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On rhabillait l’enfant. William s’était assis :

— Écoute, ma chérie, disait-il, je n’ose plus t’annoncer de visite depuis que tu m’as si bien accueilli avec le Docteur Black. Il en est une pourtant que tu me ferais grand plaisir de recevoir : celle du Docteur Bonnefille !

Alors elle rit, pour la première fois, d’un rire pâle, resté sur sa lèvre, sans aller jusqu’à l’âme ; et elle demanda :

— Le Docteur Bonnefille ? Quel miracle ! Vous êtes donc réconciliés ?

— Mais oui. Écoute : je vais t’annoncer, en grand secret, une grande nouvelle. Je viens d’acheter l’ancien établissement. J’ai tout le pays, maintenant. Hein ! Quel triomphe ? Ce pauvre Docteur Bonnefille l’a su avant tout le monde, bien entendu. Alors il a été malin ; il est venu prendre de tes nouvelles, tous les jours, en laissant sa carte avec un mot sympathique. Moi, j’ai répondu à ses avances par une visite ; et nous sommes au mieux à présent.

— Qu’il vienne, dit Christiane, quand il voudra. Je serai contente de le recevoir.

— Bon, je te remercie. Je te l’amènerai demain matin. Je n’ai pas besoin de te dire que Paul me charge, sans cesse, de mille compliments pour toi, et s’informe beaucoup de la petite. Il a grande envie de la voir.

Malgré ses résolutions, elle se sentait oppressée. Elle put dire cependant :

— Tu le remercieras pour moi.

Andermatt reprit :

— Il était très inquiet de savoir si on t’avait annoncé son mariage. Je lui ai répondu oui ; alors il m’a demandé plusieurs fois ce que tu en pensais ?

Elle fit un grand effort d’énergie et murmura :

— Tu lui diras que je l’approuve tout à fait.

William, avec une ténacité cruelle, reprit :

— Il voulait aussi absolument savoir comment tu appellerais ta fille. J’ai dit que nous hésitions entre Marguerite et Geneviève.

— J’ai changé d’avis, dit-elle. Je veux la nommer Arlette.

Autrefois, aux premiers jours de sa grossesse, elle avait discuté avec Paul le nom qu’ils devaient choisir soit pour un fils, soit pour une fille ; et pour une fille Geneviève et Marguerite les avaient laissés indécis. Elle ne voulait plus de ces deux noms-là.

William répétait :

— Arlette… Arlette… C’est très gentil… tu as raison. Moi, j’aurais voulu l’appeler Christiane, comme toi. J’adore ça… Christiane !

Elle poussa un profond soupir :

— Oh ! Cela promet trop de souffrances de porter le nom du Crucifié.

Il rougit, n’ayant point songé à ce rapprochement, et se levant :

— D’ailleurs, Arlette est très gentille. À tout à l’heure, ma chérie.

Dès qu’il fut parti elle appela la nourrice et ordonna que le berceau fût placé désormais contre son lit.

Quand la couche légère en forme de nacelle, toujours balancée, et portant son rideau blanc, comme une voile, sur son mât de cuivre tordu, eut été roulée près de la grande couche, Christiane étendit sa main jusqu’à l’enfant endormie, et elle dit tout bas :

— Fais dodo, ma petite. Tu ne trouveras jamais personne qui t’aimera autant que moi.

Elle passa les jours suivants dans une mélancolie tranquille, songeant beaucoup, se faisant une âme résistante, un cœur énergique, pour reprendre la vie dans quelques semaines. Sa principale occupation maintenant consistait à contempler les yeux de sa fille, cherchant à y surprendre un premier regard, mais n’y voyant rien que deux trous bleuâtres invariablement tournés vers la grande clarté de la fenêtre.

