Выбрать главу

Elle ne comprit pas et voulut savoir. Il répondit : « L’heure n’est pas venue, je vous reverrai bientôt. » Et il partit brusquement.

L’hiver alors touchait à sa fin, un hiver pourri, comme on dit aux champs, humide et tiède.

L’abbé revint quelques jours plus tard et parla en termes obscurs d’une de ces liaisons indignes entre gens qui devraient être irréprochables. Il appartenait, disait-il, à ceux qui avaient connaissance de ces faits, de les arrêter par tous les moyens. Puis il entra en des considérations élevées, puis, prenant la main de Jeanne, il l’adjura d’ouvrir les yeux, de comprendre et de l’aider.

Elle avait compris, cette fois, mais elle se taisait, épouvantée à la pensée de tout ce qui pouvait survenir de pénible dans sa maison tranquille à présent, et elle feignit de ne pas savoir ce que l’abbé voulait dire. Alors il n’hésita plus et parla clairement.

« C’est un devoir pénible que je vais accomplir, Madame la comtesse, mais je ne puis faire autrement. Le ministère que je remplis m’ordonne de ne pas vous laisser ignorer ce que vous pouvez empêcher. Sachez donc que votre mari entretient une amitié criminelle avec Mme de Fourville. »

Elle baissa la tête, résignée et sans force.

Le prêtre reprit : « Que comptez-vous faire, maintenant ? »

Alors elle balbutia : « Que voulez-vous que je fasse, Monsieur l’abbé ? »

Il répondit violemment : « Vous jeter en travers de cette passion coupable. »

Elle se mit à pleurer ; et d’une voix navrée : « Mais il m’a déjà trompée avec une bonne ; mais il ne m’écoute pas ; il ne m’aime plus ; il me maltraite sitôt que je manifeste un désir qui ne lui convient pas. Que puis-je ? »

Le curé, sans répondre directement, s’écria : « Alors, vous vous inclinez ! Vous vous résignez ! Vous consentez ! L’adultère est sous votre toit ; et vous le tolérez ! Le crime s’accomplit sous vos yeux, et vous détournez le regard ? Êtes-vous une épouse ? Une chrétienne ? Une mère ? »

Elle sanglotait : « Que voulez-vous que je fasse ? »

Il répliqua : « Tout plutôt que de permettre cette infamie. Tout, vous dis-je. Quittez-le. Fuyez cette maison souillée. »

Elle dit : « Mais je n’ai pas d’argent, Monsieur l’abbé ; et puis je suis sans courage, maintenant ; et puis comment partir sans preuves ? Je n’en ai même pas le droit. »

Le prêtre se leva, frémissant : « C’est la lâcheté qui vous conseille, Madame, je vous croyais autre. Vous êtes indigne de la miséricorde de Dieu ! »

Elle tomba à ses genoux : « Oh ! Je vous en prie, ne m’abandonnez pas, conseillez-moi ! »

Il prononça d’une voix brève : « Ouvrez les yeux de M. de Fourville. C’est à lui qu’il appartient de rompre cette liaison. »

À cette pensée une épouvante la saisit : « Mais il les tuerait, Monsieur l’abbé ! Et je commettrais une dénonciation ! Oh ! Pas cela, jamais ! »

Alors, il leva la main comme pour la maudire, tout soulevé de colère : « Restez dans votre honte et dans votre crime ; car vous êtes plus coupable qu’eux. Vous êtes l’épouse complaisante ! Je n’ai plus rien à faire ici. »

Et il s’en alla, si furieux que tout son corps tremblait.

Elle le suivit éperdue, prête à céder, commençant à promettre. Mais il demeurait vibrant d’indignation, marchant à pas rapides en secouant de rage son grand parapluie bleu presque aussi haut que lui.

Il aperçut Julien debout près de la barrière, dirigeant des travaux d’ébranchage ; alors il tourna à gauche pour traverser la ferme des Couillard ; et il répétait : « Laissez-moi, Madame, je n’ai plus rien à vous dire. »

Juste sur son chemin, au milieu de la cour, un tas d’enfants, ceux de la maison et ceux des voisins attroupés autour de la loge de la chienne Mirza, contemplaient curieusement quelque chose, avec une attention concentrée et muette. Au milieu d’eux le baron, les mains derrière le dos, regardait aussi avec curiosité. On eût dit un maître d’école. Mais, quand il vit de loin le prêtre, il s’en alla pour éviter de le rencontrer, de le saluer, de lui parler.

