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Au milieu d’un silence solennel, on n’entendait plus que la voix de l’Anglais.

Ensuite, et par une série de transitions qu’il serait trop long d’énumérer, il arriva à raconter ces mille historiettes qui font le bonheur des Parisiens… sur M. Un Tel, mademoiselle Trois-Étoiles, mademoiselle Chose, etc… Ce diable d’homme paraissait tout connaître, et on voyait, à ses réticences habiles, qu’il en savait plus encore qu’il ne voulait en dire.

Il me fit l’effet d’une sorte de comte de Saint-Germain. Il avait vu tous les pays, tous les hommes célèbres des cinq parties du monde, et paraissait même – chose encore plus extraordinaire – avoir habité plusieurs pays à la fois!

Comme il aimait par-dessus tout à parler de lui et de ses hauts faits, il ne tarda pas à dire quelques mots des guérisons célèbres qu’il avait opérées.

L’attention des auditeurs redoubla.

«Oui, Messieurs, oui, Mesdames, fit-il en élevant la voix, je suis sûr qu’en tenant seulement la main de l’un de vous pendant une minute dans les miennes, je pourrai lui dire quelle est sa maladie et, en même temps, lui indiquer le remède.

– C’est incroyable!… c’est étonnant!…» s’écriait-on de toutes parts.

On allait demander au docteur de vouloir bien en faire l’expérience, lorsque Édile, qui préférait les accents de l’orchestre à la voix du docteur et le cotillon à une conférence de médecine, se leva pour passer aux salons, et tout le monde suivit.

Pendant que les danses recommençaient, un cercle nombreux s’était formé autour du docteur indien.

Chacun voulait connaître le mal qui devait l’emporter, et recueillir un peu de ces poudres impalpables qui avaient des effets si merveilleux.

L’Anglais se prêta avec beaucoup de bonne grâce au désir qu’on lui exprimait.

«Oh! Monsieur, dit d’un ton dolent la vieille fille aux bijoux, si vous arrivez à connaître le mal que j’éprouve, je vous proclamerai le premier médecin du monde.

– La récompense est trop précieuse, Mademoiselle, répondit galamment le docteur, pour que je n’essaie pas de la mériter.»

La grande demoiselle rougit et tendit sa main maigre à l’Anglais.

Celui-ci parut réfléchir pendant quelques secondes.

«Oui, vous êtes bien souffrante, en effet.

– N’est-ce pas, Monsieur?

– Oui, répéta le docteur… vous devez ressentir un malaise général, sans que le siège de la maladie soit bien positivement déterminé.

– C’est cela, Monsieur, c’est cela.

– Des palpitations de cœur.

– Oh! oui!

– Eh bien! je vais vous guérir», reprit l’Anglais avec un aplomb imperturbable.

Il porta la main à la poche de son habit et en tira un petit paquet de papier blanc.

«Vous prendrez cette poudre deux fois par jour, lui dit-il, et au bout d’une semaine votre mal aura disparu.»

Édile s’approcha du groupe.

«Allons, Mesdemoiselles, dit-elle de sa voix joyeuse en frappant dans ses petites mains, ces messieurs vous réclament! Ce n’est pas au bal qu’on doit faire dire sa bonne aventure!»

Le comte de Bréant adressa à sa femme un regard des plus tendres qui avait l’intention d’être un reproche pour la manière irrévérencieuse dont elle parlait de la science du médecin son hôte. Mais Édile feignit de ne pas le voir et lui tourna le dos si gentiment, que cet heureux mari ne put s’empêcher de penser qu’il avait la plus charmante petite femme du monde.

«Veuillez m’excuser, Madame, dit le docteur Wickson en s’approchant d’elle avec un sourire prétentieux; mon humble science vient troubler bien mal à propos votre délicieuse fête. J’espère que vous m’accorderez votre pardon afin que je n’emporte pas, dans mes courses lointaines, le pénible regret de vous avoir déplu.»

Il lui tendit la main.

«Voyez, me dit Maximilien à voix basse, quelle superbe bague de diamants madame de Bréant a au doigt et de quels yeux le docteur Wickson la regarde… Elle refuse de lui donner la main… Bien! c’est sage.»

Je ne pus m’empêcher de rire de l’idée du philosophe, et je crus qu’en ce moment ses préventions l’aveuglaient un peu.

«Voici trois heures du matin, lui dis-je; ne serait-il pas temps de songer à la retraite?

– Attendons encore quelques minutes, me répondit-il, sans perdre des yeux le médecin indien. Il y aura sans doute un dénouement à tout ceci, et je désire y assister.»

La prédiction de Maximilien Heller ne tarda pas à s’accomplir.

On entendit tout à coup un cri perçant; tout le monde se retourna du côté d’où venait ce cri, et on vit la vieille demoiselle aux bijoux qui agitait ses longs bras maigres et roulait des yeux effarés.

«Qu’avez-vous donc? lui demanda-t-on de toutes parts.

– Ce que j’ai?… Ah! Madame, mon bracelet… perdu!… perdu!… Il s’est détaché de mon bras, il est tombé sous une banquette!… Ah! mon Dieu! je l’avais encore il y a une demi-heure!…

– Calmez-vous, dit Édile qui était accourue au bruit; les domestiques le retrouveront demain et vous le rendront.

– Oh! ce n’est pas pour sa valeur que j’y tenais! C’était un souvenir!

– Il était faux!» me dit tout bas ma malicieuse cousine en passant près de moi.

Une belle dame, aux épaules opulentes, aux bras d’une éblouissante blancheur, s’approcha en ce moment d’Édile. Elle avait l’air fort inquiet.

«Vous me voyez toute tourmentée, ma chérie, lui dit-elle à demi-voix. Vous savez bien, cette bague en brillants que mon mari m’a donnée il y a trois jours… je crois que je l’ai perdue en retirant mon gant. Vous seriez aimable de recommander à vos gens de la chercher demain et de me la faire remettre…

– Ah mon Dieu! s’écria une jeune dame, j’ai aussi perdu mon bracelet!

– Ma broche! s’exclama une jeune fille.

– Ma montre!» cria un gros monsieur qui avait passé la nuit au buffet.

Ma pauvre petite cousine était devenue toute pâle de saisissement.

«Voilà le dénouement, me dit le philosophe en me prenant par le bras; retirons-nous sans perdre une minute.»

Le docteur Wickson venait de s’éclipser.

Dans l’antichambre, nous rencontrâmes le comte de Bréant qui gourmandait son maître d’hôtel.

«Figurez-vous, me dit-il en me serrant la main, que cinq couverts d’argent ont disparu sans qu’on puisse les retrouver!»

Nous sortîmes en toute hâte de cet hôtel dévalisé et montâmes dans une voiture qui partit au grand trot.

Maximilien Heller ne me dit pas un mot pendant le trajet. Il semblait plongé dans de profondes réflexions et je respectai son silence.