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Elle se sentait souffrante, très souffrante, inquiète. Elle avait peur, sans savoir de quoi. Et puis une idée lui était venue et grandissait depuis quelques jours dans son cerveau de femme enceinte. Elle voulait consulter le Docteur Black. À force d’entendre autour d’elle des plaisanteries sur le Docteur Latonne elle avait perdu toute confiance en lui et elle désirait un autre avis, celui du Docteur Black, dont le succès grandissait toujours. Des craintes, toutes les craintes, toutes les hantises dont sont assiégées les femmes vers la fin des grossesses, la tenaillaient maintenant du matin au soir. Depuis la veille, à la suite d’un rêve, elle se figurait l’enfant mal tourné, placé de telle sorte que l’accouchement serait impossible et qu’il faudrait avoir recours à l’opération césarienne. Et elle assistait en pensée à cette opération faite sur elle-même. Elle se voyait sur le dos, le ventre ouvert, dans un lit plein de sang, tandis qu’on emportait quelque chose de rouge, qui ne remuait pas, qui ne criait pas, qui était mort. Et toutes les dix minutes elle fermait les yeux pour revoir cela, pour assister de nouveau à son horrible et douloureux supplice. Alors elle s’était imaginé que le Docteur Black, seul, pourrait lui dire la vérité, et elle le réclamait immédiatement, elle exigeait qu’il l’examinât tout de suite, tout de suite, tout de suite !

Andermatt, fort troublé, ne savait plus que répondre :

— Mais, ma chère enfant, c’est bien difficile, étant données mes relations avec Latonne… c’est… même impossible. Écoute, j’ai une idée, je vais chercher le professeur Mas-Roussel qui est cent fois plus fort que Black. Il ne me refusera pas de venir.

Mais elle s’obstina. Elle voulait voir Black, rien que lui ! Elle avait besoin de le voir, de voir sa grosse tête de dogue à côté d’elle. C’était une envie, un désir fou et superstitieux ; il le lui fallait.

Alors William essaya de changer le cours de ses idées :

— Tu ne sais pas que cet intrigant de Mazelli a enlevé, cette nuit, la fille du professeur Cloche. Ils sont partis ; ils ont filé on ne sait où. En voilà une histoire !

Elle s’était soulevée sur son oreiller, les yeux agrandis par le chagrin ; et elle balbutiait :

— Oh ! La pauvre duchesse… la pauvre femme, comme je la plains.

Son cœur, depuis longtemps, avait compris ce cœur meurtri et passionné ! Elle souffrait du même mal et pleurait les mêmes larmes.

Mais elle reprit :

— Écoute, Will, va me chercher M. Black. Je sens que je vais mourir s’il ne vient pas !

Andermatt lui saisit la main, la baisa tendrement :

— Voyons, ma petite Christiane, sois raisonnable… comprends…

Il vit des larmes dans ses yeux, et, se tournant vers le marquis :

— C’est vous qui devriez faire ça, mon cher beau-père. Moi je ne peux pas. Black vient ici tous les jours vers une heure pour voir la princesse de Maldebourg. Arrêtez-le au passage et faites-le entrer chez votre fille. Tu peux bien attendre une heure, n’est-ce pas, Christiane ?

Elle consentit à attendre une heure, mais refusa de se lever pour déjeuner avec les hommes qui passèrent seuls dans la salle à manger.

Paul y était déjà. Andermatt, en l’apercevant, s’écria :

— Ah ! Dites donc, qu’est-ce qu’on m’a raconté tout à l’heure ? Vous épousez Charlotte Oriol ? Ça n’est pas vrai, n’est-ce pas ?

Le jeune homme répondit à mi-voix, en jetant un regard inquiet sur la porte fermée :

— Mon Dieu oui !

Personne ne le sachant encore, tous les trois demeuraient ébahis devant lui.

William demanda :

— Qu’est-ce qui vous a pris ? Avec votre fortune, vous marier ? Vous embarrasser d’une femme quand vous les avez toutes ? Et puis enfin la famille laisse à désirer comme élégance. C’est bon pour Gontran qui n’a pas le sou !

