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«À quelques pas du lit était placé le fameux secrétaire.

«C’est de ce côté que se dirigèrent d’abord les quatre assistants.

«- On n’a toujours pas trouvé le testament? nasilla le juge de paix.

«- Non!» répondit M. Castille, qui paraissait fort ému et qui adressait à son voisin, M. Bréhat-Kerguen, des regards où on lisait une rage sourde. Celui-ci restait impassible.

«- Allons! reprit le juge de paix, cherchons encore; nous serons peut-être plus heureux cette fois.»

«Était-ce une illusion? Il me sembla qu’un sourire imperceptible avait effleuré les lèvres charnues du Breton.

«Les papiers furent encore retournés, les registres ouverts et feuilletés avec soin. Après une heure de recherches, on ne découvrit aucun mot indiquant les volontés dernières de M. Bréhat-Lenoir.

«- Vous le voyez, monsieur, dit le juge de paix à M. Castille, j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir. Il est décidément bien établi que votre oncle n’a pas laissé de testament. Vous n’aviez pas connaissance, n’est-ce pas, que le défunt eût d’autres papiers que ceux-ci?

«- Non, monsieur, répondit l’héritier déçu, sur le front duquel perlait la sueur… Non, mon oncle – il me l’a dit mille fois – mettait tous ses papiers et tout son or dans ce secrétaire.

«- Oh! quant à l’argent, reprit le juge de paix, nous savons où il est allé…! Mais c’est vraiment singulier qu’on ne trouve pas un testament… Enfin la moitié de ma tâche est accomplie… Je vais maintenant procéder à la confection de l’inventaire.»

«Le greffier s’approcha d’une table, y déposa une serviette bourrée de papiers et se tint prêt, la plume sur l’oreille et le nez relevé, à noter les indications de son chef.

«À ce moment, je vis le regard de M. Bréhat-Kerguen – que je ne perdais pas un instant de vue, sans qu’il s’en aperçût, – se fixer avec inquiétude du côté de la cheminée. Ce ne fut qu’un éclair, et il reprit aussitôt son air indifférent et farouche.

«Je suivis son regard.

«La montre du défunt, superbe Bréguet à double boîte d’or enrichie de pierreries, était suspendue à un clou près de la cheminée.

«Voilà un étrange voleur, pensai-je, qui tue un homme pour forcer son secrétaire où il sait ne devoir trouver que quelques pièces d’or, et qui néglige de s’emparer d’une montre de trois mille francs!»

«On commença par inventorier les meubles, table, chaises, fauteuils, etc.

«- Voyons un peu ces rideaux! dit le juge de paix en s’approchant de la fenêtre. Éclairez-nous, mon garçon… Hum!… c’est du damas de soie!»

«Le petit greffier leva le nez.

«- Je croirais plutôt, dit-il, que nous avons là du damas de laine. Mon père et mon oncle en vendaient; je dois m’y connaître.»

«Une discussion s’éleva sur cette grave question entre le patron et son greffier.

«Pendant ce temps, j’observais attentivement les fenêtres. Elles étaient, je vous l’ai dit, munies de grilles solides; de plus, l’espagnolette était fixée par un gros cadenas: «Ce n’est pas par là qu’il est entré», pensai-je.

«En examinant avec attention le tapis qui touchait à la fenêtre droite, je crus y apercevoir des taches de boue (je ne sais si vous vous souvenez qu’il a beaucoup plu le 2 janvier, et que depuis il a gelé à pierre fendre). On eût dit que quelqu’un avait stationné derrière ces rideaux, près de la fenêtre, pendant un certain temps.

«Je notai encore cette circonstance dans ma mémoire.

«Ce fut le juge de paix qui l’emporta. Le petit greffier finit par convenir qu’il y avait dans les rideaux plus de soie que de laine.

«- Eh bien, et ce tapis, continua le magistrat, il ne faut pas l’oublier. Tenez, mon garçon, continua-t-il en s’adressant à moi, posez la lampe par terre.»

«Je fis ce qu’il désirait, et, après quelques instants de minutieux examen, je vis une trace de pas presque imperceptible, marquée en sable jaunâtre sur le tapis.

«Cette trace partait de la fenêtre et se dirigeait vers le lit.

«- C’est bon!… dit le juge de paix… moquette très ordinaire… Eh! eh! pour un millionnaire, c’est assez simple!… Et ce lit!… du noyer!… et quelle forme!… Voyez donc, monsieur, ajouta-t-il en riant et en se tournant vers M. Bréhat-Kerguen, votre frère, qui avait tant peur des voleurs, couchait dans un lit sous lequel une bande entière de brigands aurait pu se cacher.»

«Il me sembla que les gros sourcils du Breton tremblaient à ces mots prononcés avec indifférence par le juge de paix. On fit ensuite l’inventaire des objets qui garnissaient la cheminée.

«Quelle ne fut pas ma surprise, lorsque mes yeux se dirigèrent vers le clou où la montre était suspendue un instant auparavant: elle avait disparu!

«Et pourtant je n’avais pas quitté des yeux M. Bréhat-Kerguen!

«Au bout d’une demi-heure, l’inventaire de la chambre fut fini et on procéda à celui des autres pièces.

«À onze heures, tout était terminé.

«Je n’avais pu découvrir encore, reprit Maximilien après un instant de repos, la raison qui avait décidé M. Bréhat-Kerguen à me prendre à son service.

«Il ne m’avait, jusqu’à ce jour, donné qu’un seul ordre (lorsqu’il me fit venir pour assister le juge de paix et porter la lumière). Sauf cela, il paraissait avoir totalement oublié que j’existais.

«Cependant, cette raison que je cherchais, je la connus, le lendemain même de l’inventaire. Ce jour-là, vers sept heures, je rencontrai M. Prosper dont la petite figure exprimait le plus vif mécontentement.

«- Figurez-vous, me dit-il, qu’il m’envoie porter cette lettre près de la Bastille. Il n’a pas voulu prendre un commissionnaire, le vieil avare. Il prétend que j’y aille moi-même… et sans tarder… par cette neige et ce froid, il y a de quoi tomber malade.»

«Il s’éloigna en grommelant, puis se retournant:

«- Ah! à propos, dit-il, il vous demande tout de suite, montez chez lui.»

«Je trouvai mon vieux Breton en robe de chambre, la tête enveloppée d’un foulard et en train de fumer une grosse pipe.

«- Vous allez prendre un balai et un plumeau, me dit-il de sa voix rogue, et venir avec moi.»

«J’apportai les deux instruments demandés. Nous descendîmes un étage et entrâmes dans la chambre du défunt.

«- Tout cela est dans un état affreux! gronda mon maître en jetant un coup d’œil sur le désordre de la chambre. Vous allez ranger, balayer, épousseter… et promptement, entendez-vous? Commencez par ce tapis.»