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Il bondit, animé d’un véhément courroux.

— Qu’est-ce que c’est que ces incinérations ! Tu me prends pour un miché, non ? Tu te figures que je serais allé lever une ramoneuse de goussets ! Intonation est une fille réglo, ça se voit !

Il la regarde avec attendrissement. Elle vient de passer par-dessus le drap son nez en bec de pélican.

— O.K., m’excusé-je, elle sort du couvent. Excuse-moi, j’avais pas remarqué.

Avant de passer la lourde, je lui jette :

— Tu as déjà le lard et le canapé, Béru. Il ne te manque plus que des petits pois pour avoir l’air d’un vrai pigeon !

CHAPITRE IV

Le vieux taulier et ses locataires se sont dispersés et le couloir a retrouvé son calme nocturne. Furax, je pénètre dans ma chambre.

— Excuse-moi, douce Conchita, mais cet abruti…

Je ne termine pas. À quoi bon ? Puisque la pièce est vide.

Je cavale jusqu’au lit, je regarde dans la ruelle : personne.

Je me tourne vers la commode sur laquelle, je me rappelle que la môme avait posé non pas son poster mais son sac à main : il n’y est plus. Je fonce alors jusqu’à ma veste : mon portefeuille n’y est plus non plus. Tel que je vous le cause ! Il a bonne mine, le San-A, non ? Surtout après les recommandations que je viens de faire à mon acolyte ! Profitant de l’algarade, la môme m’a piqué mon larfouillet. Il contenait cent mille ronds de fumée, pas mal de dollars, quelques francs français et, surtout, ma carte de police.

Je crois qu’il va falloir que je me colle du coton dans les oreilles, car si je m’écoute, je vais décortiquer le mobilier pour en faire des allumettes.

Je retourne à une allure supersonique dans la carrée de Béru. Il vient de reprendre ses intéressantes démonstrations et sa morue roucoule comme le cheptel d’un colombophile.

— Quoi t’es-ce qu’y a z’encore ! tonne Tonton Béru.

Il est mauvais comme la grippe espagnole, mon Gravos. Il gueule que ça ne peut plus durer commak et qu’à ce régime-là il va perdre ses moyens. Néanmoins, de sa démarche pachydermique il vient m’ouvrir après être passé à travers son calbar.

— Encore toi !

Je pénètre sur son terrain de manœuvre.

— Pendant que je te chapitrais, la copine de madame me secouait mon crapaud !

Il se met à rigoler à en perdre le souffle. Il se claque les jambons et tousse comme un sanatorium.

— Et dire que tu me conseillais de faire gaffe ! Oh, ce que t’as bonne mine !

La moutarde commence à me grimper dans les sinus frontaux.

— Écrase, Béru, je ne suis pas d’humeur à… Si tu permets j’ai besoin de faire la causette avec ta bergère, tu la finiras après s’il en reste !

— Allons bon, c’est nouveau, ronchonne le Volumineux. J’ai idée que cette nuit, si je veux m’envoyer en l’air, faut que je prenne l’ascenseur ! Qu’est-ce que tu lui veux à Infiltration, hein ? C’est pas elle qui t’a piqué ton flouze…

— Non, mais c’est une de ses collègues dont j’aimerais avoir l’adresse.

Je m’approche du pageot où la môme Incarnation reprend des mines de duchesse effarouchée.

— Ma douce amie, susurré-je, à la suite d’un cruel malentendu, Conchita m’a quitté. Je voudrais son adresse afin d’aller lui présenter mes excuses dare-dare.

— Je ne sais pas où elle habite.

La gosse a un air aussi sincère qu’un marchand de bagnoles d’occase qui vous cloque une B14 en vous jurant que c’est une Chevrolet dernier cric.

Je vous parie un cas de conscience contre une conscience d’Inca qu’elle se gaffe de ce qui est arrivé. Ces demoiselles doivent être outillées pour plumer les pigeons étrangers.

Moi, vous me connaissez. J’ai horreur qu’on confonde trop longtemps ma physionomie avenante avec une portion de choucroute.

