Sur l’eau (1888) et La vie errante (1890) furent écrits à bord du Bel-Ami, sur la mer Méditerranée, tantôt en vue de la Côte d’Azur, tantôt le long des côtes d’Afrique du Nord.
Les œuvres marquantes plus tardives de Guy de Maupassant sont Toine (1886, Le rosier de Madame Husson (1888) et l’Inutile beauté (1890).
Dans le célèbre Le Horla, il exploite les théories avancées à l’époque par le neurologue Jean-Martin Charcot, fondateur de la neurologie moderne et de la psychopathologie, mais qui fut rendu plus populaire par ses travaux sur l’hypnose et sur l’hystérie. Les théories de Charcot, en cette fin de XIXe siècle firent le tour du monde. En fait, et contrairement à une idée reçue, le Horla ne reflète pas la maladie mentale que vécut Guy de Maupassant, après avoir été mis en cellule d’isolement dans un hôpital psychiatrique, ou juste avant.
Dans l’ensemble, l’œuvre de Guy de Maupassant est caractérisée par un grand réalisme de scènes, de situations et de personnages. Ses récits trahissent un amour passionné pour la région où il vécut son enfance : la campagne normande. Mieux encore, le célèbre historien Hyppolite Taine[8] compare les récits de Maupassant à Eschyle, en citant pour exemples Le Port et Le champ d’oliviers. Guy de Maupassant met souvent en scène des gens pauvres, et d’autres se trouvant à l’exact opposé de ces derniers dans l’échelle sociale, et il les fait agir comme s’ils étaient les héros d’une tragédie grecque. Il rend leurs vies immédiatement dépendantes d’ironiques et cruelles nécessités qui les poussent à lutter, en vain, et à finir broyés par une fatalité, par un triste destin auquel ils ne peuvent échapper quoiqu’ils fassent. Au moment de nous attarder sur cette dernière caractéristique, on ne peut s’empêcher de remarquer que cela reflète singulièrement la vie, le destin et la tragédie personnelle de celui qui les immortalisa. Guy de Maupassant ne cessa finalement d’écrire que lorsque sa douleur devint tout à fait insupportable ; le déclin de sa production est particulièrement visible lorsqu’on observe la diminution constante du nombre de chroniques qu’il écrivit pour la presse, depuis l’année 1881 (un rapide coup d’œil au sommaire de ce livre suffit pour le constater).
Le 2 janvier 1892, à Cannes, Guy de Maupassant en vint à tenter de s’ouvrir lui-même la gorge. C’est à la suite de cette effroyable tentative de suicide manqué, qu’il fut envoyé à l’hôpital psychiatrique aujourd’hui populairement connu sous le nom de « Maison Blanche », à Paris. C’est là que Guy de Maupassant mourut, 18 mois plus tard, le 6 juillet 1893 ; il avait alors 42 ans.
Parce que beaucoup des récits qu’écrivit Maupassant entretiennent un rapport avec le sujet de la maladie mentale, il a souvent été dit qu’il était déjà sous son emprise lorsqu’il les écrivit. Cependant, on ne peut qu’admettre l’absence du moindre mot trahissant un déséquilibre mental dans ceux-ci, sans aucune exception. Lorsque la maladie mentale est abordée dans un récit de Maupassant, ce dernier en parle toujours depuis le point de vue du médecin, et jamais depuis celui du patient. Jusqu’au dernier des récits qu’il écrivit, on trouve la même clarté dans le style qui ne pourrait révéler le moindre des désordres mentaux, même pas le signe d’une dépression ou d’un trouble obsessionnel compulsif. La pureté lucide du français qu’il utilise et la précision des images qu’il fait naître dans nos esprits, sont même les deux caractéristiques qui lui permirent de gagner son immense popularité. Et la popularité de Guy de Maupassant est aujourd’hui devenue plus grande ailleurs que dans le pays ou il naquit.
Dans son intéressante introduction de Pierre et Jean, qu’il titre Le Roman, Maupassant décrit la langue de son pays comme un tout d’une grande clarté qui ne peut être affecté par le style, fut-il mauvais. Il s’agit là d’une définition peut-être proposée de manière inconsciente par son auteur, parce qu’elle correspond bien à sa propre rejection du « précieux » et de l’« artistique » qu’affectionnait son (ex)ami, Edmond de Goncours[9].
L’œuvre de Maupassant se distingue nettement de celles des autres naturalistes, car il narre l’exacte réalité de la société de son temps, dans laquelle chaque détail des comportements et contextes est reconnaissable. Cependant, Maupassant voit clairement l’humanité depuis un point de vue universaliste. Bien des films ont été réalisés d’après des œuvres de Guy de Maupassant, et le point commun de tous ceux-ci est une actualité qui nous fait nous dire que notre société n’a pas changé depuis la fin du XIXe siècle.
Je termine cette introduction par un petit mot sur ce (gros) livre e-Book Kindle.
Tous les textes de ces Œuvres complètes sont des versions originales dont j’ai légèrement revu quelques détails, tels que la ponctuation en certaines circonstances. Par exemple, il y a beaucoup d’exclamations et de ponctuation associée dans l’œuvre de Maupassant. Au XIXe siècle, il était admis que « Ah ! ah ! ah ! » indiquait un rire ; c’est moins clair en 2011. C’est pourquoi j’ai transformé ces « Ah ! ah ! ah ! » en « Ah-ah-ah ! », en les liant les uns aux autres. Aussi, Maupassant créa parfois des mots qui n’existaient pas à son époque, et qui ne figurent dans aucun dictionnaire, ancien comme récent. Il m’est arrivé de les remplacer, les rares fois où cela me semblait utile, par d’autres, créés au XXe siècle, et qui expriment exactement et plus clairement aujourd’hui ce qu’ils voulaient dire. J’ai mis entre parenthèses ou en italique, selon le cas, ceux qui ne figurent dans aucun dictionnaire du français moderne, mais qui ne peuvent cependant pas être remplacés (selon moi) par d’autres ; il s’agit bien souvent de mots, soit d’origine étrangère, soit désignant des choses qui ont totalement disparu depuis la fin du XIXe siècle.
Enfin, il me plait d’ajouter que je n’ai compris — avec une certaine joie — que durant la réalisation de cette collection d’œuvres, que les possibilités du lecteur de livre Kindle lui donnent une nouvelle dimension et de nouvelles possibilités inconnues et irréalisables jusqu’alors. Au delà de leur utilisation de loisir, ces Œuvres complètes de Guy de Maupassant sont un formidable outil de recherches littéraires sur cet auteur, autant que de recherches sur l’histoire de l’époque à laquelle il vécut. Vous le réaliserez bien vite à l’usage.
Bonne lecture — ou bonnes études, donc.
P.S. au lecteur également intéressé par Gustave Flaubert, je recommande Flaubert : Œuvres complètes (les 14 tomes).
8
Auteur de l’extraordinaire, très dense et très volumineux
9
Edmond de Goncours se sentit personnellement attaqué par la critique de Maupassant à l’égard du « précieux » et de l’« artistique » en littérature, et il ne le lui pardonna jamais.