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Il demeura perclus de surprise : « Hein ? Tu dis ? Mais tu es folle ? Un autre enfant ? Ah ! Mais non, par exemple ! C’est déjà trop d’un pour piailler, occuper tout le monde et coûter de l’argent. Un autre enfant : merci ! »

Elle le saisit dans ses bras, le baisa, l’enveloppa d’amour, et, tout bas : « Oh ! Je t’en supplie, rends-moi mère encore une fois. »

Mais il se fâcha comme si elle l’eût blessé : « Ça vraiment, tu perds la tête. Fais-moi grâce de tes bêtises, je te prie. »

Elle se tut et se promit de le forcer par ruse à lui donner le bonheur qu’elle rêvait.

Alors elle essaya de prolonger ses baisers, jouant la comédie d’une ardeur délirante, le liant à elle de ses deux bras crispés en des transports qu’elle simulait. Elle usa de tous les subterfuges ; mais il resta maître de lui ; et pas une fois il ne s’oublia.

Alors, travaillée de plus en plus par son désir acharné, poussée à bout, prête à tout braver, à tout oser, elle retourna chez l’abbé Picot.

Il achevait son déjeuner ; il était fort rouge, ayant toujours des palpitations après ses repas. Dès qu’il la vit entrer, il s’écria : « Eh bien ? » désireux de savoir le résultat de ses négociations.

Résolue maintenant et sans timidité pudique, elle répondit immédiatement : « Mon mari ne veut plus d’enfants. » L’abbé se retourna vers elle, intéressé tout à fait, prêt à fouiller avec une curiosité de prêtre dans ces mystères du lit qui lui rendaient plaisant le confessionnal. Il demanda : « Comment ça ? » Alors, malgré sa détermination, elle se troubla pour expliquer : « Mais il… il… il refuse de me rendre mère. »

L’abbé comprit, il connaissait ces choses ; et il se mit à interroger avec des détails précis et minutieux, une gourmandise d’homme qui jeûne.

Puis il réfléchit quelques instants et, d’une voix tranquille, comme s’il lui eût parlé de la récolte qui venait bien, il lui traça un plan de conduite habile, réglant tous les points : « Vous n’avez qu’un moyen, ma chère enfant, c’est de lui faire accroire que vous êtes grosse. Il ne s’observera plus ; et vous le deviendrez pour de vrai. »

Elle rougit jusqu’aux yeux ; mais, déterminée à tout, elle insista. « Et… et s’il ne me croit pas ? »

Le curé savait bien les ressources pour conduire et tenir les hommes : « Annoncez votre grossesse à tout le monde, dites-la partout ; il finira par y croire lui-même.

Puis il ajouta, comme pour s’absoudre de ce stratagème : « C’est votre droit, l’Église ne tolère les rapports entre homme et femme que dans le but de la procréation. »

Elle suivit le conseil rusé et, quinze jours plus tard, elle annonçait à Julien qu’elle se croyait grosse. Il eut un sursaut. « Pas possible ! Ce n’est pas vrai. »

Elle indiqua aussitôt la raison de ses soupçons. Mais il se rassura. « Bah ! Attends un peu. Tu verras. »

Alors chaque matin, il demanda : « Eh bien ? » Et toujours elle répondait : « Non, pas encore. Je serais bien trompée si je n’étais pas enceinte. »

Il s’inquiétait à son tour, furieux et désolé, autant que surpris. Il répétait : « Je n’y comprends rien, mais rien. Si je sais comment cela s’est fait ! Je veux bien être pendu. »

Au bout d’un mois elle annonçait de tous les côtés la nouvelle sauf à la comtesse Gilberte, par une sorte de pudeur compliquée et délicate.

Depuis sa première inquiétude, Julien ne l’approchait plus ; puis il prit, en rageant, son parti, et déclara : « En voilà un qui n’était pas demandé.

Et il recommença à pénétrer dans la chambre de sa femme.

Ce qu’avait prévu le prêtre se réalisa complètement. Elle était grosse.

Alors, inondée d’une joie délirante, elle ferma sa porte chaque soir, se vouant, dans un élan de reconnaissance vers la vague divinité qu’elle adorait, à une chasteté éternelle.