Ça part sec ! « Vlouff » ! La mandale des grands soirs. Incarnation éternue son dentier.

Béru le ramasse sur la carpette élimée en protestant.

— T’as des manières !

Quant à la souris elle vient au renaud à travers ses chicots jaunis par la marijuana. Elle ameute la garde de tous ses poumons. Pour la faire taire je lui balance ma livre avec os à travers son outillage à murmures. Le choc lui dévoile une tripotée d’étoiles toutes plus scintillantes les unes que les autres.

— Tu vas parler, ma gosse ! grincé-je. Et vite, sinon, aussi vrai que je suis l’homme le plus doux de la création, je vais te balancer par la fenêtre.

Elle pleure maintenant, des sanglots violents qui protestent.

— Je compte jusqu’à trois, fais-je. Ensuite, si tu ne m’as pas dit où crèche ta copine, tu vas déguster de la bordure de trottoir.

Ayant dit, je la cramponne dans mes bras et je m’approche de la croisée.

— Une… deux…

— Écoute, plaide le Gros, elle peut encore servir…

— Trois !

La môme hurle :

— Non ! je vais parler…

Je la refous sur le lit. Elle pleurniche un bon coup, et, brusquement, avec une rapidité déconcertante, elle court à la lourde. Béru qui se trouvait sur le passage, la stoppe d’un croc-en-jambe. Puis, galant comme au Grand Siècle, il l’aide à se relever. Il commence à être agacé par l’attitude de sa partenaire.

— Écoute, Interdiction, fait-il de sa voix des grands jours, mon copain a raison : faut que tu t’allonges. On peut pas se permettre de se faire pigeonner, on a un standing, tu comprends…

Je reviens à la brune pileuse.

— Alors, cette adresse ?

— Elle habite 69, Calle Igula !

Je prends note.

— J’espère pour tes fesses que tu dis vrai. Si jamais tu en as menti les arrière-petits-enfants de tes enfants eux-mêmes ne pourront pas encore s’asseoir.

Je me tourne vers Béru.

— Tâche d’être moins pomme que moi, Béru. Pendant que je fonce sur le sentier de la guerre, surveille celle-ci. Elle nous sert d’otage.

Le Gros opine. Sa large bouille congestionnée est empreinte de mélancolie.

— On peut se farcir des otages ? demande-t-il.

— À la guerre tous les coups sont permis ! dis-je.

— Tant qu’il y aura que des coups dans le genre de çui que j’y réserve, l’humanité aura pas à rouscailler, affirme mon pote.

La Calle Igula est une venelle obscure dans le bas quartier de Le Corona. Quelques estaminets brillent encore. On entend lamenter des guitares, et des voix avinées psalmodient des trucs qui feraient chialer un pétomane.

Je stoppe devant le 69. La maison est l’une des plus lépreuses. Elle n’a qu’un étage, et c’est tant mieux car ses fondations mitées n’en supporteraient pas davantage. Le bas est occupé par l’échoppe d’un bouif. Je m’aventure dans un escalier aussi branlant que l’ultime molaire d’un centenaire. Les marches de bois craquent comme un incendie. Me voici devant une porte à demi vitrée. On a collé du papier sur les carreaux. Aucune lumière ne filtre. Je mets la main sur le loquet et je tourne. La porte est fermaga. Heureusement que j’ai mon petit ami sésame sous la main. Cric, crac ! Cette serrure est moins rétive qu’une fille de joie.

J’entre. Une fade odeur de crasse, de friture refroidie et de fumée de cigare me saute à la gorge.

Je gratte une alouf. Sa lumière brève et vacillante me révèle une piaule minable, chichement meublée. Je découvre une bougie plantée classiquement dans le goulot d’une bouteille. L’appartement ne bénéficie pas de la fée électricité. Mais la flamme de la bougie me suffit pour examiner les lieux. Je constate que la pièce est vide. Une petite cuisine sans fenêtre la jouxte. Elle est également vide. Je fais chou blanc. J’aurais dû me douter que, son larcin accompli, la môme disparaîtrait de la circulanche, surtout en ayant constaté qu’elle venait de piquer l’oseille d’un flic !