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— J’ai faim.

La nuit est tombée. Maintenant, le rectangle percé dans la muraille est d’un noir bleuté et une étoile y scintille. J’ai les bras engourdis, because les menottes. Cette chaîne qui nous rive au mur ne nous permet pas un grand choix de mouvements.

Béru répète, sombrement :

— J’ai une de ces fringales, que je boufferais des cailloux pour peu qu’ils soyent passés z’au beurre.

— Quelle heure peut-il être ? m’enquis-je.

— M’en fous de l’heure, ronchonne le Gros, ça se mange pas !

Je sens que ses préoccupations gastronomiques rendent mon compagnon indisponible sur le plan de la conversation purement intellectuelle. Quand Béru a l’estomac vide, inutile de lui lire les pages choisies de Chateaubriand, il ne risque pas de les trouver aux pommes.

Les verrous font soudain entendre leur chansonnette plaintive. La porte d’acier s’écarte et la lumière d’une grosse lampe de camping nous fait ciller. Pepito s’avance sur nous, monstrueuse masse de bidoche puant le fauve. Il est suivi de Chon.

Ce dernier est en robe de chambre mauve à parements jaunes. On dirait un boxeur poids plume.

Il tient un rectangle de papier à la poigne.

— Je viens de recevoir la réponse de votre chef, annonce-t-il.

Nous ne soufflons mot. Chon brandit le papier sous mes yeux. Je lis :

« .La personne en question est Paulo Chon et son adresse ne doit pas vous être inconnue. »

J’éclate alors d’un rire démentiel. In petto, comme disent les latinistes et les pétomanes, je tire un grand coup de galure au Vieux. Il n’a pas mordu à l’hameçon et s’est gaffé que ça ne tournait pas rond. Non seulement il n’a pas refilé le renseignement sollicité, mais, de plus, il a trouvé le moyen de se gausser de Paulo Chon.

— Vous êtes deux chacals puants ! hurle soudain Chon.

— On dit : un chacal, des chacaux, rectifie Béru, toujours prêt à voler au secours de la langue française lorsqu’il l’estime en danger. Apprenez à jaspiner français avant d’injurier le monde.

Cette rectification met le comble à la fureur du chef de la police secrète.

— Très bien, grince-t-il, vous l’aurez voulu. Vous serez exécutés cette nuit.

— Ça ne presse pas, fait le Gros, on voudrait pas vous occasionner du dérangement.

Chon se met à discuter avec Pepito. Ils blablatent tous les deux un bout de moment. Le mot muerte revient souvent. À la fin, il se tourne vers nous.

— Nous essayons de déterminer un mode d’exécution original, explique-t-il. Pepito propose de vous enterrer vivants ; moi, je suis partisan de vous arroser d’essence et de vous faire griller…

— Les deux sont valables, admets-je. Cependant, si vous voulez me permettre une opinion : le feu est plus spectaculaire, surtout de nuit.

Mais Chon ne m’écoute même pas. Sa figure mesquine rayonne soudain. Il se met à rire et dit quelque chose à Pepito qui éclate d’un rire si tonitruant qu’il fend mon verre de montre.

— Ils ont dû trouver quelque chose d’au poil ! déduit Béru.

— Vous ne croyez pas si bien dire, assure Paulo Chon. Seulement je préfère vous en laisser la surprise.

Là-dessus, il repart avec son pote et nous retombons dans le noir pesant du cachot. L’imminence grise de la mort m’accable, mais cette perspective (plongeante) est adoucie par la certitude que je n’ai pas provoqué la mort de l’agent secret du Vieux.

— Ils vont nous faire des délicatesses, hein ? soupire le Gros.

— C’est probable. Nous sommes tombés sur un sadique, Gros, et le sadique a de l’initiative.

— Tu l’as déjà fait ? objecte Béru.

Un silence suit.

— Ils préparent la fiesta, hein ? reprend-il au bout d’un bout de moment.

— Je suppose.

