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Les écrits de Chateaubriand sous la Restauration peuvent se diviser en plusieurs séries.

La première comprend les écrits purement royalistes, ceux où il présente les Bourbons à la France nouvelle. Ces pages de circonstance, l’écrivain a su les élever à la hauteur de pages d’histoire. En dépit des révolutions, elles ont conservé leur beauté. Elles sont aujourd’hui oubliées, je le veux bien; cela importe peu, puisque aussi bien elles sont immortelles.

En voici la liste: Compiègne, compte rendu de l’arrivée de Louis XVIII (avril 1814); Le Vingt-et-un janvier (janvier 1815); Notice sur la Vendée (1818); la Mort du duc de Berry (février 1820); Mémoires sur S. A. R. Monseigneur le duc de Berry (juin 1820); Le Roi est mort: Vive le roi! (septembre 1824); Le Sacre de Charles X (juin 1825); La Fête de saint Louis (25 août 1825); La Saint-Charles (3 novembre 1825).

Les Mémoires touchant la vie et la mort du duc de Berry ont été composés sur les documents originaux les plus précieux. Ils renferment des lettres de Louis XVIII, de Charles X, du duc d’Angoulême, du duc de Berry, du prince de Condé, et un fragment de journal inédit.

Ce livre reçut une récompense d’un prix inestimable. La mère du duc de Bordeaux voulut que les Mémoires fussent ensevelis avec le cœur de la victime de Louvel. Cette récompense était méritée. Chateaubriand n’a peut-être pas d’ouvrage plus achevé. Il semble, en l’écrivant, s’être proposé pour modèle la Vie d’Agricola, de Tacite. Le succès n’a pas trompé son effort. S’il est dans notre littérature historique un livre qui puisse être mis à côté de l’œuvre du grand historien latin, ce sont les Mémoires sur le duc de Berry.

Chateaubriand s’était associé aux joies de la famille royale; il s’était associé surtout à ses douleurs et à ses deuils. Mais il s’était proposé en même temps une autre tâche. L’éducation politique de la France était à faire. La Charte de 1814 avait établi le gouvernement représentatif. Les hommes qui avaient servi la Révolution et l’Empire l’acceptaient, s’y résignaient tout au moins, parce qu’ils y voyaient la sauvegarde de leurs intérêts. Les royalistes, au contraire, croyaient avoir besoin de garanties, du moment que leur parti et leurs idées triomphaient, et ils ne laissaient pas d’éprouver quelque appréhension en présence d’un régime qui avait le tort, à leurs yeux, de rappeler ce gouvernement des Assemblées qui, en 1791 et 1792, avaient détruit la monarchie. Il était donc nécessaire de dissiper ces préventions, de montrer aux royalistes que leur intérêt, aussi bien que leur devoir, était de se rallier à la Charte. Il n’importait pas moins de prouver au pays que les partisans les plus convaincus et les plus éloquents de la Charte se trouvaient dans les rangs des serviteurs de la royauté.

C’est à cette œuvre, importante entre toutes, que s’employa Chateaubriand. Il publia successivement les considérations sur l’État de la France au 4 octobre 1814, les Réflexions politiques sur quelques écrits du jour et sur les intérêts de tous les Français (décembre 1814), le Rapport sur l’état de la France, fait au Roi dans son conseil (mai 1815), et la Monarchie selon la Charte (septembre 1816).

Tous ces écrits, les trois derniers surtout, furent des événements. Écrites à l’occasion de diverses brochures révolutionnaires, et plus particulièrement du Mémoire au roi, de Carnot, où l’ancien membre du Comité de salut public faisait l’éloge des régicides, les Réflexions politiques renfermaient, dans leur première partie, sur la Révolution et sur les juges de Louis XVI, des pages admirables et dont Joseph de Maistre lui-même n’a pas surpassé l’éloquence. Dans une seconde partie, l’auteur faisait l’éloge de la Charte, montrait qu’elle consacrait tous les principes de la monarchie, en même temps qu’elle posait toutes les bases d’une liberté raisonnable. C’était un traité de paix signé entre les deux partis qui avaient divisé les Français: traité où chacun des deux abandonnait quelque chose de ses prétentions pour concourir à la gloire de la patrie.