Elle se sentait de nouveau presque heureuse, s’étonnant de la promptitude avec laquelle s’était adoucie sa douleur après la mort de sa mère. Elle s’était crue inconsolable ; et voilà qu’en deux mois à peine cette plaie vive se fermait. Il ne lui restait plus qu’une mélancolie attendrie, comme un voile de chagrin jeté sur sa vie. Aucun événement ne lui paraissait plus possible. Ses enfants grandiraient, l’aimeraient ; elle vieillirait tranquille, contente, sans s’occuper de son mari.

Vers la fin du mois de septembre, l’abbé Picot vint faire une visite de cérémonie avec une soutane neuve qui ne portait encore que huit jours de taches ; et il présenta son successeur, l’abbé Tolbiac. C’était un tout jeune prêtre maigre, fort petit, à la parole emphatique, et dont les yeux, cerclés de noir et caves, indiquaient une âme violente.

Le vieux curé était nommé doyen de Goderville.

Jeanne ressentit une vraie tristesse de ce départ. La figure du bonhomme était liée à tous ses souvenirs de jeune femme. Il l’avait mariée, il avait baptisé Paul, et enterré la baronne. Elle ne se figurait pas Étouvent sans la bedaine de l’abbé Picot passant le long des cours des fermes ; et elle l’aimait parce qu’il était joyeux et naturel.

Malgré son avancement il ne semblait pas gai. Il disait : « Ça me coûte, ça me coûte, Madame la comtesse. Voilà dix-huit ans que je suis ici. Oh ! La commune rapporte peu et ne vaut point grand-chose. Les hommes n’ont pas plus de religion qu’il ne faut, et les femmes, les femmes, voyez-vous, n’ont guère de conduite. Les filles ne passent à l’église pour le mariage qu’après avoir fait un pèlerinage à Notre-Dame du Gros-Ventre, et la fleur d’oranger ne vaut pas cher dans le pays. Tant pis, je l’aimais, moi. »

Le nouveau curé faisait des gestes d’impatience, et devenait rouge. Il dit brusquement : « Avec moi, il faudra que tout cela change. » Il avait l’air d’un enfant rageur, tout frêle et tout maigre dans sa soutane usée déjà, mais propre.

L’abbé Picot le regarda de biais, comme il faisait en ses moments de gaieté, et il reprit : « Voyez-vous, l’abbé, pour empêcher ces choses-là, il faudrait enchaîner vos paroissiens, et encore ça ne servirait à rien. »

Le petit prêtre répondit d’un ton cassant : « Nous verrons bien. » Et le vieux curé sourit en humant sa prise : « L’âge vous calmera, l’abbé, et l’expérience aussi ; vous éloignerez de l’église vos derniers fidèles ; et voilà tout. Dans ce pays-ci, on est croyant, mais tête de chien : prenez garde. Ma foi, quand je vois entrer au prône une fille qui me paraît un peu grasse, je me dis : « C’est un paroissien de plus qu’elle m’amène » ; — et je tâche de la marier. Vous ne les empêcherez pas de fauter, voyez-vous ; mais vous pouvez aller trouver le garçon et l’empêcher d’abandonner la mère. Mariez-les, l’abbé, mariez-les, ne vous occupez pas d’autre chose. »

Le nouveau curé répondit avec rudesse : « Nous pensons différemment ; il est inutile d’insister. » Et l’abbé Picot se remit à regretter son village, la mer qu’il voyait des fenêtres du presbytère, les petites vallées en entonnoir où il allait réciter son bréviaire, en regardant au loin passer les bateaux.

Et les deux prêtres prirent congé. Le vieux embrassa Jeanne, qui faillit pleurer.

Huit jours plus tard, l’abbé Tolbiac revint. Il parla des réformes qu’il accomplissait comme aurait pu le faire un prince prenant possession de son royaume. Puis il pria la comtesse de ne point manquer l’office du dimanche, et de communier à toutes les fêtes. « Vous et moi, disait-il, nous sommes la tête du pays ; nous devons le gouverner et nous montrer toujours comme un exemple à suivre. Il faut que nous soyons unis pour être puissants et respectés. L’église et le château se donnant la main, la chaumière nous craindra et nous obéira. »

La religion de Jeanne était toute de sentiment ; elle avait cette foi rêveuse que garde toujours une femme ; et, si elle accomplissait à peu près ses devoirs, c’était surtout par habitude gardée du couvent, la philosophie frondeuse du baron ayant depuis longtemps jeté bas ses convictions.