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« Elle doit être devenue folle, se dit Taride, ça n’est pas possible autrement ! »

Ils suivirent l’agent jusqu’au poste de police. Une fois à la lumière, Henri fut abasourdi devant l’aspect minable de l’homme qui embrassait Eva. L’individu était plus âgé que lui. Il avait un visage ingrat, des yeux fuyants, l’air d’un de ces vieux vicieux qui s’attardent à regarder les petites filles sortir de l’école… Comment, diantre, Eva avait-elle pu se laisser étreindre par ce sale bonhomme ? Car Taride l’avait vue consentante, impossible d’en douter…

Un brigadier au regard brouillé par le sommeil, et qui sentait le mauvais rhum, enregistra leurs dépositions… Naturellement, les versions différaient.

— Je suis allée au cinéma tandis que mes parents assistaient à une soirée, récitait Eva…

Elle s’exprimait calmement, avec une petite voix de jeune fille honnête et d’un air angélique qui lui valait la commisération de ces messieurs.

— Je rentrais lorsque cet individu est sorti de sous un arbre et s’est précipité sur moi…

— Ce n’est pas vrai ! cria l’accusé, c’est elle qui…

Il reçut une torgnole d’un des agents présents.

— Tu parleras quand on t’interrogera ! avertit le policier.

— Il m’a mis une main sur la bouche pour m’empêcher de crier, dit Eva… Et de l’autre… Non, je n’ose répéter ce qu’il m’a fait… À cet instant mon beau-père est arrivé !

Taride subit les regards interrogateurs des flics. Il comprit qu’il devait ratifier les dires de sa belle-fille, sous peine de voir éclater un gros scandale.

— Je venais de remiser ma voiture au garage… Je… j’ai perçu comme des gémissements et j’ai reconnu ma belle-fille…

— Alors ? fit le brigadier, goguenard, au pauvre homme blême, qui larmoyait.

Celui-ci hoqueta :

— C’est faux… J’étais à la terrasse d’un café… Le Touriste, avenue de la Grande-Armée, pour tout vous dire… Cette fille s’y trouvait !

— Sois poli ! intima l’agent qui l’avait déjà giflé. On dit « cette demoiselle. »

Servile, l’autre obtempéra.

— Oui, cette demoiselle s’y trouvait aussi. Elle me regardait avec insistance !

— Moi ! s’indigna Eva…

— Parfaitement ! Elle m’a souri, je lui ai souri… Quand elle est sortie, je l’ai abordée, ça je le reconnais, et je lui ai demandé la permission de l’accompagner…

— Quel sagouin ! dit le brigadier, prenant l’assistance à témoin. Non, mais tu t’es regardé, dis, saligaud ! Tu ressembles à un rat ! Tu t’imagines peut-être qu’une jolie jeune fille comme mademoiselle peut s’intéresser à un individu comme toi…

« Tes papiers ! » coupa-t-il.

— J’ai des enfants, pleura l’inculpé.

— Fallait y penser avant !

Le brigadier dédia un sourire respectueux à Taride.

— C’est fou ce qu’il peut y avoir comme vicieux sur cette avenue de la Grande-Armée, dès qu’il fait nuit.

Taride souscrivit aux formalités d’usage.

— S’il a des enfants, dit-il, je pense que nous ne porterons pas plainte ! N’est-ce pas, Eva ?

Il posa sur sa belle-fille un regard noir de colère que celle-ci soutint sans broncher.

— Comme tu voudras, fit-elle, indifférente…

Le brigadier leur dit qu’ils étaient trop bons.

— On va tout de même lui faire passer la nuit ici, manière de lui apprendre à vivre, à ce citoyen, décida-t-il…

Son ton avait quelque chose de gourmand qui terrorisa le prétendu coupable.

Taride et sa belle-fille prirent congé des agents.

Lorsqu’ils furent dehors, ils marchèrent un moment côte à côte sans parler. Mais une fois loin du poste de police, le mari d’Agnès laissa éclater sa colère.

