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«Sans hésiter, la somnambule se dirigea vers ce lit, sa lampe à la main. Je me reculai instinctivement et me tins dans l’ombre. Une indicible angoisse s’était emparée de moi, je tremblais d’émotion, et pourquoi ne le dirai-je pas? j’avais peur! Oui, à la pensée que cet homme – qui devait avoir le sommeil léger des assassins – allait se réveiller tout à coup, se trouver en face de cette malheureuse; à la pensée de la terrible scène qui peut-être allait se passer sous mes yeux, je me sentis envahi par une poignante terreur. Cependant, je résolus de demeurer. La curiosité l’emportait encore sur l’émotion et je voulais assister, témoin invisible, à cette entrevue nocturne des deux criminels. J’espérais entendre enfin de leur bouche ces redoutables révélations qui devaient servir de dénouement à mes dangereuses aventures.

«Elle s’approcha du lit et tira lentement les rideaux dont les anneaux grincèrent sur les tringles rouillées, puis elle se pencha vers l’oreiller et sembla écouter.

«Entraîné par un mouvement de curiosité irréfléchie, j’avançai la tête de ce côté. Ô surprise! le lit était vide. Les draps et les couvertures étaient roulés en désordre; l’oreiller était jeté contre le mur.

«Je vins me mettre à côté de ma mystérieuse compagne qui demeurait toujours immobile, penchée sur le dormeur imaginaire. Je remarquai alors avec étonnement que les draps du lit étaient criblés de trous et de déchirures; on eût dit que pendant un grand nombre d’années ils avaient servi de pâture à des légions de souris.

«La femme se releva lentement et se penchant à mon oreille:

«- Il dort bien, murmura-t-elle… Le breuvage que nous lui avons fait prendre était bon.»

«Puis elle me saisit brusquement la main, et me montrant le dessous du lit qui était très élevé:

«- Cache-toi là, me dit-elle, et hâtons-nous.»

«La vérité, la terrible vérité commençait à m’apparaître. Je fis ce qu’elle m’ordonnait; je m’étendis à côté du lit. Alors elle reprit la lampe qu’elle avait posée sur la table de nuit, la cacha sous le châle qui l’enveloppait et se retira dans un des coins obscurs de la chambre.

«Quelques instants après, je vins la rejoindre et lui dis:

«- C’est fait!

«- Déjà?» répliqua-t-elle en poussant un grand soupir.

«Elle s’approcha encore une fois du lit, passa sa main amaigrie sur les couvertures, et, la posant à une place qu’elle croyait être sans doute la poitrine du dormeur, elle attendit anxieuse, immobile.

«- Oui, dit-elle enfin d’une voix caverneuse, il est bien mort… C’est terrible! cela vaut mieux qu’un coup de couteau… cela ne laisse pas de traces, n’est-ce pas?»

«Ces mots sortirent de sa bouche, entrecoupés, haletants. La malheureuse semblait oppressée par un poids énorme. Un frisson agitait tout son corps.

«Enfin elle me dit encore, en serrant mon bras entre ses deux mains de fer:

«- Maintenant… il faut le faire disparaître… tu prendras sa place… et je serai ta femme… Je serai riche!…»

«Mes yeux tombèrent, en ce moment, sur le journal qui gisait déplié sur la table de nuit. Je me dégageai doucement de l’étreinte de cette femme, et j’approchai le journal de la lampe.

«Il portait la date du 25 janvier 1836. Nous étions au 25 janvier 1846.

«Je compris tout. Cette scène mystérieuse, dans laquelle je venais de remplir un rôle, était sans doute la répétition du drame qui s’était joué dix ans auparavant, jour pour jour, dans cette même chambre, auprès de ce même lit.

«Depuis dix ans, M. Bréhat-Kerguen était mort, tué par un audacieux bandit qui avait osé prendre son nom, sa fortune, et jusqu’aux traits de son visage!

«Cette femme avait été la complice du crime et elle était devenue l’épouse de l’assassin.

«Vous souvenez-vous que, lors de l’autopsie du malheureux banquier de la rue Cassette, l’intendant M. Prosper nous a dit que M. Bréhat-Kerguen avait épousé sa servante?

«J’ai su depuis que cette femme se nommait Yvonne.»

CHAPITRE IX UNE DÉCOUVERTE

«Locnevinen, auberge de l’Écu-de-France.

«Onze heures du soir.

«J’ai été obligé d’interrompre ma dernière lettre déjà bien longue. Les événements de cette nuit de mercredi m’avaient fatigué outre mesure. C’est à peine si j’ai eu hier la force de me traîner jusqu’au mur du jardin, pour remettre ma missive à Jean-Marie.

«Je suis enchanté de mon petit messager; il me paraît fort intelligent et fort discret. Je l’ai chargé pour le receveur de la poste d’un mot dans lequel je demande à ce fonctionnaire de vouloir bien remettre au porteur les lettres qui seront à mon adresse. D’ailleurs, je crois que je ne resterai plus bien longtemps ici. Je touche au terme de mon entreprise, et, mort ou vif, vous me reverrez bientôt.

«Mais il faut que je reprenne mon récit où je l’ai laissé.

«La somnambule, après ce simulacre du crime, m’entraîna rapidement hors de la chambre dont elle ferma la porte à double tour.

«Elle marchait maintenant à grands pas, si vite que j’avais peine à la suivre. Elle remonta le petit escalier creusé dans le mur, et lorsqu’elle fut parvenue sur la dernière marche, elle s’arrêta subitement, et, se serrant contre moi, elle murmura d’une voix étranglée:

«- Entends-tu?… entends-tu?… Ils sont à notre poursuite… On nous a vus… Nous sommes perdus!»

«Puis elle reprit sa course, courbée en deux, frémissante, les yeux hagards. Je la suivis jusqu’à sa chambre, dans laquelle elle s’enferma. Une horrible expression de terreur était peinte sur son visage livide. Enfin elle se recoucha, ferma les yeux et monta jusqu’à sa bouche ses couvertures qu’elle mordit violemment.

«Je restai quelque temps debout près de son lit, la considérant avec attention. Bientôt sa respiration devint plus calme, sa figure moins pâle; je compris qu’elle s’était rendormie du sommeil naturel.