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Gontran s’était levé, et, souriant avec cette ironie fine qui allait bien sur sa lèvre :

— Oui, mon cher, je comprends, et vous avez tout à fait raison, d’autant plus raison que mon grand-père, le vieux marquis de Ravenel, n’a presque rien laissé à mon pauvre père, par suite de la mauvaise habitude qu’il avait de ne jamais ramasser la monnaie rendue par les marchands quand il payait un objet quelconque. Il trouvait cela indigne d’un gentilhomme, et donnait toujours la somme ronde et la pièce entière.

Et Gontran sortit d’un air très content.

III

On allait se mettre à table pour dîner, le lendemain, dans la salle à manger particulière des familles Andermatt et de Ravenel, quand Gontran ouvrit la porte en annonçant :

— Mesdemoiselles Oriol.

Elles entrèrent, gênées, poussées par lui qui riait en s’expliquant :

— Voilà, je les ai enlevées toutes les deux, en pleine rue. Ça a fait scandale, d’ailleurs. Je vous les amène de force, parce que j’ai à m’expliquer avec Mademoiselle Louise et que je ne pouvais le faire au milieu du pays.

Il leur ôta leurs chapeaux, leurs ombrelles, qu’elles avaient encore, car elles revenaient d’une promenade, les fit asseoir, embrassa sa sœur, serra les mains de son père, de son beau-frère et de Paul, puis, revenant vers Louise Oriol :

— Ah çà, Mademoiselle, voulez-vous me dire, à présent, ce que vous avez contre nous depuis quelque temps ?

Elle semblait effarée comme un oiseau pris au filet et que le chasseur emporte.

— Mais rien, Monsieur, rien de rien ! Qu’est-ce qui vous a fait croire ça ?

— Mais tout, Mademoiselle, tout de tout ! Vous ne venez plus ici, vous ne venez plus dans l’arche de Noé (il avait ainsi baptisé le grand landau). Vous prenez des airs revêches quand je vous rencontre et quand je vous parle.

— Mais non, Monsieur, je vous assure.

— Mais oui, Mam’zelle, je vous l’affirme. En tout cas je ne veux point que cela dure et je vais signer la paix avec vous, aujourd’hui même. Oh ! Vous savez, je suis entêté, moi. Vous aurez beau me faire grise mine, je saurai bien venir à bout de ces manières-là et vous forcer à devenir gracieuse avec nous comme votre sœur, qui est un ange de gentillesse.

On annonça le dîner servi et ils passèrent dans la salle à manger. Gontran prit le bras de Louise.

Il fut plein d’attentions pour elle et pour sa sœur, partageant ses compliments avec un tact admirable, disant à la cadette :

— Vous, vous êtes notre camarade, je vais vous négliger pendant quelques jours. On fait moins de frais pour les amis que pour les autres, vous savez.

Et il disait à l’aînée :

— Vous, je veux vous séduire, Mademoiselle, et je vous préviens en ennemi loyal. Je vous ferai même la cour. Ah ! Vous rougissez, c’est bon signe. Vous verrez que je suis très gentil quand je m’en donne la peine. N’est-ce pas, Mademoiselle Charlotte ?

Et elles rougissaient, en effet, toutes les deux ; et Louise balbutiait de son air grave :

— Oh ! Monsieur, comme vous êtes fou !

Il répondait :

— Bah ! Vous en entendrez bien d’autres plus tard, dans le monde, quand vous serez mariée, ce qui ne tardera pas. C’est alors qu’on vous en fera, des compliments !

Christiane et Paul Brétigny l’approuvaient d’avoir ramené Louise Oriol ; le marquis souriait, amusé par ce marivaudage enfantin ; Andermatt pensait : « Pas bête, le gaillard. » Et Gontran, irrité du rôle qu’il lui fallait jouer, porté par ses sens vers Charlotte et par son intérêt vers Louise, murmurait entre ses dents, avec des sourires pour celle-ci :

— Ah ! Ton gredin de père a cru me jouer ; mais je vais te mener tambour battant, ma petite ; et tu verras si je m’y prends bien.

