Il pose des tas de questions à la souris qui lui répond docilement.
Pendant que ça discutaille, je quitte mon poste d’observation pour explorer la bagnole des flics. Chose curieuse elle n’a rien d’officiel. C’est une guindé normale, bleue et blanche, pleine de chromes. Sur la plage arrière il y a un outil qui m’intéresse au plus haut point : une mitraillette.
Après quelques hésitations je m’en empare. Je vérifie le magasin de l’engin : il est plein. Avec ça, on peut guérir les ulcères à l’estomac d’un tas de pèlerins. Que dois-je faire ? Donner l’assaut ?
Ce projet me semble d’une témérité incommensurable. Même si l’effet de surprise… et la mitraillette me permettaient de neutraliser ces six personnes, le coup de force ne me mènerait à rien. J’ai affaire à des flics et il est mauvais de guérir le hoquet d’un flic en lui appuyant l’orifice d’une mitraillette sur le baquet.
Je serais mis hors la loi dare-dare et il est mauvais d’être un hors-la-loi dans une île perdue en plein Atlantique. Par contre, je dois m’attendre à de graves ennuis de la part de ces messieurs qui, maintenant, connaissent ma véritable identité et peuvent à loisir nous accuser d’espionnage, Son Enflure et moi.
J’hésite encore lorsque la porte s’ouvre. Je me plaque derrière un massif d’auri sacra fames à feuilles vernissées. L’homme au complet beige et ses deux camarades remontent en voiture. Si jamais l’un d’eux s’aperçoit du vol de la mitraillette, je suis bonnard pour une explication. Mais ils ne songent pas à mater la plage arrière. Les portières claquent, l’auto démarre. Rouflaquettes, qui a escorté son monde jusqu’au milieu de l’allée, adresse aux feux rouges de la chignole un geste d’adieu qui traduit la satisfaction du devoir accompli. Je ne lui laisse pas le temps d’abaisser ses bras. En moins de temps qu’il n’en faut à Bérurier pour faire une faute d’orthographe il biche la crosse de la mitraillette sur la nuque. Il émet un hoquet rigolo et s’écroule dans le massif d’auri sacra fames.
Je me penche sur sa personne et je fais la grimace. J’ai un peu forcé la dose ; m’est avis que s’il se réveille avant la fin du mandat de Nixon il aura de la chance d’avoir de la veine.
J’ai un petit pincement au palpitant. Je n’aime pas bousiller un homme, surtout lorsque je l’assaisonne par surprise. Je glisse la main sur sa poitrine et je suis rassuré. Ça bat. Il en sera quitte pour se faire poser des points de suture. Je le chope par le colbak et je le traîne dans la casa.
Une fois dans le couloir je le laisse quimper. Qu’il rêve en paix, ce pauvre trésor.
Conchita bavarde avec le gros suifeux. Je pousse la lourde d’un coup de pied et je m’annonce, la mitraillette pointée.
Si la môme voyait radiner le fantôme de Ramsès II en caleçon de bain elle ne serait pas plus ébahie. Ses yeux lumineux sont béants comme les portes d’une église à la sortie de la messe de minuit.
— Salut, m’sieur-dame, je fais en m’annonçant. Excusez-moi de vous déranger, je voudrais seulement récupérer mon portefeuille.
L’objet est encore sur la table. Je le saisis et le remets dans la poche qu’il n’aurait jamais dû quitter. De près, le gros suifeux est encore plus gros et plus suifeux que je ne me l’imaginais. Si ce mec-là ne pèse pas trois cents livres je veux bien qu’on me tatoue le portrait de Michel Simon sur la poitrine.
Je remarque que Conchita, son premier sentiment de stupeur dissipé, louche sur la porte.
— Tu attends ton copain Rouflaquettes ? je lui fais. T’occupe pas de lui, ma loute, il est allé voir dans la voie lactée si un cosmonaute n’y aurait pas perdu son casse-croûte. Maintenant je voudrais téléphoner, toute affaire cessante.
J’ai déjà repéré le bigophone sur une console.
