Pas de réponse. Le commissaire poursuivit avec calme:
«Savez-vous de quel crime vous êtes accusé? On vous soupçonne d’avoir empoisonné votre maître. Qu’avez-vous à répondre?»
Un tremblement convulsif s’empara du prévenu. Il ouvrit deux ou trois fois la bouche pour parler, mais la terreur l’étreignait à la gorge, et il ne fit entendre que des sons inintelligibles.
«Voyons, Guérin, reprit le commissaire en détachant un moment ses regards du visage du prévenu pour les reporter sur les papiers placés devant lui, qu’il feignit de classer, nous ne sommes ni des juges ni des bourreaux, et nous ne voulons vous faire aucun maclass="underline" parlez sans crainte; dites ce que vous voudrez, mais parlez. Il peut se faire que vous soyez innocent, bien que les charges qui pèsent sur vous soient graves et sérieuses. Je vous ferai remarquer que votre silence, votre trouble peuvent être mal interprétés et servir de preuves contre vous. Avouez-vous avoir acheté de l’arsenic avant-hier chez l’herboriste Legras?»
Le prévenu fit un violent effort pour se dégager des mains de ceux qui le serraient; mais ce fut en vain. Il vit que ses tentatives seraient inutiles, que la fuite était impossible. Alors des larmes jaillirent de ses yeux, et d’une voix entrecoupée par les sanglots:
«Laissez-moi! s’écria-t-il, laissez-moi!… Je suis innocent! oh! Messieurs, je suis un honnête homme, je vous le jure! J’arrive de mon pays et vous pouvez demander là-bas… je suis un honnête homme!… J’ai une pauvre vieille mère…, j’étais venu à Paris pour gagner un peu d’argent, car elle est infirme et ne peut travailler… Moi! un assassin!… Oh! mon Dieu!… mon Dieu!…» Il joignit ses mains chargées de menottes et fit un effort pour les lever vers le ciel… puis soudain les forces parurent l’abandonner. Il poussa un profond soupir; si les agents ne l’avaient soutenu, il serait tombé la face contre terre, sur le carreau de la mansarde.
«Portez-le sur le lit», fit M. Bienassis en désignant le grabat placé dans un coin de la petite pièce.
Maximilien posa sa longue main amaigrie sur l’épaule du commissaire et lui dit avec un sourire plein d’amertume:
«Vous dites, Monsieur, que cet homme est un assassin?»
M. Bienassis se retourna, un peu surpris, puis secouant la tête:
«Il a contre lui des charges accablantes, fit-il d’une voix si basse que seuls nous pûmes l’entendre. Il n’a pourtant pas l’air d’un criminel. Je dois m’y connaître, Monsieur, et je vous dis: De deux choses l’une: ou bien cet homme est parfaitement innocent, ou bien c’est un affreux scélérat et un grand comédien…»
M. Bienassis fit encore un signe à l’un de ses agents afin de lui recommander d’avoir l’œil sur le prévenu dont l’évanouissement pouvait bien être simulé. Se tournant ensuite vers le serrurier, qui, debout près de lui, attendait ses ordres:
«Ouvrez-moi cette malle, dit-il, et dépêchons-nous.»
Le serrurier brisa, à coups de marteau, le cadenas qui fermait la caisse noire. M. Bienassis s’approcha alors, sa bougie à la main, et souleva le couvercle.
La malle était remplie d’habits grossiers et de linge de paysan; mais les habits étaient soigneusement brossés; le linge, d’une blancheur éblouissante, exhalait le parfum champêtre de la lavande. Tous ces pauvres objets étaient rangés avec un soin qui témoignait que la main d’une femme, d’une mère attentive et prévoyante, avait présidé à ces humbles apprêts.
Le malheureux Guérin était revenu de son évanouissement: on l’avait assis sur une chaise. Les yeux pleins de larmes, il suivait les mouvements des agents qui bouleversaient tout ce bel ordre, dépliaient les hardes du pauvre garçon, les secouaient, fouillaient les poches et palpaient les doublures.
«Tiens! un nœud de rubans!» fit tout à coup l’un des agents en tirant d’un coin de la malle un bouquet fané entouré de faveurs roses.
Il le jeta en riant à un de ses camarades.
«Prends-le, Gustave, dit-il, tu le donneras à ta prétendue.»
M. Bienassis lança un regard de colère à son agent. En entendant cette plaisanterie un peu cruelle, le prévenu s’était soulevé sur son siège et avait serré violemment l’une contre l’autre ses deux mains liées.
Maximilien Heller s’était levé, lui aussi, et considérait cette scène d’un air sombre.
«Monsieur le commissaire, dit le prévenu d’un air suppliant, voulez-vous me laisser ce nœud de rubans?
– Montrez-moi cela», dit M. Bienassis.
Il examina quelque temps le bouquet avec attention, le palpa, parut hésiter une seconde, puis enfin ordonna qu’on le remît au prévenu.
Cependant les agents continuaient leur perquisition sous l’œil attentif du commissaire; mais ils avaient beau tourner et retourner les vêtements, enfoncer leurs doigts dans tous les coins de la caisse, ils ne paraissaient pas trouver ce qu’ils cherchaient.
«Laissez cette caisse, dit enfin M. Bienassis, lorsqu’il vit le résultat infructueux des recherches… Visitez un peu cette paillasse… C’est peut-être là que nous trouverons l’argent.»
La paillasse fut retournée, défoncée, mais en vain.
Le commissaire ne se découragea pourtant pas; il fit inspecter par ses agents, avec un soin extrême, les carreaux qui pavaient la chambre; il fit briser le bois des chaises, qui aurait pu être creusé de façon à recéler de l’or; la table fut démontée, les murs sondés à coups de marteau; on fouilla les cendres de la cheminée.
Enfin, après s’être livrés pendant près d’une heure à ce minutieux travail, les agents s’arrêtèrent fatigués, et s’entre-regardèrent aussi penauds que des chasseurs qui ont battu la campagne toute la journée sans découvrir la moindre trace de gibier.
«C’est inconcevable! c’est inouï en vérité! murmurait M. Bienassis en tenant sa tête à deux mains. Qu’est-ce que cet argent a pu devenir? Cet homme n’avait pas de connaissances à Paris, pas de complices, c’est évident… Le crime est commis hier, nous l’arrêtons il y a une heure et il est impossible de mettre la main sur la somme volée!»
Le philosophe ne paraissait prêter aucune attention au monologue du commissaire de police; son regard s’était fixé sur Guérin, dont il considérait avec intérêt la physionomie bouleversée.
Après quelques minutes de réflexion, M. Bienassis parut se décider à tenter un nouvel effort auprès du prévenu.
«Le résultat de nos recherches paraît vous être favorable, lui dit-il; ne croyez pas cependant que la justice renonce à poursuivre ses investigations. Une somme considérable a été dérobée dans la nuit du meurtre; il faut qu’elle se retrouve; elle se retrouvera. Les plus graves soupçons pèsent sur vous, tout vous désigne comme l’assassin de M. Bréhat-Lenoir: les preuves sont palpables, évidentes. Il ne vous reste qu’un moyen de vous sauver: la franchise. Avouez votre crime, révélez l’endroit où vous avez caché l’argent volé, dites le nom de vos complices: la justice vous tiendra compte de votre sincérité et vous pourrez échapper à la peine capitale qui vous menace.»