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Utiliser pour mieux comprendre un commencement de maladie de cœur.
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Qu’est Hécube pour lui ? se demande Hamlet en présence de l’acteur ambulant qui pleure sur Hécube. Et voilà Hamlet bien obligé de reconnaître que ce comédien qui verse de vraies larmes a réussi à établir avec cette morte trois fois millénaire une communication plus profonde que lui-même avec son père enterré de la veille, mais dont il n’éprouve pas assez complètement le malheur pour être sans délai capable de le venger.
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La substance, la structure humaine ne changent guère. Rien de plus stable que la courbe d’une cheville, la place d’un tendon, ou la forme d’un orteil. Mais il y a des époques où la chaussure déforme moins. Au siècle dont je parle, nous sommes encore très près de la libre vérité du pied nu.
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En prêtant à Hadrien des vues sur l’avenir, je me tenais dans le domaine du plausible, pourvu toutefois que ces pronostics restassent vagues. L’analyste impartial des affaires humaines se méprend d’ordinaire fort peu sur la marche ultérieure des événements ; il accumule au contraire les erreurs quand il s’agit de prévoir leur voie d’acheminement, leurs détails et leurs détours. Napoléon à Sainte-Hélène annonçait qu’un siècle après sa mort l’Europe serait révolutionnaire ou cosaque ; il posait fort bien les deux termes du problème ; il ne pouvait pas les imaginer se superposant l’un à l’autre. Mais, dans l’ensemble, c’est seulement par orgueil, par grossière ignorance, par lâcheté, que nous nous refusons à voir sous le présent les linéaments des époques à naître. Ces libres sages du monde antique pensaient comme nous en terme de physique ou de physiologie universelle : ils envisageaient la fin de l’homme et la mort du globe. Plutarque et Marc Aurèle n’ignoraient pas que les dieux et les civilisations passent et meurent. Nous ne sommes pas les seuls à regarder en face un inexorable avenir.
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Cette clairvoyance attribuée par moi à Hadrien n’était d’ailleurs qu’une manière de mettre en valeur l’élément presque faustien du personnage, tel qu’il se fait jour, par exemple, dans les Chants Sibyllins, dans les écrits d’Ælius Aristide, ou dans le portrait d’Hadrien vieilli tracé par Fronton. À tort ou à raison, on prêtait à ce mourant des vertus plus qu’humaines.
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Si cet homme n’avait pas maintenu la paix du monde et rénové l’économie de l’empire, ses bonheurs et ses malheurs personnels m’intéresseraient moins.
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On ne se livrera jamais assez au travail passionnant qui consiste à rapprocher les textes. Le poème du trophée de chasse de Thespies, consacré par Hadrien à l’Amour et à la Vénus Ouranienne « sur les collines de l’Hélicon, au bord de la source de Narcisse », est de l’automne 124 ; l’empereur passa vers la même époque à Mantinée, où Pausanias nous apprend qu’il fit relever la tombe d’Épaminondas et y inscrivit un poème. L’inscription de Mantinée est aujourd’hui perdue, mais le geste d’Hadrien ne prend peut-être tout son sens que mis en regard d’un passage des Moralia de Plutarque qui nous dit qu’Épaminondas fut enseveli dans ce lieu entre deux jeunes amis tués à ses côtés. Si l’on accepte pour la rencontre d’Antinoüs et de l’empereur la date du séjour en Asie Mineure de 123-124, de toute façon la plus plausible et la mieux soutenue par les trouvailles des iconographes, ces deux poèmes feraient partie de ce qu’on pourrait appeler le cycle d’Antinoüs, inspirés tous deux par cette même Grèce amoureuse et héroïque qu’Arrien évoqua plus tard, après la mort du favori, lorsqu’il compara le jeune homme à Patrocle.
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Un certain nombre d’êtres dont on voudrait développer le portrait : Plotine, Sabine, Arrien, Suétone. Mais Hadrien ne pouvait les voir que de biais. Antinoüs lui même ne peut être aperçu que par réfraction, à travers les souvenirs de l’empereur, c’est-à-dire avec une minutie passionnée, et quelques erreurs.
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Tout ce qu’on peut dire du tempérament d’Antinoüs est inscrit dans la moindre de ses images. Eager and impassionated tenderness, sullen effeminacy : Shelley, avec l’admirable candeur des poètes, dit en six mots l’essentiel, là où les critiques d’art et les historiens du xIxe siècle ne savaient que se répandre en déclamations vertueuses, ou idéaliser en plein faux et en plein vague.