— Écoutez bien, mes petits fumelards, le premier qui bronche aura droit à un pot de géraniums pour la Toussaint prochaine.
Ayant dit, je compose en hâte le numéro du Byrrho Quinquina Hôtel. À la quatrième sonnerie, la voix pâteuse du vieux roumir braille un « allô » qui froisserait les oreilles d’un éléphant. Je lui dis d’aller me chercher mon copain Béru en quatrième vitesse car c’est une question de vie ou de mort. En ronchonnant il obtempère. Quelques interminables minutes s’écoulent. Le Gros suifeux roule des yeux jaunes et Conchita me file des regards qui traverseraient un mur de prison. Enfin, la voix mauvaise du Gros hurle à mon tympan :
— Ce qui y’a encore, mille génisses ! Juste au moment où que j’allais m’offrir les plus beaux instants de ma vie !
— Ta bouche, B.B. (n’oublions pas que le Gros se nomme Benoît Bérurier). Fringue-toi à toute vibure et quitte l’hôtel, car ça va barder pour tes plumes avant longtemps, Ne t’occupe pas de tes valises, c’est le genre de soucis qui perd les gens dans notre cas. Laisse tomber aussi la sœur, je t’en achèterai une autre pour tes étrennes !
— Mais je suis pas paré !
— Tu finiras de t’habiller en route. Va à une station de taxis. Frète un bahut et dis-lui de te conduire jusqu’au port. Tu passeras ensuite le long des docks. Tu traverseras un village en planches tout ce qu’il y a de cacateux, et tu suivras la route jusqu’à ce que tu aperçoives une vieille bagnole déguisée en camionnette sur le bas-côté. Tu apercevras alors une maison éclairée derrière des palmiers. J’y suis et je t’y attends. Mais pour l’amour du ciel, remue-toi le saindoux car c’est une question de minutes.
En effet, si j’en crois mon petit doigt qui est déluré pour son âge, les poulets qui viennent de filer d’ici vont vouloir me questionner. Ne me trouvant pas dans ma turne ils se rabattront sur le taulier qui leur apprendra que je suis devenu pote avec un Français débarqué en même temps que moi dans ses draps sales et ils sauteront Béru.
Pourvu que le Gros puisse sortir de l’auberge à temps !
CHAPITRE V
J’ai beau avoir une mitraillette dans les poignes, je me dis que ma situation est beaucoup moins forte qu’il n’y paraît. Il vient en effet de m’arriver la plus sale tuile que je pouvais redouter : être démasqué. Et c’est à cette enfant de lutin que je le dois. Si miss Conchita ne m’avait pas fait cette entourloupe, j’occuperais encore une place privilégiée dans la capitale cuhaltière.
Ayant reposé le combiné sur sa fourche, comme on dit dans les romans mieux travaillés, je m’approche de la souris.
— Dis-moi, Proserpine, si on bavardait un peu à bâtons rompus… Rompus sur ta jolie échine ?
— J’ai rien à dire.
— Oh ! que si.
Mon ami Boule-de-Suif s’agite un chouïa et je me dépêche de le braquer.
— Toi, l’obèse, si tu remues un sourcil, je te déballe les tripes avec cet instrument.
Il se fige dans sa graisse rance. Ce gnace doit être cardiaque car il a les lèvres toutes bleues d’émotion.
Je me tâte. Dois-je entreprendre la môme Conchita avant l’arrivée de Bérurier ? Si celle-ci n’a pas lieu, je perds mon temps à attendre. Seulement si le Gros s’annonce, les pourparlers pourront s’organiser sur des bases plus solides. La môme Vide-Gousset m’a l’air d’être une drôle de pétroleuse. Son regard m’indique qu’elle a pour moi autant d’estime que pour un furoncle mal placé.
— On va commencer notre petite conférence de la paix, mes bijoux, j’annonce en m’asseyant en face d’eux. Je déclare la séance ouverte et j’y vais de ma première question : qui est le type qui sort d’ici avec des flics ?
Motus et bouche cousue.
J’agite un peu ma seringue.
— Si vous êtes durs à la détente, ce machin-là, par contre, ne demande qu’à prendre la parole !