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« Bravo, bravo, vous avez défendu le drapeau de La Vie Française, bravo ! »

Georges se montra, le soir, dans les principaux grands journaux et dans les principaux grands cafés du boulevard. Il rencontra deux fois son adversaire qui se montrait également.

Ils ne se saluèrent pas. Si l’un des deux avait été blessé, ils se seraient serrés les mains. Chacun jurait d’ailleurs avec conviction avoir entendu siffler la balle de l’autre.

Le lendemain, vers onze heures du matin, Duroy reçut un petit bleu : « Mon Dieu, que j’ai eu peur ! Viens donc tantôt rue de Constantinople, que je t’embrasse, mon amour. Comme tu es brave — je t’adore. — Clo. »

Il alla au rendez-vous et elle s’élança dans ses bras, le couvrant de baisers :

« Oh ! Mon chéri, si tu savais mon émotion quand j’ai lu les journaux ce matin. Oh ! Raconte-moi. Dis-moi tout. Je veux savoir. »

Il dut raconter les détails avec minutie. Elle demandait :

« Comme tu as dû avoir une mauvaise nuit avant le duel !

— Mais non. J’ai bien dormi.

— Moi, je n’aurais pas fermé l’œil. Et sur le terrain, dis-moi comment ça s’est passé. »

Il fit un récit dramatique :

« Lorsque nous fûmes en face l’un de l’autre, à vingt pas, quatre fois seulement la longueur de cette chambre, Jacques, après avoir demandé si nous étions prêts, commanda : « Feu. » J’ai élevé mon bras immédiatement, bien en ligne, mais j’ai eu le tort de vouloir viser la tête. J’avais une arme fort dure et je suis accoutumé à des pistolets bien doux, de sorte que la résistance de la gâchette a relevé le coup. N’importe, ça n’a pas dû passer loin. Lui aussi il tire bien, le gredin. Sa balle m’a effleuré la tempe. J’en ai senti le vent. »

Elle était assise sur ses genoux et le tenait dans ses bras comme pour prendre part à son danger. Elle balbutiait : « Oh ! Mon pauvre chéri, mon pauvre chéri… »

Puis, quand il eut fini de conter, elle lui dit :

« Tu ne sais pas, je ne peux plus me passer de toi ! Il faut que je te voie, et, avec mon mari à Paris, ça n’est pas commode. Souvent, j’aurais une heure le matin, avant que tu sois levé, et je pourrais aller t’embrasser, mais je ne veux pas rentrer dans ton affreuse maison. Comment faire ? »

Il eut brusquement une inspiration et demanda :

« Combien paies-tu ici ?

— Cent francs par mois.

— Eh bien, je prends l’appartement à mon compte et je vais l’habiter tout à fait. Le mien n’est plus suffisant dans ma nouvelle position. »

Elle réfléchit quelques instants, puis répondit :

« Non. Je ne veux pas. »

Il s’étonna :

« Pourquoi ça ?

— Parce que…

— Ce n’est pas une raison. Ce logement me convient très bien. J’y suis. J’y reste. »

Il se mit à rire :

« D’ailleurs, il est à mon nom. »

Mais elle refusait toujours :

« Non, non, je ne veux pas…

— Pourquoi ça, enfin ? »

Alors elle chuchota tout bas, tendrement : « Parce que tu y amènerais des femmes, et je ne veux pas. »

Il s’indigna :

« Jamais de la vie, par exemple. Je te le promets.

— Non, tu en amènerais tout de même.

— Je te le jure.

— Bien vrai ?

— Bien vrai. Parole d’honneur. C’est notre maison, ça, rien qu’à nous. »

Elle l’étreignit dans un élan d’amour :

« Alors je veux bien, mon chéri. Mais tu sais, si tu me trompes une fois, rien qu’une fois, ce sera fini entre nous, fini pour toujours. »

Il jura encore avec des protestations, et il fut convenu qu’il s’installerait le jour même, afin qu’elle pût le voir quand elle passerait devant la porte.

