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Je ne vais pas vous décrire ce que raconte Boule de suif, si vous ne l’avez pas encore lu, puisque cette nouvelle se trouve bien évidemment dans les présentes Œuvres complètes, et que vous pouvez la lire sur le champ si bon vous semble. Mais je vous apprendrai que Boule de suif fut immédiatement considérée comme la meilleure de toutes les nouvelles que rassemble Les Soirées de Médan, au point que quelques critiques littéraires renommés de cette fin de XIXe siècle la considérèrent comme rien de moins qu’un chef-d’œuvre. Il est dit que Boule de suif, et l’impression que fit cette nouvelle sur le monde littéraire de cette même époque, fut « la dernière grande satisfaction de Gustave Flaubert avant sa mort », en mai 1880.

Lorsque Maupassant dit plus tard que son « passage dans le monde de la littérature fut aussi rapide que pouvait l’être une météorite », on sait aujourd’hui que c’était surtout à Boule de suif qu’il songeait. Guy de Maupassant sentit clairement venir sa fin, en effet, et il savait également qu’elle arriverait bien vite. Toutefois, entre Boule de suif, en 1880, et 1893, année de sa mort, il eut le temps d’écrire 30 livres, et de assez de pièces et de chroniques pour en remplir près d’une trentaine d’autres, puisque ces Œuvres complètes rassemblent 58 livres et recueils exactement[6].

Au lecteur désireux de se faire rapidement une idée de la grande variété de sujets à propos desquels écrivit Guy de Maupassant, je recommande la lecture du recueil de nouvelles La Maison Tellier (publié en 1881). Mais d’un point de vue plus personnel, je recommanderai peut-être plus encore la lecture des Chroniques (classées par années et dates de publication). De plus, la plupart de ces courts articles sont d’une étonnante actualité, au point que je me suis parfois surpris à penser que beaucoup d’entre-eux pourraient être republiés tels quels, en changeant simplement quelques noms et dates, pour parfaitement commenter notre société française contemporaine !

Guy de Maupassant avait une vision très critique, souvent pertinente, de la société française de 1880 (comme celle-ci semble exactement semblable à celle de notre XXIe siècle, sous la plume de cet auteur !). Il se montrait inconstant dans les thèmes qu’il abordait, comme si écrire était un besoin compulsif, peu importe le sujet ; mais très constant, au contraire, dans sa détermination et sa perception de la société. Guy de Maupassant apparait comme un homme en quête permanente de vérité, ainsi que le trahit la lecture de Une vie (publié en 1883). Une vie propose une vision du monde et des gens tels que Guy de Maupassant les percevait lorsqu’il n’était encore qu’un enfant : les petits drames familiaux et dans les amitiés, les préoccupations des gens ordinaires, tous et toujours saisis sur le vif et restitués avec grand réalisme, sans indulgence pour quiconque.

Guy de Maupassant est cependant prompt à critiquer la bourgeoisie, et l’élite intellectuelle comme politique, de son époque, et il méprise tout ce qui lui semble être du snobisme. Pourtant, avec son grand château, ses croisières à bord de son yacht sur la Méditerranée, ses domestiques, ses participations à des soirées mondaines, ses nombreuses aventures féminines et son très visisble plaisir à être inclus dans une intelligentsia très élitiste qui l’accueillit et l’aida à devenir ce qu’il fut, Guy de Maupassant est un parfait représentant de ceux qu’il cherche constamment à ridiculiser, dans tous ses écrits.

Je ne dirai pas qu’il s’agit d’un paradoxe, parce que c’est là un comportement si commun ; n’est-ce pas ?[7] Guy de Maupassant aurait-il toujours désiré être « un autre », au point d’en souffrir terriblement ? Aurait-il voulu être un aventurier, un Lawrence d’Arabie ou, plus modestement, un Rudyard Kippling ? Je me le suis sincèrement demandé en lisant certaines de ses chroniques, et, plus encore, les quelques pages qu’il écrivit durant ses périples à bord de son yacht (d’ailleurs aussi instructives qu’agréables à lire ; ne les manquez pas…). Guy de Maupassant ne donna-t-il pas le nom de Horla à une montgolfière, à bord de laquelle il devint un aéronaute (Le Voyage du Horla, dans le recueil Contes divers — 1887), un aventurier moderne de son temps, un « presque Jules Verne » le temps d’une nouvelle ou deux ?

