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Elle les fusilla tous du regard et demanda la réponse à la question qu’elle leur avait posée.

Nirgal l’observait. Il se souvenait de la Méchante Sorcière qu’elle avait été. Comme ça devait être bizarre pour elle d’être si dure à certains moments, et tellement adorable à d’autres. La plupart des autres gens de Zygote, il pouvait les regarder en face et imaginer très bien être comme eux. Il lisait sur tous les visages, tout comme il savait voir la seconde couleur à l’intérieur de la première. Il avait ce genre de don, comme son sens hyper-affiné de la température. Mais il ne pouvait comprendre Maya.

Durant l’hiver, ils effectuèrent des forages en surface, en direction du cratère où Nadia construisait un abri et des dunes sombres striées de glace, au-delà. Mais quand la cape de brouillard se dissipait, ils devaient rester sous le dôme, ou dans la galerie. Là, ils ne pouvaient être aperçus du ciel. Nul ne savait avec certitude si la police les surveillait encore depuis l’espace, mais il valait mieux rester prudent. C’était du moins ce que disaient les issei. Peter était souvent absent, et ses voyages l’avaient conduit à croire que la chasse aux colonies cachées avait cessé. Et que, dans tous les cas, elle était vaine.

— Il existe des communautés résistantes qui ne se cachent plus. Et il y a un tel bruit thermique et visuel, et encore plus sur les ondes radio, qu’ils sont incapables d’intercepter les messages que nous pourrions recevoir.

Mais Sax, lui, se contentait de répéter :

— Les programmes de recherche algorithmiques sont très efficaces.

Maya, pour sa part, insistait pour qu’ils restent hors de vue, renforcent leurs défenses électroniques et renvoient toute la chaleur excédentaire loin dans le cœur de la calotte polaire. Sur ce point, Hiroko était d’accord avec elle, et, par conséquent, tous les suivaient.

— Pour nous, c’est différent, rétorqua Maya à Peter, avec une expression d’anxiété.

Un matin, à l’école, Sax leur apprit qu’il existait un mohole[8] à deux cents kilomètres au nord-ouest de Zygote. Le nuage qu’ils apercevaient parfois dans cette direction était son plumet de vapeur – parfois droit et dense, parfois dispersé vers l’est en minces effilochures. Quand Coyote revint, ils lui demandèrent au dîner s’il avait visité le mohole, et il leur dit que oui, et que le puits était maintenant tout près du cœur de Mars, dans la lave incandescente.

— C’est faux, dit Maya d’un ton implacable. Ils n’ont progressé que de dix ou quinze mille mètres. Et ils sont toujours dans la roche dure.

— Dure mais chaude, rectifia Hiroko. Et ils ont atteint les vingt mille, à ce que l’on m’a dit.

— Donc, ils travaillent pour nous, fit Maya. Tu ne crois pas que nous sommes des parasites, dans nos colonies de surface ? Ta viriditas n’irait pas loin sans leur ingénierie.

— À terme, la symbiose se fera, répliqua calmement Hiroko.

Elle fixa Maya jusqu’à ce qu’elle se lève et s’éloigne. Hiroko était la seule dans tout Zygote à pouvoir venir à bout de Maya d’un simple regard.

En observant sa mère après ce duel, Nirgal se dit qu’Hiroko était vraiment étrange. Elle lui parlait comme aux autres d’égal à égal, et il était clair pour elle que tous étaient réellement ses égaux, mais il n’y avait personne de spécial à ses yeux. Il se rappelait très précisément l’époque où les choses avaient été différentes, lorsque tous deux avaient été les deux parties d’un tout. Désormais, Hiroko lui portait le même intérêt qu’aux autres : impersonnel et distant. Et cela ne changerait pas, quoi qu’il puisse lui advenir, songeait Nirgal. Nadia et même Maya se préoccupaient plus de son sort. Pourtant, Hiroko était la mère de tous. Et Nirgal, comme la plupart des autres enfants de Zygote, continuait à lui rendre visite dans son petit abri de bambou quand il avait besoin de quelque chose qu’il ne pouvait trouver auprès des gens ordinaires – un conseil, une consolation…

Mais, le plus souvent, il la trouvait confinée dans le silence, avec son groupe d’intimes. Et s’il désirait rester, il devait cesser de parler. Quelquefois, cela durait pendant des jours, puis il finissait par abandonner. Ou bien alors, il faisait irruption pendant l’aréophanie, et il était aspiré par les psalmodies extatiques sur Mars, il devenait partie intégrante du petit groupe, là, au cœur du monde, à côté d’Hiroko, qui passait le bras sur ses épaules et le serrait contre elle.