Et elle ressentait de profondes tristesses en songeant que ces yeux-là, encore endormis, regarderaient le monde comme elle l’avait regardé elle-même, à travers l’illusion du rêve intérieur qui fait heureuse, confiante et gaie l’âme des jeunes femmes. Ils aimeraient tout ce qu’elle avait aimé, les beaux jours clairs, les fleurs, les bois et les êtres aussi, hélas ! Ils aimeraient un homme sans doute ! Ils aimeraient un homme ! Ils porteraient en eux son image connue, chérie, la reverraient quand il serait loin, s’enflammeraient en l’apercevant… Et puis… et puis… ils apprendraient à pleurer ! Les larmes, les horribles larmes couleraient sur ces petites joues ! Et l’affreuse souffrance des amours trahis les rendrait méconnaissables, éperdus d’angoisse et de désespoir, ces pauvres yeux vagues, qui seraient bleus. Et elle embrassait follement l’enfant en lui disant.

— N’aime que moi, ma fille !

Un jour enfin, le professeur Mas-Roussel, qui venait la voir chaque matin, déclara :

— Vous pourrez vous lever un peu tantôt, Madame.

Andermatt, quand le médecin fut parti, dit à sa femme :

— Il est bien malheureux que tu ne sois pas tout à fait rétablie, car nous avons aujourd’hui une expérience bien intéressante à l’Établissement. Le Docteur Latonne a fait un vrai miracle avec le père Clovis, en le soumettant à son traitement de gymnastique automotrice. Figure-toi que ce vieux vagabond marche presque comme tout le monde à présent. Les progrès de la guérison, d’ailleurs, sont apparents après chaque séance.

Elle demanda, pour lui plaire :

— Et vous allez faire une séance publique ?

— Oui et non, nous faisons une séance devant les médecins et quelques amis.

— À quelle heure ?

— À trois heures.

— M. Brétigny y sera ?

— Oui, oui. Il m’a promis d’y venir. Tout le conseil y sera. Au point de vue médical, c’est fort curieux.

— Eh bien, dit-elle, comme je serai, moi, justement levée à ce moment-là, tu prieras M. Brétigny de me venir voir. Il me tiendra compagnie pendant que vous regarderez l’expérience.

— Oui, ma chérie.

— Tu n’oublieras pas ?

— Non, non, sois tranquille.

Et il s’en alla à la recherche de spectateurs.

Après avoir été joué par les Oriol, lors du premier traitement du paralytique, il avait à son tour joué de la crédulité des malades, si facile à conquérir quand il s’agit de guérison, et maintenant il se jouait à lui-même la comédie de cette cure, en parlait si souvent, avec tant d’ardeur et de conviction, qu’il lui eût été bien difficile de discerner s’il y croyait ou s’il n’y croyait pas.

Vers trois heures, toutes les personnes qu’il avait racolées se trouvaient réunies devant la porte de l’Établissement, attendant la venue du père Clovis. Il arriva, appuyé sur deux cannes, traînant toujours les jambes et saluant avec politesse tout le monde sur son passage.

Les deux Oriol le suivaient avec les deux jeunes filles. Paul et Gontran accompagnaient leurs fiancées.

Dans la grande salle où étaient installés les instruments articulés, le Docteur Latonne attendait, en causant avec Andermatt et avec le Docteur Honorat.

Quand il aperçut le père Clovis, un sourire de joie passa sur ses lèvres rasées. Il demanda :

— Eh bien ! Comment allons-nous aujourd’hui ?

— Oh ! cha va, cha va !

Petrus Martel et Saint-Landri parurent. Ils voulaient savoir. Le premier croyait, le second doutait. Derrière eux on vit, avec stupeur, entrer le Docteur Bonnefille, qui vint saluer son rival et tendit la main à Andermatt. Le Docteur Black fut le dernier venu.

— Eh bien, Messieurs et Mesdemoiselles, dit le Docteur Latonne en s’inclinant vers Louise et Charlotte Oriol, vous allez assister à une chose fort curieuse. Constatez d’abord qu’avant la séance ce brave homme marche un peu, mais très peu. Pouvez-vous aller sans vos bâtons, père Clovis ?

— Oh non ! Môchieu.

— Bon, nous commençons.

On hissa le vieux sur le fauteuil, on lui sangla les jambes aux pieds mobiles du siège, puis, quand M. l’inspecteur commanda : « Allez doucement », le grand garçon de service, aux bras nus, tourna la manivelle.