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Adieu, revenez bien vite. J’ai trop de peine loin de vous.

Olivier. »
* * *

« Roncières, 8 août.

Mon ami,

je suis malade, et si fatiguée que vous ne me reconnaîtrez point. Je crois que j’ai trop pleuré. Il faut que je me repose un peu avant de revenir, car je ne veux pas me remontrer à vous comme je suis. Mon mari part pour Paris après-demain et vous portera de nos nouvelles. Il compte vous emmener dîner quelque part et me charge de vous prier de l’attendre chez vous vers sept heures.

Quant à moi, dès que je me sentirai un peu mieux, dès que je n’aurai plus cette figure de déterrée qui me fait peur à moi-même, je retournerai près de vous. Je n’ai, au monde, qu’Annette et vous, moi aussi, et je veux offrir à chacun de vous tout ce que je pourrai lui donner, sans voler l’autre.

Je vous tends mes yeux qui ont tant pleuré, pour que vous les baisiez.

Anne. »

Quand il reçut cette lettre annonçant le retour encore retardé, Olivier Bertin eut envie, une envie immodérée, de prendre une voiture pour aller à la gare, et le train pour aller à Roncières ; puis, songeant que M. de Guilleroy devait revenir le lendemain, il se résigna et se mit à désirer l’arrivée du mari avec presque autant d’impatience que si c’eût été celle de la femme elle-même.

Jamais il n’avait aimé Guilleroy comme en ces vingt-quatre heures d’attente.

Quand il le vit entrer, il s’élança vers lui, les mains tendues, s’écriant :

« Ah ! Cher ami, que je suis heureux de vous voir ! »

L’autre aussi semblait fort satisfait, content surtout de rentrer à Paris, car la vie n’était pas gaie en Normandie, depuis trois semaines.

Les deux hommes s’assirent sur un petit canapé à deux places, dans un coin de l’atelier, sous un dais d’étoffes orientales, et, se reprenant les mains avec des airs attendris, ils se les serrèrent de nouveau.

« Et la comtesse, demanda Bertin, comment va-t-elle ?

— Oh ! Pas très bien. Elle a été très touchée, très affectée, et elle se remet trop lentement. J’avoue même qu’elle m’inquiète un peu.

— Mais pourquoi ne revient-elle pas ?

— Je n’en sais rien. Il m’a été impossible de la décider à rentrer ici.

— Que fait-elle tout le jour ?

— Mon Dieu, elle pleure, elle pense à sa mère. Ça n’est pas bon pour elle. Je voudrais bien qu’elle se décidât à changer d’air, à quitter l’endroit où ça s’est passé, vous comprenez ?

— Et Annette ?

— Oh ! Elle, une fleur épanouie ! »

Olivier eut un sourire de joie. Il demanda encore :

« A-t-elle eu beaucoup de chagrin ?

— Oui, beaucoup, beaucoup, mais vous savez, du chagrin de dix-huit ans, ça ne tient pas. »

Après un silence, Guilleroy reprit :

« Où allons-nous dîner, mon cher ? J’ai bien besoin de me dégourdir, moi, d’entendre du bruit et de voir du mouvement.

— Mais, en cette saison, il me semble que le café des Ambassadeurs est indiqué. »

Et ils s’en allèrent, en se tenant par le bras, vers les Champs-Élysées. Guilleroy, agité par cet éveil des Parisiens qui rentrent et pour qui la ville, après chaque absence, semble rajeunie et pleine de surprises possibles, interrogeait le peintre sur mille détails, sur ce qu’on avait fait, sur ce qu’on avait dit, et Olivier, après d’indifférentes réponses où se reflétait tout l’ennui de sa solitude, parlait de Roncières, cherchait à saisir en cet homme, à recueillir autour de lui ce quelque chose de presque matériel que laissent en nous les gens qu’on vient de voir, subtile émanation des êtres qu’on emporte en les quittant, qu’on garde en soi quelques heures et qui s’évapore dans l’air nouveau.

Le ciel lourd d’un soir d’été pesait sur la ville et sur la grande avenue où commençaient à sautiller sous les feuillages les refrains alertes des concerts en plein vent. Les deux hommes, assis au balcon du café des Ambassadeurs, regardaient sous eux les bancs et les chaises encore vides de l’enceinte fermée jusqu’au petit théâtre où les chanteuses, dans la clarté blafarde des globes électriques et du jour mêlés, étalaient leurs toilettes éclatantes et la teinte rose de leur chair. Des odeurs de fritures, de sauces, de mangeailles chaudes, flottaient dans les imperceptibles brises que se renvoyaient les marronniers, et quand une femme passait, cherchant sa place réservée, suivie d’un homme en habit noir, elle semait sur sa route le parfum capiteux et frais de ses robes et de son corps.

Guilleroy, radieux, murmura :

« Oh ! J’aime mieux être ici que là-bas.

— Et moi, répondit Bertin, j’aimerais mieux être là-bas qu’ici.

— Allons donc !

— Parbleu. Je trouve Paris infect, cet été.

— Eh ! Mon cher, c’est toujours Paris. »

Le député semblait être dans un jour de contentement, dans un de ces rares jours d’effervescence où les hommes graves font des bêtises. Il regardait deux cocottes dînant à une table voisine avec trois maigres jeunes messieurs superlativement corrects, et il interrogeait sournoisement Olivier sur toutes les filles connues et cotées dont il entendait chaque jour citer les noms. Puis il murmura avec un ton de profond regret :

« Vous avez de la chance d’être resté garçon, vous. Vous pouvez faire et voir tant de choses. »

Mais le peintre se récria, et pareil à tous ceux qu’une pensée harcèle, il prit Guilleroy pour confident de ses tristesses et de son isolement. Quand il eut tout dit, récité jusqu’au bout la litanie de ses mélancolies, et raconté naïvement, poussé par le besoin de soulager son cœur, combien il eût désiré l’amour et le frôlement d’une femme installée à son côté, le comte, à son tour, convint que le mariage avait du bon. Retrouvant alors son éloquence parlementaire pour vanter la douceur de sa vie intérieure, il fit de la comtesse un grand éloge, qu’Olivier approuvait gravement par de fréquents mouvements de tête.

Heureux d’entendre parler d’elle, mais jaloux de ce bonheur intime que Guilleroy célébrait par devoir, le peintre finit par murmurer, avec une conviction sincère :

« Oui, vous avez eu de la chance, vous ! »

Le député, flatté, en convint ; puis il reprit :

« Je voudrais bien la voir revenir ; vraiment, elle me donne du souci en ce moment ! Tenez, puisque vous vous ennuyez à Paris, vous devriez aller à Roncières et la ramener. Elle vous écoutera, vous, car vous êtes son meilleur ami ; tandis qu’un mari…, vous savez… »