C’était une forme d’amour, après tout, et ça le soulageait. Mais ça n’avait rien à voir avec l’amour d’autrefois, quand ils se promenaient ensemble sur la grève du lac.

Un matin, dans le vestiaire de l’école, il tomba sur Dao et Jackie. Ils sursautèrent en le voyant et, en entrant en classe, il comprit qu’il les avait surpris en train de s’embrasser.

Après la classe, il fit le tour du lac dans les reflets bleutés de l’après-midi d’été. Il observa longtemps la machine à vagues qui montait et redescendait, comme les pincements qu’il ressentait au creux de la poitrine. La douleur se diffusait dans son corps comme les rides à la surface de l’eau. Il n’y pouvait rien, même s’il savait que c’était ridicule, parfaitement ridicule. Tous, ils s’embrassaient souvent depuis quelque temps, surtout au bain, quand ils s’ébattaient, plongeaient, se serraient et se chatouillaient dans le bassin. Les filles s’embrassaient entre elles et disaient qu’elles « s’entraînaient », que ça ne comptait pas, et parfois elles faisaient la même chose avec les garçons. Rachel avait embrassé plusieurs fois Nirgal, de même qu’Emily, Tiu et Nanedi. Et même, une fois, Tiu et Nanedi l’avaient maintenu au sol tout en lui titillant les oreilles pour qu’il ait une érection devant tout le monde. Une autre fois, Jackie l’avait libéré et projeté dans le grand bassin avant de lui mordre l’épaule pendant qu’ils se battaient. C’étaient les souvenirs les plus marquants qu’il conservait de ces centaines de contacts humides qui donnaient autant d’importance aux heures de bain.

Mais quand ils n’étaient pas au bain, comme s’ils tentaient de contenir ces forces volatiles, ils étaient devenus extrêmement formalistes. Garçons et filles s’étaient regroupés en petites bandes qui jouaient séparément. Donc, un baiser dans le vestiaire était quelque chose de nouveau, et de grave. Et l’expression que Nirgal avait surprise sur le visage de Jackie et de Dao était tellement marquée de supériorité, comme s’ils connaissaient quelque chose qu’il ignorait – ce qui était vrai –, c’était une exclusion douloureuse. Plus particulièrement parce qu’il n’était pas aussi ignorant que ça. Il était convaincu qu’ils couchaient ensemble, qu’ils se faisaient jouir. Ils étaient amants. Tout le disait. Et sa Jackie si rieuse n’était plus à lui. En fait, elle ne l’avait jamais été.

Les nuits suivantes, il dormit mal. La chambre de Jackie était dans la canne voisine, et celle de Dao dans la direction opposée, et chaque grincement des passerelles révélait leurs pas furtifs.

Parfois, il surprenait la flamme vacillante orangée d’une lampe derrière sa fenêtre. Et, plutôt que de demeurer dans sa chambre de torture, il se mit à veiller tard chaque nuit dans les pièces communes. Là, il lisait ou écoutait les conversations des adultes.

C’est ainsi qu’il apprit la maladie de Simon. Simon était le père de Peter. C’était un homme paisible, qui passait son temps dans des expéditions, en compagnie de la mère de Peter, Ann. Apparemment, il souffrait d’une « leucémie résistante ». Vlad et Ursula s’aperçurent que Nirgal les écoutait, et ils essayèrent de le rassurer, mais il devina qu’ils ne lui disaient pas toute la vérité. En fait, il y avait une note de spéculation étrange dans leur regard. Plus tard, dès qu’il eut regagné sa chambre haut perchée, il se coucha et alluma son lutrin pour chercher « leucémie » et lut : Maladie potentiellement mortelle, que l’on traite désormais couramment. Potentiellement mortelle – quel concept abominable. Cette même nuit, il fut agité par des rêves pénibles jusqu’à l’aube grise où s’éveillaient les oiseaux. Les plantes mouraient, se dit-il, les animaux aussi. Mais pas les gens. Pourtant, ils étaient des animaux.

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8

Puits qui devaient être forés théoriquement à partir des fonds océaniques en direction du manteau terrestre. Ceci dans les années 60. Ils furent nommés «moholes» en hommage à Andrija Mohorowicic, géologue croate (1857–1936), qui fut le premier à définir les différences entre les diverses couches terrestres. La «discontinuité de Mohorowicic» sépare la croûte du manteau. (N.d.T.)