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– Viens t’asseoir, Antoine, supplia-t-elle.

– J’arrive, répondit-il, une éponge à la main.

Les mets d’Antoine enchantaient la tablée mais son assiette était toujours in-tacte. Rangeant au fur à et mesure, il participait à peine aux conversations qui ani-maient la soirée. Les enfants bayant aux corneilles, Sophie s’éclipsa le temps de monter les coucher. Louis s’était endormi dans les bras de sa marraine, avant même qu’elle ne l’eût bordé. Elle repartit sur la pointe des pieds et revint sur ses pas, bien incapable de refréner l’envie d’une nouvelle série de baisers. Dans son sommeil, le petit garçon entrouvrit les yeux, balbutiant un mot qui devait ressembler à « Darfour ». Sophie répondit « Dors mon amour » et sortit en laissant la porte entrouverte.

De retour dans le salon elle jeta un regard discret à Antoine, qui essuyait la vaisselle, laissant Valentine et Mathias discuter.

Sophie hésita à reprendre sa place, mais Antoine avança vers la table pour dé-

poser un grand bol de mousse au chocolat.

– Tu me donneras la recette un jour ? demanda Valentine.

– Un jour ! répondit Antoine en repartant aussitôt.

La soirée s’acheva, Antoine proposa de garder Emily à dormir. Il accompagne-rait demain les enfants à l’école. Valentine accepta volontiers, il était inutile de réveil-

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ler sa fille. Il était minuit, bien trop tard pour qu’Yvonne leur fasse la surprise d’une visite, tout le monde s’en alla.

Antoine ouvrit le réfrigérateur, prit un morceau de fromage sur une assiette, son pendant de pain, et s’installa à la table pour dîner enfin. Des pas résonnaient sur le perron.

– Je crois que j’ai oublié mon portable ici, dit Sophie en entrant.

– Je l’ai posé sur le comptoir de la cuisine, répondit Antoine.

Sophie trouva son téléphone, le rangea dans sa poche. Elle regarda attentivement l’éponge sur l’égouttoir de l’évier, hésita un instant, et la prit dans sa main.

– Qu’est-ce que tu as ? demanda Antoine. Tu es bizarre.

– Tu sais combien de temps tu as passé avec ça, ce soir ? dit Sophie d’une voix pâle en agitant l’éponge.

Antoine fronça les sourcils.

– Tu t’inquiétais de la solitude de Mathias, reprit-elle, mais la tienne, tu y penses parfois ?

Elle lui lança l’éponge qui atterrit au beau milieu de la table, et quitta la maison.

*

Sophie s’en était allée depuis plus d’une heure. Antoine tournait toujours en rond dans son salon. Il s’approcha du mur de l’autre côté duquel vivait Mathias. Il gratta à la cloison, mais aucun bruit ne revint en écho, son meilleur ami devait dormir depuis longtemps.

*

Un jour, Emily confierait à son journal intime que l’influence de Sophie sur son père avait été déterminante. Louis ajouterait dans la marge qu’il était tout à fait d’accord avec elle.

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V

Valentine enroula le drap autour de sa taille et s’assit à califourchon sur Mathias.

– Tu as des cigarettes ?

– Je ne fume plus.

– Moi si, dit-elle, en fouillant dans son sac laissé au pied du lit.

Elle avança à la fenêtre, la flamme du briquet éclaira son visage. Mathias ne la quittait pas des yeux. Il aimait le mouvement de ses lèvres quand elle fumait, le tourbillon des volutes de fumée.

– Qu’est-ce que tu regardes ? demanda-t-elle, le visage collé au carreau.

– Toi.

– J’ai changé ?

– Non.

– C’est terrible ce qu’Emily va me manquer.

Il se leva pour la rejoindre. Valentine posa sa main sur la joue de Mathias, caressant sa barbe naissante.

– Reste ! murmura-t-il.

Elle aspira une bouffée de sa cigarette, le tabac incandescent grésilla.

– Tu m’en veux toujours ?

– Arrête !

– Oublie ce que je viens de dire.

– Oublie ce que je viens de dire, efface ce que j’ai fait, c’est quoi pour toi la vie, un dessin au crayon ?

– Avec des crayons de couleur, ce ne serait pas si mal que ça ?

– Grandis, mon vieux !

– Si j’avais grandi, tu ne serais jamais tombée amoureuse de moi.

– Si tu avais grandi après, nous serions toujours ensemble.

– Reste, Valentine, donne-nous une seconde chance.

– C’est notre punition à tous les deux, je peux parfois être encore ta maîtresse, mais plus ta femme.

Mathias prit le paquet de cigarettes, il hésita et le laissa tomber.

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– N’allume pas la lumière, souffla Valentine. Elle ouvrit la fenêtre et inspira l’air frais de la nuit.

– Je prends le train demain, murmura-t-elle.

– Tu avais dit dimanche, quelqu’un t’attend à Paris ?

– Qu’est-ce que ça change ?

– Je le connais ?

– Arrête de nous faire du mal, Mathias.

– Là, c’est plutôt toi qui m’en fais.

– Alors maintenant tu comprends ce que j’ai ressenti ; et encore, à l’époque nous n’étions pas séparés.

– Qu’est-ce qu’il fait dans la vie ?

– Qu’est-ce que ça peut faire ?

– Et quand tu couches avec lui, c’est bien aussi ?

Valentine ne répondit pas, elle lança la cigarette dans la rue et referma la fe-nêtre.

– Pardonne-moi, murmura Mathias.

– Je vais m’habiller et je rentre.

On tambourina à la porte, ils sursautèrent tous les deux.

– Qui est-ce ? demanda Valentine.

Mathias regarda l’heure au réveil posé sur la table de nuit.

– Aucune idée, reste là, je descends voir, je remonterai tes affaires.

Il passa une serviette autour de sa taille et sortit de la chambre. Les coups sur la porte d’entrée redoublaient d’intensité.

– J’arrive ! hurla-t-il en descendant l’escalier.

Antoine, bras croisés, fixait son ami d’un air déterminé.

– Alors écoute-moi bien, il y a un truc auquel je ne dérogerai jamais : pas de baby-sitter à la maison ! Nous nous occupons nous-mêmes des enfants.

– De quoi tu parles ?

– Tu veux toujours que nous partagions le même toit ?

– Oui, mais peut-être pas à cette heure-là ?

– Ça veut dire quoi « pas à cette heure-là » ? Tu veux faire un temps partiel ?

– Je veux dire que nous pourrions en reparler plus tard !

– Non, non, on en parle tout de suite ! Il va falloir qu’on instaure des règles et que l’on s’y tienne.

– On en parle tout de suite, mais demain !

– Ne commence pas !

– Bon, Antoine, d’accord pour toutes les règles que tu veux.

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– Comment ça tu es d’accord pour toutes les règles que je veux ? Alors si je te dis que c’est toi qui promènes le chien tous les soirs, tu es aussi d’accord ?

– Ah ben non, pas tous les soirs !

– Alors tu vois que tu n’es pas d’accord pour tout !

– Antoine… on n’a pas de chien !

– Ne commence pas à m’embrouiller !

Valentine, enveloppée dans le drap, se pencha à la balustrade de l’escalier.

– Tout va bien ? demanda-t-elle, inquiète.

Antoine leva les yeux et la rassura d’un signe de tête, elle retourna dans la chambre.

– Ah oui, tu es vraiment très seul à ce que je vois, marmonna Antoine en repartant.

Mathias referma la porte de la maison. À peine fit-il un pas vers le salon qu’Antoine frappait à nouveau. Mathias ouvrit.

– Elle reste ?

– Non, elle part demain.