Jeanne disait, suppliante : « Laissez-moi quelques jours, Monsieur l’abbé, et revenez au château. Je vous raconterai ce que j’aurai pu faire, et ce que j’aurai préparé ; et nous aviserons. »

Ils arrivaient alors auprès du groupe des enfants ; et le curé s’approcha pour voir ce qui les intéressait ainsi. C’était la chienne qui mettait bas. Devant sa niche cinq petits grouillaient déjà autour de la mère qui les léchait avec tendresse, étendue sur le flanc, tout endolorie. Au moment où le prêtre se penchait, la bête crispée s’allongea et un sixième petit toutou parut. Tous les galopins alors, saisis de joie, se mirent à crier en battant des mains : « En v’là encore un, en v’là encore un ! » C’était un jeu pour eux, un jeu naturel où rien d’impur n’entrait. Ils contemplaient cette naissance comme ils auraient regardé tomber des pommes.

L’abbé Tolbiac demeura d’abord stupéfait, puis, saisi d’une fureur irrésistible, il leva son grand parapluie et se mit à frapper dans le tas des enfants sur les têtes, de toute sa force. Les galopins effarés s’enfuirent à toutes jambes ; et il se trouva subitement en face de la chienne en gésine qui s’efforçait de se lever. Mais il ne la laissa pas même se dresser sur ses pattes, et, la tête perdue, il commença à l’assommer à tour de bras. Enchaînée, elle ne pouvait s’enfuir, et gémissait affreusement en se débattant sous les coups. Il cassa son parapluie. Alors, les mains vides, il monta dessus, la piétinant avec frénésie, la pilant, l’écrasant. Il lui fit mettre au monde un dernier petit qui jaillit sous la pression ; et il acheva, d’un talon forcené, le corps saignant qui remuait encore au milieu des nouveau-nés piaulants, aveugles et lourds, cherchant déjà les mamelles.

Jeanne s’était sauvée ; mais le prêtre soudain se sentit pris au cou, un soufflet fit sauter son tricorne ; et le baron, exaspéré, l’emporta jusqu’à la barrière et le jeta sur la route.

Quand M. Le Perthuis se retourna, il aperçut sa fille à genoux, sanglotant au milieu des petits chiens et les recueillant dans sa jupe. Il revint vers elle à grands pas, en gesticulant, et il criait : « Le voilà, le voilà, l’homme en soutane ! L’as-tu vu, maintenant ? »

Les fermiers étaient accourus, tout le monde regardait la bête éventrée ; et la mère Couillard déclara : « C’est-il possible d’être sauvage comme ça ! »

Mais Jeanne avait ramassé les sept petits et prétendait les élever.

On essaya de leur donner du lait : trois moururent le lendemain. Alors le père Simon courut le pays pour découvrir une chienne allaitant. Il n’en trouva pas, mais il rapporta une chatte en affirmant qu’elle ferait l’affaire. On tua donc trois autres petits et on confia le dernier à cette nourrice d’une autre race. Elle l’adopta immédiatement, et lui tendit sa mamelle en se couchant sur le côté.

Pour qu’il n’épuisât point sa mère adoptive, on sevra le chien quinze jours après, et Jeanne se chargea de le nourrir elle-même au biberon. Elle l’avait nommé Toto. Le baron changea son nom d’autorité, et le baptisa « Massacre ».

Le prêtre ne revint pas, mais, le dimanche suivant, il lança du haut de la chaire des imprécations, des malédictions et des menaces contre le château, disant qu’il faut porter le fer rouge dans les plaies, anathématisant le baron qui s’en amusa, et marquant d’une allusion voilée, encore timide, les nouvelles amours de Julien. Le vicomte fut exaspéré, mais la crainte d’un scandale affreux éteignit sa colère.

Alors, de prône en prône, le prêtre continua l’annonce de sa vengeance, prédisant que l’heure de Dieu approchait, que tous ses ennemis seraient frappés.