient tous des walkers de surface de type courant, qui étaient des combinaisons faites de plusieurs couches de tissus isolants et de filaments chauffants, mais étaient désormais débarrassées des vieux matériaux pesants qui avaient été nécessaires dans les premières années de basse pression.

— Vous allez couper le chauffage de vos tenues, demanda Nadia. De cette façon, nous pourrons savoir ce qu’on ressent dans le froid avec des vêtements de ville.

Ils mirent leurs masques et entrèrent dans le sas du garage. L’air devint rapidement très froid. Puis la porte extérieure s’ouvrit.

Et ils s’avancèrent dans le monde de la surface.

Il était très froid. Nadia encaissa le choc en plein front, et aux yeux. Difficile de ne pas haleter en passant de 500 millibars à 340. Elle avait les yeux et le nez ruisselants. Elle expira, inspira. Le froid transperça ses poumons. Le froid dans ses yeux était l’impression la plus redoutable. Elle frissonna dans son walker : le froid était déjà dans sa poitrine. Il avait une note sibérienne. Il devait faire 260 K, c’est-à-dire –13°C. Pas si grave que ça. Mais elle n’y était pas accoutumée. Elle avait déjà eu froid aux mains et aux pieds sur Mars, mais cela faisait des années et des années – plus d’un siècle, à vrai dire ! – qu’elle n’avait ressenti le froid sur son visage et dans ses poumons.

Les autres se parlaient à voix haute, avec des échos qui semblaient bizarres à l’extérieur. Fini les intercoms ! Le col de son walker, où aurait dû se trouver son casque, était extrêmement glacé. La roche ancienne, fissurée et noire, du Grand Escarpement était recouverte d’une mince pellicule de givre nocturne. Elle découvrait une vision périphérique qu’elle n’avait jamais eue avec un casque – et le vent, les larmes qui ruisselaient sur ses joues dans le froid. Elle n’éprouvait aucune émotion particulière. Elle était surprise de voir à quel point les choses étaient offertes, sans visière ni autre écran. Elles avaient acquis une netteté aiguë et quasi hallucinatoire, même sous la clarté des étoiles. À l’est, le ciel, juste avant l’aube, était d’un somptueux bleu de Prusse, avec des cirrus d’altitude qui reflétaient la lumière, comme de longues queues de cheval roses. Les plis hachés du Grand Escarpement se détachaient en gris foncé, soulignés d’ombres noires. Et le vent soufflait dans les yeux de Nadia !

Les gens parlaient sans intercom, et leurs voix étaient ténues, désincarnées, leurs lèvres cachées par les masques. Nazik avait vraiment l’air d’une Bédouine voilée.

— Il fait très froid, dit-elle à Nadia. J’en ai les oreilles brûlantes. Et j’ai le vent dans les yeux. Et sur mon visage.

— Combien de temps tiendront les filtres ? demanda-t-elle à Sax en élevant la voix pour être certaine qu’il l’entende.

— Une centaine d’heures.

— Quel dommage qu’on exhale à travers !

Les filtres recevaient ainsi le double de CO2.

— Oui. Mais je n’ai rien trouvé pour éviter ça.

Ils étaient tous immobiles à la surface de Mars, la tête nue, avec un simple masque sur la bouche. L’air était ténu mais Nadia constata qu’elle n’éprouvait aucun vertige. Le pourcentage d’oxygène élevé compensait la faible pression atmosphérique.

— C’est la première fois que quelqu’un fait ça ? demanda Zeyk.

— Non, répondit Sax. Nous avons essayé très souvent à Da Vinci.

— C’est agréable ! Et pas aussi froid que je l’aurais cru !

— Et si tu marches vite, tu te réchaufferas.

Ils marchèrent un peu à pas prudents dans l’ombre. Mais il faisait vraiment très froid, se dit Nadia.

— Nous devrions rentrer.

— Il faudrait rester pour voir l’aube se lever, dit Sax. C’est très beau sans casque.

— Nous verrons d’autres aubes. Pour l’heure, nous avons à parler. J’ai froid.

— Mais c’est bon. Regarde, voilà un chou des Kerguelen. El une arénaire.

Il s’était agenouillé et écartait doucement une feuille velue pour lui révéler une fleur blanche, à peine visible dans la faible clarté.

Nadia le dévisagea.

— Viens, insista-t-elle.

Et ils rentrèrent.

Dans le sas, ils ôtèrent leurs masques, et regagnèrent le vestiaire en se frottant les yeux et en soufflant dans leurs mains gantées.

— Oh, il ne faisait pas aussi froid que ça, après tout !

— L’air avait un goût si délicieux !

Nadia enleva ses gants et se toucha le nez. Il était glacé, mais pas comme sous l’effet de la morsure du gel. Elle se tourna vers Sax. Il avait les yeux brillants et une expression curieusement excitée qui ne lui était guère habituelle, à la fois étrange et émouvante. Mais excités, ils l’étaient tous, et nerveux, au bord du rire alors que la situation était si dangereuse pour Burroughs.

— J’essaye depuis des années de relever le taux d’oxygène, déclarait Sax à Nazik, Spencer et Steve.

Spencer acquiesça.

— Mais je pensais que c’était pour aviver l’incendie de Kasei Vallis.

— Oh, non ! Pour le feu, dès qu’on dispose d’un certain taux d’oxygène, ce qui importe, c’est l’aridité et les matériaux qui doivent être consumés. Non, ce qui m’intéressait, c’était d’augmenter la pression de l’oxygène afin que les humains et les animaux puissent respirer cette atmosphère. À condition que le gaz carbonique soit en diminution.