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Portraits d’Antinoüs : ils abondent, et vont de l’incomparable au médiocre. Tous, en dépit des variations dues à l’art du sculpteur ou à l’âge du modèle, à la différence entre les portraits faits d’après le vivant et les portraits exécutés en l’honneur du mort, bouleversent par l’incroyable réalisme de cette figure toujours immédiatement reconnaissable et pourtant si diversement interprétée, par cet exemple, unique dans l’Antiquité, de survivance et de multiplication dans la pierre d’un visage qui ne fut ni celui d’un homme d’État ni celui d’un philosophe, mais simplement qui fut aimé. Parmi ces images, les deux plus belles sont les moins connues : ce sont aussi les seules qui nous livrent le nom d’un sculpteur. L’une est le bas-relief signé d’Antonianus d’Aphrodisias et retrouvé il y a une cinquantaine d’années sur une terre d’un institut agronomique, les Fundi Rustici, dans la salle du conseil d’administration duquel il est placé aujourd’hui. Comme aucun guide de Rome n’en signale l’existence dans cette ville déjà encombrée de statues, les touristes l’ignorent. L’œuvre d’Antonianus a été taillée dans un marbre italien ; elle fut donc certainement exécutée en Italie, et sans doute à Rome, par cet artiste installé de longue date dans la Ville ou ramené par Hadrien de l’un de ses voyages. Elle est d’une délicatesse infinie. Les rinceaux d’une vigne encadrent de la plus souple des arabesques le jeune visage mélancolique et penché : on songe irrésistiblement aux vendanges de la vie brève, à l’atmosphère fruitée d’un soir d’automne. L’ouvrage porte la marque des années passées dans une cave pendant la dernière guerre : la blancheur du marbre a momentanément disparu sous les taches terreuses ; trois doigts de la main gauche ont été brisés. Ainsi les dieux souffrent des folies des hommes. [Note de 1958. Les lignes ci-dessus ont paru pour la première fois il y a six ans ; entre-temps, le bas-relief d’Antonianus a été acquis par un banquier romain, Arturo Osio, curieux homme qui eût intéressé Stendhal ou Balzac. Osio a pour ce bel objet la même sollicitude qu’il a pour les animaux à l’état libre qu’il garde dans une propriété à deux pas de Rome, et pour les arbres qu’il a plantés par milliers dans son domaine d’Orbetello. Rare vertu : « Les Italiens détestent les arbres », disait déjà Stendhal en 1828, et que dirait-il aujourd’hui, où les spéculateurs de Rome tuent à coups d’injections d’eau chaude les pins parasols trop beaux, trop protégés par les règlements urbains, qui les gênent pour édifier leurs termitières ? Luxe rare aussi : combien peu d’hommes riches animent leurs bois et leurs prairies de bêtes en liberté, non pour le plaisir de la chasse, mais pour celui de reconstituer une espèce d’admirable Éden ? L’amour des statues antiques, ces grands objets paisibles, à la fois durables et fragiles, est presque aussi peu commun chez les collectionneurs à notre époque agitée et sans avenir. Sur l’avis des experts, le nouveau possesseur du bas-relief d’Antonianus vient de lui faire subir par une main habile le plus délicat des nettoyages ; une lente et légère friction du bout des doigts a débarrassé le marbre de sa rouille et de ses moisissures, rendant à la pierre son doux éclat d’albâtre et d’ivoire.] Le second de ces chefs-d’œuvre est l’illustre sardoine qui porte le nom de Gemme Marlborough, parce qu’elle appartint à cette collection aujourd’hui dispersée ; cette belle intaille semblait égarée ou rentrée sous terre depuis plus de trente ans. Une vente publique à Londres l’a remise en lumière en janvier 1952 ; le goût éclairé du grand collectionneur Giorgio Sangiorgi l’a ramenée à Rome. J’ai dû à la bienveillance de ce dernier de voir et de toucher cette pièce unique. Une signature incomplète, qu’on juge, sans doute avec raison, être celle d’Antonianus d’Aphrodisias, se lit sur le rebord. L’artiste a enfermé avec tant de maîtrise ce profil parfait dans le cadre étroit d’une sardoine que ce bout de pierre reste au même degré qu’une statue ou qu’un bas-relief le témoignage d’un grand art perdu. Les proportions de l’œuvre font oublier les dimensions de l’objet. À l’époque byzantine, le revers du chef d’œuvre a été coulé dans une gangue de l’or le plus pur. Il a passé ainsi de collectionneur inconnu en collectionneur inconnu jusqu’à Venise, où on signale sa présence dans une grande collection au XVIIe siècle ; Gavin Hamilton, l’antiquaire célèbre, l’acheta et l’apporta en Angleterre, d’où il revient aujourd’hui à son point de départ, qui fut Rome. De tous les objets encore présents aujourd’hui à la surface de la terre, c’est le seul dont on puisse présumer avec quelque certitude qu’il a souvent été tenu entre les mains d’Hadrien.