Puis elle lui dit :

« En tout cas, viens dîner dimanche. Mon mari te trouve charmant. »

Il fut flatté :

« Ah ! Vraiment ?…

— Oui, tu as fait sa conquête. Et puis écoute, tu m’as dit que tu avais été élevé dans un château à la campagne, n’est-ce pas ?

— Oui, pourquoi ?

— Alors tu dois connaître un peu la culture ?

— Oui.

— Eh bien, parle-lui de jardinage et de récoltes, il aime beaucoup ça.

— Bon. Je n’oublierai pas. »

Elle le quitta, après l’avoir indéfiniment embrassé, ce duel ayant exaspéré sa tendresse.

Et Duroy pensait, en se rendant au journal : « Quel drôle d’être ça fait ! Quelle tête d’oiseau ! Sait-on ce qu’elle veut et ce qu’elle aime ? Et quel drôle de ménage ! Quel fantaisiste a bien pu préparer l’accouplement de ce vieux et de cette écervelée ? Quel raisonnement a décidé cet inspecteur à épouser cette étudiante ? Mystère ! Qui sait ? L’amour, peut-être ? »

Puis il conclut : « Enfin, c’est une bien gentille maîtresse. Je serais rudement bête de la lâcher. »

VIII

Son duel avait fait passer Duroy au nombre des chroniqueurs de tête de La Vie Française ; mais, comme il éprouvait une peine infinie à découvrir des idées, il prit la spécialité des déclamations sur la décadence des mœurs, sur l’abaissement des caractères, l’affaissement du patriotisme et l’anémie de l’honneur français. (Il avait trouvé le mot « anémie « dont il était fier.)

Et quand Mme de Marelle, pleine de cet esprit gouailleur, sceptique et gobeur qu’on appelle l’esprit de Paris, se moquait de ses tirades qu’elle crevait d’une épigramme, il répondait en souriant : « Bah ! Ça me fait une bonne réputation pour plus tard. »

Il habitait maintenant rue de Constantinople, où il avait transporté sa malle, sa brosse, son rasoir et son savon, ce qui constituait son déménagement. Deux ou trois fois par semaine, la jeune femme arrivait avant qu’il fût levé, se déshabillait en une minute et se glissait dans le lit, toute frémissante du froid du dehors.

Duroy, par contre, dînait tous les jeudis dans le ménage et faisait la cour au mari en lui parlant agriculture ; et comme il aimait lui-même les choses de la terre, ils s’intéressaient parfois tellement tous les deux à la causerie qu’ils oubliaient tout à fait leur femme sommeillant sur le canapé.

Laurine aussi s’endormait, tantôt sur les genoux de son père, tantôt sur les genoux de Bel-Ami.

Et quand le journaliste était parti, M. de Marelle ne manquait point de déclarer avec ce ton doctrinaire dont il disait les moindres choses : « Ce garçon est vraiment fort agréable. Il a l’esprit très cultivé. »

Février touchait à sa fin. On commençait à sentir la violette dans les rues en passant le matin auprès des voitures traînées par les marchandes de fleurs.

Duroy vivait sans un nuage dans son ciel.

Or, une nuit, comme il rentrait, il trouva une lettre glissée sous sa porte. Il regarda le timbre et il vit « Cannes ». L’ayant ouverte, il lut :

« Cannes, villa Jolie.

« Cher Monsieur et ami, vous m’avez dit, n’est-ce pas, que je pouvais compter sur vous en tout ? Eh bien, j’ai à vous demander un cruel service, c’est de venir m’assister, de ne pas me laisser seule aux derniers moments de Charles qui va mourir. Il ne passera peut-être pas la semaine, bien qu’il se lève encore, mais le médecin m’a prévenue.

Je n’ai plus la force ni le courage de voir cette agonie jour et nuit. Et je songe avec terreur aux derniers moments qui approchent. Je ne puis demander une pareille chose qu’à vous, car mon mari n’a plus de famille. Vous étiez son camarade ; il vous a ouvert la porte du journal. Venez, je vous en supplie. Je n’ai personne à appeler.