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Ils arrivèrent devant une sorte de grand pavillon où on lisait : « Faïences d’art du golfe Juan », et la voiture ayant tourné autour d’un gazon s’arrêta devant la porte.

Forestier voulait acheter deux vases pour les poser sur sa bibliothèque. Comme il ne pouvait guère descendre de voiture, on lui apportait les modèles l’un après l’autre. Il fut longtemps à choisir, consultant sa femme et Duroy :

« Tu sais, c’est pour le meuble au fond de mon cabinet. De mon fauteuil, j’ai cela sous les yeux tout le temps. Je tiens à une forme ancienne, à une forme grecque. »

Il examinait les échantillons, s’en faisait apporter d’autres, reprenait les premiers. Enfin, il se décida ; et ayant payé, il exigea que l’expédition fût faite tout de suite.

« Je retourne à Paris dans quelques jours », disait-il.

Ils revinrent, mais, le long du golfe, un courant d’air froid les frappa soudain glissé dans le pli d’un vallon, et le malade se mit à tousser.

Ce ne fut rien d’abord, une petite crise ; mais elle grandit, devint une quinte ininterrompue, puis une sorte de hoquet, un râle.

Forestier suffoquait, et chaque fois qu’il voulait respirer la toux lui déchirait la gorge, sortie du fond de sa poitrine. Rien ne la calmait, rien ne l’apaisait. Il fallut le porter du landau dans sa chambre, et Duroy, qui lui tenait les jambes, sentait les secousses de ses pieds, à chaque convulsion de ses poumons.

La chaleur du lit n’arrêta point l’accès qui dura jusqu’à minuit ; puis les narcotiques, enfin, engourdirent les spasmes mortels de la toux. Et le malade demeura jusqu’au jour, assis dans son lit, les yeux ouverts.

Les premières paroles qu’il prononça furent pour demander le barbier, car il tenait à être rasé chaque matin. Il se leva pour cette opération de toilette ; mais il fallut le recoucher aussitôt, et il se mit à respirer d’une façon si courte, si dure, si pénible, que Mme Forestier, épouvantée, fit réveiller Duroy, qui venait de se coucher, pour le prier d’aller chercher le médecin.

Il ramena presque immédiatement le Docteur Gavaut qui prescrivit un breuvage et donna quelques conseils ; mais comme le journaliste le reconduisait pour lui demander son avis :

« C’est l’agonie, dit-il. Il sera mort demain matin. Prévenez cette pauvre jeune femme et envoyez chercher un prêtre. Moi, je n’ai plus rien à faire. Je me tiens cependant entièrement à votre disposition. »

Duroy fit appeler Mme Forestier :

« Il va mourir. Le docteur conseille d’envoyer chercher un prêtre. Que voulez-vous faire ? »

Elle hésita longtemps, puis, d’une voix lente, ayant tout calculé :

« Oui, ça vaut mieux… sous bien des rapports… Je vais le préparer, lui dire que le curé désire le voir… Je ne sais quoi, enfin. Vous seriez bien gentil, vous, d’aller m’en chercher un, un curé, et de le choisir. Prenez-en un qui ne nous fasse pas trop de simagrées. Tâchez qu’il se contente de la confession, et nous tienne quittes du reste. »

Le jeune homme ramena un vieil ecclésiastique complaisant qui se prêtait à la situation. Dès qu’il fut entré chez l’agonisant, Mme Forestier sortit, et s’assit, avec Duroy, dans la pièce voisine.