Comme un loyal disciple de Flaubert et de Zola le ferait immanquablement, Guy de Maupassant présente ses personnages avec une objectivité toute stricte dont tant d’écrivains sont incapables. Il sait faire abstraction de son jugement personnel et même de ses émotions, comme sut le faire Geoffrey Chaucer pour nous rapporter les horreurs d’une époque plus reculée. Mais il relève toujours les mots, les gestes, les comportements et mêmes les réticences, qui trahissent pour nous l’essentiel devant être trouvé en chacun de ses personnages, en utilisant parfois pour ce faire un contexte agissant comme le cadre le fait pour la toile. La concision, la force, et, par-dessous tout, une extrême économie de mots, sont les caractéristiques de l’écriture selon Maupassant. Il est fort apprécié dans le texte à l’étranger, précisément parce qu’il est simple à lire, parce qu’il oblige rarement celui dont le français n’est pas la langue natale à la consultation d’un dictionnaire.

Guy de Maupassant écrivit sans cesse jusqu’à ce que la maladie l’en empêche ; ce fut une frénésie, ainsi qu’en témoignent les pages qu’il nous laissa de ses échappées en mer, parlant de tout et de n’importe quoi. En deux années seulement, il écrivit six recueils de nouvelles : Mademoiselle Fifi et Les Contes de la bécasse en 1883, Clair de lune, Les sœurs Rondoli, Yvette, et Miss Harriet en 1884. Dans le même temps, il écrivit de nombreux articles pour les revues et journaux Gil Blas, Le Gaulois et le Figaro.

La névrose n’était pas l’inconnu pour Guy de Maupassant ; elle toucha plusieurs membres de sa famille durant plusieurs générations. Dans son cas, le mal se manifestait également par des troubles de la vue et de terribles maux de tête. Il travaillait sans relâche pour tenter d’apaiser l’anxiété qui le rongeait à petit feu ; il se livrait à de violents efforts sportifs, et multipliait les aventures jusqu’à en être épuisé. Convaincu qu’il ne pouvait échapper à une triste fin, il cherchait à profiter le plus possible d’une existence qui serait courte, et à tirer le maximum de toutes ses potentialités, de son talent ; tout ce qu’il pouvait laisser à la postérité. De même, il consommait toutes sortes de médicaments, de stimulants et de drogues, à l’excès.

S’il écrivit des textes courts, pour l’essentiel, il nous laissa tout de même quelques romans, Bel-Ami en particulier (pour le plus populaire), complètement inspiré de la vie parisienne qu’il observait comme le ferait un Sherlock Holmes. Il s’attarda un peu sur les journalistes cyniques, et sur les financiers comptant parmi les plus durs et les plus habiles. Bel-Ami est la satyre d’une société dont les membres n’hésitent pas à se débarrasser de tous les obstacles encombrant le chemin de leurs ambitions. Bel-Ami est également le héros du récit portant son surnom, et qui est devenu depuis un modèle de ce genre de personnages pour les générations d’auteurs qui ont suivi. Et d’ailleurs, Bel-Ami fut un tel succès, dès sa sortie, que c’est grâce aux ventes de ce seul livre que Guy de Maupassant put s’offrir son yacht, qu’il s’empressa de baptiser du même nom.

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6

Un peu plus de 30 ont précédemment été publiés en papier ; certains des livres de ces Œuvres complètes sont des regroupements de mon fait, ce qui porte ce nombre à 58.

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7

Depuis 1981, environ, ont appelle ça « gauche-caviar ».