Brétigny se mit à rire :

— Mon père a fait fortune dans les farines, il était donc meunier… en gros. Si vous l’aviez connu, vous auriez pu dire aussi qu’il manquait d’élégance. Quant à la jeune fille…

Andermatt l’interrompit :

— Oh ! Parfaite… délicieuse… parfaite… et… vous savez… elle sera aussi riche que vous… sinon plus… j’en réponds, moi, j’en réponds !..

Gontran murmurait :

— Oui, le mariage ça n’empêche rien et ça couvre les retraites. Seulement il a eu tort de ne pas nous prévenir. Comment diable s’est faite cette affaire-là, mon cher ?

Alors Paul conta la chose en la modifiant un peu. Il dit ses hésitations qu’il exagéra, et sa décision subite quand un mot de la jeune fille lui avait permis de se croire aimé. Il raconta l’entrée inattendue du père Oriol, leur querelle, en l’amplifiant, les doutes du paysan sur sa fortune et le papier timbré tiré de l’armoire.

Andermatt, riant aux larmes, tapait du poing sur la table :

— Ah ! Il l’a refait, le coup du papier timbré ! Elle est de mon invention, celle-là !

Mais Paul balbutia en rougissant un peu :

— Je vous prie de ne pas annoncer encore cette nouvelle à votre femme. Dans les termes où nous sommes, il est plus convenable que je la lui porte moi-même…

Gontran regardait son ami avec un sourire bizarre et gai qui semblait dire :

— C’est très bien, tout cela, très bien ! Voilà comment les choses doivent finir, sans bruit, sans histoires, sans drames.

Il proposa :

— Si tu veux, mon vieux Paul, nous irons ensemble après le déjeuner, quand elle sera levée, et tu lui feras part de ta détermination.

Leurs yeux se rencontrèrent, fixes, pleins de pensées inconnaissables, puis se détournèrent.

Et Paul répondit avec indifférence :

— Oui, volontiers, nous reparlerons de cela tout à l’heure.

Un domestique de l’hôtel entra pour prévenir que le Docteur Black venait d’arriver chez la princesse ; et le marquis sortit aussitôt afin de le saisir au passage.

Il exposa au médecin la situation, l’embarras de son gendre et le désir de sa fille, et il l’emmena sans résistance.

Dès que le petit homme à grosse tête fut entré dans la chambre de Christiane :

— Papa, laisse-nous, dit-elle.

Et le marquis se retira. Alors, elle énuméra ses inquiétudes, ses terreurs, ses cauchemars, d’une voix basse et douce, comme si elle se fût confessée. Et le médecin l’écoutait comme un prêtre, la couvrant parfois de ses gros yeux ronds, prouvait son attention par un petit signe de tête, murmurant un : « C’est cela » qui semblait dire : « Je connais votre cas sur le bout du doigt et je vous guérirai quand je voudrai. »

Lorsqu’elle eut fini de parler, il se mit à son tour à l’interroger avec une extrême minutie de détails sur sa vie, sur ses habitudes, sur son régime, sur son traitement. Tantôt il paraissait approuver d’un geste, tantôt il blâmait d’un : « Oh ! » plein de réserves. Quand elle en vint à sa grosse peur que l’enfant fût mal placé, il se leva, et, avec une pudeur ecclésiastique, l’effleura de ses mains à travers les couvertures, puis il déclara :

— Non, très bien.

Elle eut envie de l’embrasser. Quel brave homme que ce médecin !

Il prit une feuille de papier sur la table et écrivit l’ordonnance. Elle fut longue, très longue. Puis il revint près du lit et, avec un ton différent, pour bien prouver qu’il avait achevé sa besogne professionnelle et sacrée, il se mit à causer.

Il avait la voix profonde et grasse, une voix puissante de nain trapu ; et des questions se cachaient dans ses phrases les plus banales. Il parla de tout. Le mariage de Gontran semblait l’intéresser beaucoup. Puis, avec son vilain sourire d’être mal fait :