Quelques jours après l’apparition des Réflexions politiques, le roi Louis XVIII, recevant une députation de la Chambre des députés, saisit cette occasion solennelle pour faire l’éloge de l’ouvrage de Chateaubriand et pour déclarer que les principes qui y étaient contenus devaient être ceux de tous les Français.

Bientôt cependant Napoléon allait quitter l’île d’Elbe, détruire toutes les espérances de réconciliation et déchaîner sur la France les plus terribles catastrophes. Chateaubriand a suivi Louis XVIII à Gand, il fait partie de son Conseil, et il rédige, à la date du 12 mai 1815, le Rapport au Roi sur l’état de la France. À Gand comme à Paris, il se montre fidèle aux principes d’une sage liberté, il proclame une fois de plus qu’on ne peut régner en France que par la Charte et avec la Charte. Approuvé par le roi, inséré au Journal officiel, le rapport du 12 mai est un des documents les plus considérables de la période des Cent-Jours. C’était une réponse à l’Acte additionnel, et le gouvernement impérial en fut troublé à ce point qu’il fit, à l’occasion de ce rapport, ce que le Directoire avait fait à l’apparition des Mémoires de Cléry. Le texte en fut audacieusement falsifié. Chateaubriand était censé proposer au roi le rétablissement des droits féodaux et des dîmes ainsi que le retour des biens nationaux à leurs anciens propriétaires. Rien ne prouve mieux que ce faux en matière historique l’importance de l’écrit de Chateaubriand. S’il avait pu être répandu dans toute la France, comme la brochure De Buonaparte et des Bourbons, il aurait, une fois de plus, valu à Louis XVIII une armée.

La Monarchie selon la Charte, publiée au mois de septembre 1816, est divisée en deux parties. La seconde avait trait aux circonstances du moment; elle ne présente plus qu’un intérêt très secondaire. Il n’en est pas de même de la première. Les quarante chapitres dont elle se compose sont consacrés à développer les principes du gouvernement représentatif, et ces principes sont, en général, les véritables, les principes orthodoxes constitutionnels. Le style est partout sobre, précis, exact. Chateaubriand enseigne la langue parlementaire à des hommes qui étaient loin de la parler avec cette netteté et cette lucidité. Un vieil adversaire, l’abbé Morellet[63], ne pouvait en revenir de surprise. L’auteur d’Atala avait disparu pour faire place à un publiciste qui, s’il n’égalait pas Montesquieu, le rappelait cependant par plus d’un côté.

V

Un jour devait venir où, de plus en plus attiré par la politique, Chateaubriand se ferait journaliste. Pendant deux ans, d’octobre 1818 à mars 1820, il a dirigé Le Conservateur, auquel il avait donné pour devise: Le Roi, la Charte et les Honnêtes gens. Après sa sortie du ministère, il devint l’un des rédacteurs du Journal des Débats, où il écrivit pendant trois ans et demi, du 21 juin 1824 à la fin de 1827.

Si j’écrivais la vie politique de Chateaubriand, je serais sans doute amené à relever les inconséquences et les contradictions auxquelles il n’a pas échappé: libéral, il a combattu le ministère libéral de M. Decazes; royaliste, il a combattu le ministère royaliste de M. de Villèle. Je serais conduit à déplorer les funestes résultats de ses ardentes polémiques. Mais je n’examine que la valeur littéraire de ses œuvres, je ne considère que le talent déployé. Or, le talent ici fut merveilleux. Chateaubriand a été sans conteste le plus grand polémiste de son temps. Il serait resté – si Louis Veuillot ne fût pas venu – le maître du journalisme au XIXe siècle. Armand Camel, son élève, ne l’a suivi que de très loin, non passibus æquis. Solidité de la dialectique, trame serrée du raisonnement, propriété de termes exacte et forte, ces qualités du journaliste, Chateaubriand les possède au plus haut degré; mais il a de plus ce qui manqua au rédacteur du National, l’image éblouissante, le rayon poétique, l’éclair lumineux de l’épée. Napoléon ne s’y trompa point. Il disait, à Sainte-Hélène, après avoir lu les premiers articles du Conservateur:

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[63]

Il avait publié, en l’an IX, des Observations critiques sur le roman intitulé: Atala.