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Mazelli, cependant, eut l’air tout à coup de prendre de l’avantage. Il semblait devenu plus intime avec elle, comme si un accord secret se fût établi entre eux. En lui parlant, il jouait légèrement avec son ombrelle et avec un ruban de sa robe, ce qui semblait à Paul une sorte d’acte de possession morale, et l’exaspérait à lui donner envie de souffleter l’Italien.

Mais un jour, dans la maison du père Oriol, alors que Brétigny causait avec Louise et Gontran, tout en surveillant du regard Mazelli contant, à voix basse, à Charlotte des choses qui la faisaient sourire, il la vit soudain rougir avec un air si troublé qu’il ne put douter une seconde que l’autre n’eût parlé d’amour. Elle avait baissé les yeux, ne souriait plus, mais écoutait toujours ; et Paul, se sentant prêt à faire un éclat, dit à Gontran :

— Tu serais bien gentil de sortir cinq minutes avec moi.

Le comte s’excusa près de sa fiancée et suivit son ami.

Dès qu’ils furent dans la rue, Paul s’écria :

— Mon cher, il faut à tout prix empêcher ce misérable Italien de séduire cette enfant qui est sans défense contre lui.

— Que veux-tu que j’y fasse, moi ?

— Que tu la préviennes de ce qu’est cet aventurier.

— Hé, mon cher, ces choses-là ne me regardent pas.

— Enfin, elle sera ta belle-sœur.

— Oui, mais rien ne me prouve absolument que Mazelli ait sur elle des vues coupables. Il est galant de la même façon avec toutes les femmes, et il n’a jamais rien fait ou rien dit d’inconvenant.

— Eh bien si tu ne veux pas t’en charger, c’est moi qui l’exécuterai, bien que cela me regarde moins que toi assurément.

— Tu es donc amoureux de Charlotte ?

— Moi ?… non… mais je vois clair dans le jeu de ce gredin.

— Mon cher, tu te mêles de choses délicates… et… à moins que tu n’aimes Charlotte… ?

— Non… je ne l’aime pas… mais je fais la chasse aux rastaquouères, voilà…

— Puis-je te demander ce que tu comptes faire ?

— Gifler ce gueux.

— Bon, le meilleur moyen de le faire aimer d’elle. Vous vous battrez, et soit qu’il te blesse, soit que tu le blesses, il deviendra pour elle un héros.

— Alors que ferais-tu ?

— À ta place ?

— À ma place.

— Je parlerais à la petite, en ami. Elle a grande confiance en toi. Eh bien, je lui dirais simplement, en quelques mots, ce que sont ces écumeurs de société. Tu sais très bien dire ces choses-là. Tu as de la flamme. Et je lui ferais comprendre : 1º pourquoi il s’est attaché à l’Espagnole ; 2º pourquoi il a essayé le siège de la fille du professeur Cloche ; 3º pourquoi, n’ayant pas réussi dans cette tentative, il s’efforce, en dernier lieu, de conquérir Mlle’ Charlotte Oriol.

— Pourquoi ne fais-tu pas cela, toi, qui seras son beau-frère ?

— Parce que… parce que… à cause de ce qui s’est passé entre nous… voyons… je ne peux pas.

— C’est juste. Je vais lui parler.

— Veux-tu que je te ménage un tête-à-tête tout de suite ?

— Mais oui, parbleu.

— Bon, promène-toi dix minutes, je vais enlever Louise et le Mazelli, et tu trouveras l’autre toute seule en revenant.

Paul Brétigny s’éloigna du côté des gorges d’Enval, cherchant comment il allait commencer cette conversation difficile.

Il retrouva Charlotte Oriol seule, en effet, dans le froid salon, peint à la chaux, de la demeure paternelle ; et il lui dit, en s’asseyant près d’elle :

— C’est moi, Mademoiselle, qui ai prié Gontran de me procurer cette entrevue avec vous.

Elle le regarda de ses yeux clairs :

— Pourquoi donc ?

— Oh ! Ce n’est pas pour vous conter des fadeurs à l’italienne, c’est pour vous parler en ami, en ami très dévoué qui vous doit un conseil.

— Dites.

Il prit la chose de loin, s’appuya sur son expérience à lui et sur son inexpérience à elle, pour amener tout doucement des phrases discrètes mais nettes sur les aventuriers qui cherchent partout fortune, exploitant, avec leur habileté professionnelle, tous les êtres naïfs et bons, hommes ou femmes, dont ils exploraient les bourses et les cœurs.

Elle était devenue un peu pâle et l’écoutait, sérieuse, de toutes ses oreilles.

Elle demanda :

— Je comprends et je ne comprends pas. Vous parlez de quelqu’un, de qui ?

— Je parle du Docteur Mazelli.

Alors elle baissa les yeux et demeura quelques instants sans répondre, puis d’une voix qui hésitait :

— Vous êtes si franc, que je ferai comme vous. Depuis… depuis le… depuis le mariage de ma sœur, je suis devenue un peu moins… un peu moins bête ! Eh bien, je me doutais déjà de ce que vous me dites… et je m’amusais toute seule à le voir venir.

Elle avait relevé son visage, et, dans son sourire, dans son regard fin, dans son petit nez retroussé, dans l’éclat humide et luisant de ses dents apparues entre ses lèvres, tant de grâce sincère, de malice gaie, d’espièglerie charmante apparaissaient, que Brétigny se sentit emporté vers elle par un de ces élans tumultueux qui le jetaient éperdu de passion aux pieds de la dernière aimée. Et son cœur exultait de joie, puisque Mazelli n’était point préféré. Il avait donc triomphé, lui !

Il demanda :

— Alors, vous ne l’aimez pas ?

— Qui ? Mazelli ?

— Oui.

Elle le regarda avec des yeux si chagrins qu’il se sentit bouleversé, il balbutia d’une voix suppliante :

— Eh… vous n’aimez… personne ?

Elle répondit, le regard baissé :

— Je ne sais pas… J’aime les gens qui m’aiment.

Il saisit soudain les deux mains de la jeune fille et, les baisant avec frénésie, dans une de ces secondes d’entraînement où la tête s’affole, où les mots qui sortent des lèvres viennent de la chair soulevée plus que de l’esprit égaré, il balbutia :

— Moi ! Je vous aime, ma petite Charlotte, moi, je vous aime !

Elle dégagea bien vite une de ses mains et la lui posa sur la bouche en murmurant :

— Taisez-vous… Je vous en prie, taisez-vous !.. Cela me ferait trop de mal si c’était encore un mensonge.

Elle s’était dressée ; il se leva, la saisit dans ses bras, et l’embrassa avec emportement.

Un bruit subit les sépara ; le père Oriol venait d’entrer et il les regardait effaré. Puis il cria :

— Ah bougrrre ! ah bougrrre !.. ah bougrrre !.. de chauvage… !

Charlotte s’était sauvée ; et les deux hommes restèrent face à face.

Paul, après quelques instants de détresse, essaya de s’expliquer.

— Mon Dieu… Monsieur… je me suis conduit… il est vrai… comme un…

Mais le vieux n’écoutait pas ; la colère, une colère furieuse, le gagnait et il avançait sur Brétigny, les poings fermés, en répétant :

— Ah ! bougrrre de chauvage…

Puis, quand ils furent nez à nez, il le saisit au collet de ses deux mains noueuses de paysan. Mais l’autre, aussi grand, et fort de cette force supérieure que donne la pratique des sports, se débarrassa par une seule poussée de l’étreinte de l’Auvergnat, et le collant au mur :