— Tu vois, fait-il, dans notre job, on devrait toujours avoir une ampoule de stricte mine sur nous, comme Goering. Dans les cas désespérés, tu te la croques et en deux secondes on te débloque une paire d’ailes pour aller chez saint Pierre.

— D’ac, dis-je. Seulement, au cours de notre fichue carrière on s’est offert déjà tellement de cas désespérés que nous serions cannés déjà depuis belle lurette.

— Tu vas pas me dire que t’as encore de l’espoir ? bée B.B.

— Ce serait exagérer ma pensée. Mais tant qu’il y a de la vie…

— Tu vois, si je pouvais passer la frime du Paulo Chon au moulin à légumes, je crois que je lâcherais la rampe avec moins de regrets.

— Moi aussi, bien sûr.

Nous en sommes là de nos conciliabules lorsqu’il se produit un truc pas ordinaire : un léger faisceau lumineux pénètre dans le cachot sans que la porte d’icelui ait été ouverte. Ce rai de lumière provient de l’étroit soupirail. Je distingue, au fond de la meurtrière, l’œil rond d’une lampe électrique. Puis quelque chose de léger et de métallique est lancé dans notre cellule. Le quelque chose ricoche contre le mur. Je ne sais ni ce dont il s’agit ni où est passé l’objet. Le bienveillant pinceau lumineux, comme devinant mon embarras, se promène sur le sol de la cellule et je finis par découvrir une petite clé chromée. En allongeant au maximum mes deux bras enchaînés j’arrive à m’en emparer. Aussitôt, et comme par enchantement, le faisceau s’engloutit.

Quel mystère mystérieux, hein les potes ?

— Quoi t’était-ce ? demande Bérurier, interloqué comme un marchand d’interlock interlope mal loqué[7].

— Une clé.

— Celle de la lourde ?

— Non. D’abord elle est minuscule, ensuite je te fais humblement remarquer que la porte ferme de l’extérieur au moyen de verrous dont les gémissements font penser à une clinique d’accouchement en pleine activité.

— Alors à quoi qu’a sert ?

— À ouvrir nos menottes, je pense.

— Et qui c’est qui nous l’envoie ?

— Difficile à dire, l’expéditeur n’avait pas joint sa carte de visite à son cadeau.

— Bizarre, non ?

— Oui, bizarre.

— Ce serait pas une ruse ?

— Une ruse ?

— Suppose que le Paulo Chon ait mijoté de nous abattre au cours d’une tentative d’évasion pour se couvrir.

— Ridicule, Gros. Primo, il n’a pas à se couvrir ; deuxio, il peut très bien nous faire enlever nos poucettes par son esclave ; troisio, il peut nous abattre en toute tranquillité et nous enlever ensuite les menottes…

— Juste, fait Béru. Eh bien ! on va toujours se défaire des cabriolets.

Je libère mon joyeux compère et, lorsqu’il a les mains libres, il me rend le même service. Je dégage alors la chaîne de l’anneau, puis, d’un geste large, j’expédie la clé à l’extérieur.

— Qu’est-ce tu maquilles ? s’étonne la Tonne.

— Je rejette la clé. Si Paulo Chon la trouvait dans notre cellote il se demanderait qui nous l’a remise et ça ferait du vilain pour le généreux donateur.

— T’as pas l’idée de qui ça peut z’être ?

— Non, mais j’ai idée de qui nous l’envoie ?

— Le Vioque ?

— Probable. Le message lui a paru suspect. Il a eu la puce à l’oreille…

— Moi, je l’ai ailleurs, fulmine le Mastar en grattant la partie inférieure de son dirigeable.

Je continue :

— Il a dû téléphoner à son agent d’ici ; lequel a mené une rapide enquête et a découvert l’horreur de notre situation…

— Je crois pas, murmure le Gros.

— Pourquoi ?

— Parce que l’agent que tu causes ne pouvait pas savoir qu’on avait des menottes !

La remarque me laisse baba. Il a raison, l’Enflé. Ça coule de source, comme dit François Per(r)ier.

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7

Il n’y a vraiment que moi pour écrire des trucs comme ça !