— Tu peux m’expliquer ton comportement, Eva ?

Elle ne répondit rien. Il la prit par les épaules et l’obligea à s’arrêter. Elle fit un effort pour se dégager, Taride accentua sa pression.

— Tu ne vas pas encore appeler au secours, fit-il… Pourquoi as-tu agi ainsi ? Grand Dieu, j’en suis malade… Tu te laissais embrasser par cet homme. Et voilà que tu le fais arrêter… As-tu perdu la raison ?

— Tu ne peux pas comprendre, dit Eva…

Il fulmina :

— Mais comprendre quoi ! Tu as seize ans, Eva !

— Je sais, merci !

Taride la lâcha et se prit la tête à deux mains. Il lui semblait que tout cela n’était qu’une monstrueuse farce. Il voulait le croire, le croire à tout prix.

Eva avait repris sa marche. Il fut obligé de presser le pas pour revenir à sa hauteur.

— J’exige une explication, déclara-t-il.

Elle souriait. Il fut frappé par sa beauté. Une beauté identique à celle d’Agnès, mystérieuse, capiteuse… Eva était la copie conforme de sa mère.

— Voyons, tenta de raisonner Henri Taride, tu es une enfant, Eva !

Elle accentua son sourire… D’un geste lent elle souleva ses seins drus et forts.

— Tu trouves, soupira-t-elle.

Il haussa les épaules mais détourna les yeux, gêné par cette impudeur.

— Tu as bu ? demanda-t-il, espérant avoir résolu la cause de ce comportement par trop scabreux.

— Moi, pas du tout !

— Alors que faisais-tu dans les bras de ce vieux bonhomme !

— Pas si vieux que ça, fit-elle, il est de ton âge !

Une fois encore, Taride cilla.

— Réponds !

— Eh bien ! tout s’est passé comme il l’a dit. En rentrant du ciné, je me suis arrêtée pour prendre un verre. Il était à la table voisine, me dévorant du regard, louchant sur mes jambes lorsque je les croisais, sur ma poitrine, sur ma bouche… Je lui ai souri…

— Mais pourquoi ?

— Je ne sais pas. Sans doute cela m’amusait-il de l’affoler !

— Petite garce !

Elle rit, d’un rire frais, joyeux, qui dérouta son beau-père.

— Continue ! bougonna Taride…

Ils avaient repris leur marche, à petits pas. On eût dit un père et sa fille devisant de choses innocentes.

— Oh ! plus grand-chose à dire, tu sais… Il m’a abordée. Il a voulu m’embrasser, je l’ai laissé faire…

Taride poussa un soupir qui était presque un gémissement.

— Mais pourquoi ! Pourquoi, Eva ! Tu ne vas pas me dire que tu éprouvais un quelconque plaisir à…

— Si ! dit-elle très vite.

Cette fois ce fut elle qui détourna les yeux.

— J’ai seize ans, plaida-t-elle… Les garçons de mon âge me dégoûtent, si tu veux le savoir. Eux, oui, sont encore des enfants, des enfants idiots, des petites brutes qui jouent à être des brutes en croyant que c’est ça, être un homme ! Tandis que ce type, tout à l’heure, qui bredouillait de désir… D’un vrai désir, tu comprends ?

— Oh ! tais-toi ! supplia brusquement Taride, le souffle coupé !

— Mais c’est toi qui me demandes…

Il s’épongea le front.

— Tu t’amuses souvent à ce petit jeu-là, Eva ?

— Non, c’est la première fois…

Il eut une moue incrédule.

— Parole ! lança-t-elle avec colère… Ne me crois pas si tu veux, mais c’est la vérité !

Elle lui prit le bras.

— Tu vas le dire à maman ?

— Naturellement, dit Taride… Ce sont des choses qu’une mère doit connaître. J’espère qu’elle saura te parler. Le moment est venu pour elle d’avoir une grande explication avec toi.