Et il les comparait en les regardant l’une après l’autre. Certes, la plus jeune lui plaisait davantage ; elle était plus drôle, plus vivante, avec son nez un peu relevé, ses yeux vifs, son front étroit et ses belles dents un peu trop grandes, dans sa bouche un peu trop large.

Cependant, l’autre était aussi jolie, plus froide, moins gaie. Elle n’aurait jamais d’esprit, celle-là, ni de charme dans la vie intime, mais quand on annoncerait à l’entrée d’un bal : « Madame la comtesse de Ravenel », elle pourrait bien porter son nom, mieux que la cadette peut-être, avec un peu d’habitude et de frottement aux gens bien nés. N’importe, il rageait ; il leur en voulait à toutes les deux, au père et au frère aussi, et il se promettait de leur faire payer sa mésaventure plus tard, quand il serait le maître.

Lorsqu’on fut revenu dans le salon, il se fit dire les cartes par Louise, qui savait fort bien annoncer l’avenir. Le marquis, Andermatt et Charlotte écoutaient avec attention, attirés malgré eux par le mystère de l’inconnu, par le possible de l’invraisemblable, par cette crédulité invincible au merveilleux qui hante l’homme et trouble souvent les plus forts esprits devant les plus niaises inventions des charlatans.

Paul et Christiane causaient dans l’embrasure d’une fenêtre ouverte.

Elle était misérable depuis quelque temps, ne se sentant plus chérie de la même façon ; et leur malentendu d’amour s’accentuait chaque jour par leur faute mutuelle. Elle avait soupçonné ce malheur pour la première fois, le soir de la fête, en emmenant Paul sur la route. Mais, comprenant qu’il n’avait plus la même tendresse dans le regard, la même caresse dans la voix, le même souci passionné qu’autrefois, elle n’avait pu deviner la cause de ce changement.

Il existait depuis longtemps, depuis le jour où elle lui avait crié, avec bonheur, en arrivant au rendez-vous quotidien :

— Tu sais, je me crois enceinte vraiment.

Il avait éprouvé alors, à fleur de peau, un petit frisson désagréable.

Puis, à chacune de leurs rencontres, elle lui parla de cette grossesse qui faisait bondir son cœur de joie ; mais cette préoccupation d’une chose qu’il jugeait, lui, fâcheuse, vilaine, malpropre, froissait son exaltation dévote pour l’idole qu’il adorait.

Plus tard, quand il la vit changée, maigrie, les joues creuses, le teint jaune, il pensa qu’elle aurait dû lui épargner ce spectacle et disparaître quelques mois, pour reparaître ensuite plus fraîche et plus jolie que jamais, en sachant faire oublier cet accident, ou peut-être en sachant unir à son charme coquet de maîtresse, un autre charme, savant et discret, de jeune mère, qui ne laisse voir son enfant que de loin, enveloppé de rubans roses.

Elle avait d’ailleurs une occasion rare de montrer ce tact qu’il attendait d’elle, en allant passer l’été à Mont-Oriol et en le laissant à Paris, lui, pour qu’il ne la vît pas défraîchie et déformée. Il espérait bien qu’elle le comprendrait !

Mais, à peine arrivée en Auvergne elle l’avait appelé en des lettres incessantes et désespérées, si nombreuses et si pressantes qu’il était venu par faiblesse, par pitié. Et maintenant, elle l’accablait de sa tendresse disgracieuse et gémissante ; et il éprouvait un désir immodéré de la quitter, de ne plus la voir, de ne plus l’entendre chanter sa chanson amoureuse, irritante et déplacée. Il aurait voulu lui crier tout ce qu’il avait sur le cœur, lui expliquer combien elle se montrait maladroite et sotte, mais il ne le pouvait faire, et il n’osait pas s’en aller, et il ne pouvait non plus s’abstenir de lui témoigner son impatience par des paroles amères et blessantes.