« Ça l’a bouleversé, dit-elle. Quand j’ai parlé d’un prêtre, sa figure a pris une expression épouvantable comme… comme s’il avait senti… senti… un souffle… vous savez… Il a compris que c’était fini, enfin, et qu’il fallait compter les heures… »

Elle était fort pâle. Elle reprit :

« Je n’oublierai jamais l’expression de son visage. Certes, il a vu la mort à ce moment-là. Il l’a vue… »

Ils entendaient le prêtre, qui parlait un peu haut, étant un peu sourd, et qui disait :

« Mais non, mais non, vous n’êtes pas si bas que ça. Vous êtes malade, mais nullement en danger. Et la preuve c’est que je viens en ami, en voisin. »

Ils ne distinguèrent pas ce que répondit Forestier. Le vieillard reprit :

« Non, je ne vous ferai pas communier. Nous causerons de ça quand vous irez bien. Si vous voulez profiter de ma visite pour vous confesser par exemple, je ne demande pas mieux. Je suis un pasteur, moi, je saisis toutes les occasions pour ramener mes brebis. »

Un long silence suivit. Forestier devait parler de sa voix haletante et sans timbre.

Puis tout d’un coup, le prêtre prononça, d’un ton différent, d’un ton d’officiant à l’autel :

« La miséricorde de Dieu est infinie, récitez le Confiteor, mon enfant. — Vous l’avez peut-être oublié, je vais vous aider. — Répétez avec moi : Confiteor Deo omnipotenti… Beatae Mariae semper virgini… »

Il s’arrêtait de temps en temps pour permettre au moribond de le rattraper. Puis il dit :

« Maintenant, confessez-vous… »

La jeune femme et Duroy ne remuaient plus, saisis par un trouble singulier, émus d’une attente anxieuse.

Le malade avait murmuré quelque chose. Le prêtre répéta :

« Vous avez eu des complaisances coupables… de quelle nature, mon enfant ? »

La jeune femme se leva, et dit simplement :

« Descendons un peu au jardin. Il ne faut pas écouter ses secrets. »

Et ils allèrent s’asseoir sur un banc, devant la porte, au-dessous d’un rosier fleuri, et derrière une corbeille d’œillets qui répandait dans l’air pur son parfum puissant et doux.

Duroy après quelques minutes de silence, demanda :

« Est-ce que vous tarderez beaucoup à rentrer à Paris ? »

Elle répondit :

« Oh ! Non. Dès que tout sera fini je reviendrai.

— Dans une dizaine de jours ?

— Oui, au plus. »

Il reprit :

« Il n’a donc aucun parent ?

— Aucun, sauf des cousins. Son père et sa mère sont morts comme il était tout jeune. »

Ils regardaient tous deux un papillon cueillant sa vie sur les œillets, allant de l’un à l’autre avec une rapide palpitation des ailes qui continuaient à battre lentement quand il s’était posé sur la fleur. Et ils restèrent longtemps silencieux.

Le domestique vint les prévenir que « M. le curé avait fini ». Et ils remontèrent ensemble.

Forestier semblait avoir encore maigri depuis la veille.

Le prêtre lui tenait la main.

« Au revoir, mon enfant, je reviendrai demain matin. »

Et il s’en alla.

Dès qu’il fut sorti, le moribond, qui haletait, essaya de soulever ses deux mains vers sa femme et il bégaya :

« Sauve-moi… sauve-moi… ma chérie… je ne veux pas mourir… je ne veux pas mourir… Oh ! Sauvez-moi… Dites ce qu’il faut faire, allez chercher le médecin… Je prendrai ce qu’on voudra… Je ne veux pas… Je ne veux pas… »

Il pleurait. De grosses larmes coulaient de ses yeux sur ses joues décharnées ; et les coins maigres de sa bouche se plissaient comme ceux des petits enfants qui ont du chagrin.

Alors ses mains retombées sur le lit commencèrent un mouvement continu, lent et régulier, comme pour recueillir quelque chose sur les draps.

Sa femme qui se mettait à pleurer aussi balbutiait :

« Mais non, ce n’est rien. C’est une crise, demain tu iras mieux, tu t’es fatigué hier avec cette promenade. »

L’haleine de Forestier était plus rapide que celle d’un chien qui vient de courir, si pressée qu’on ne la pouvait point compter, et si faible qu’on l’entendait à peine.

Il répétait toujours :

« Je ne veux pas mourir !.. Oh ! Mon Dieu… mon Dieu… mon Dieu… qu’est-ce qui va m’arriver ? Je ne verrai plus rien… plus rien… jamais… Oh ! Mon Dieu ! »