– Alors maintenant que tu as repris une petite dose, ne viens surtout pas pleurnicher pendant six mois parce qu’elle te manque.
Antoine descendit les marches du perron et les remonta pour entrer chez lui, la lumière du porche s’éteignit.
Mathias récupéra les affaires de Valentine et alla la rejoindre dans la chambre.
– Qu’est-ce qu’il voulait ? demanda-t-elle.
– Rien, je t’expliquerai.
*
Le matin, la pluie avait renoué avec le printemps londonien. Mathias était déjà assis au comptoir du bar d’Yvonne. Valentine venait d’entrer, elle avait les cheveux trempés.
– Je vais emmener Emily déjeuner, mon train part ce soir.
– Tu me l’as déjà dit hier.
– Tu vas t’en sortir ?
– Le lundi elle a anglais, le mardi judo, le mercredi je l’emmène au cinéma, le jeudi c’est guitare et le vendredi…
Valentine n’écoutait plus. Par la vitrine, elle avait aperçu Antoine, sur le trottoir d’en face, qui entrait dans ses bureaux.
– Qu’est-ce qu’il te voulait au milieu de la nuit ?
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– Tu prends un café ?
Mathias lui expliqua son projet d’emménagement commun, détaillant tous les avantages qu’il y voyait. Louis et Emily s’entendaient comme frère et sœur, la vie sous un même toit serait plus facile à organiser, surtout pour lui. Yvonne, effondrée, préfé-
ra les laisser seuls. Valentine rit plusieurs fois et abandonna son tabouret.
– Tu ne dis rien ?
– Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Si vous êtes sûrs d’être heureux !
Valentine alla chercher Yvonne dans la cuisine et la prit dans ses bras.
– Je reviendrai te voir bientôt.
– C’est ce qu’on dit quand on part, répondit Yvonne.
De retour dans la salle, Valentine embrassa Mathias, et sortit du restaurant.
*
Antoine avait attendu que Valentine ait tourné au coin de la rue. Il quitta son poste d’observation à la fenêtre de son bureau, dévala les escaliers, traversa la rue et déboula chez Yvonne. Une tasse de calé l’attendait déjà sur le comptoir.
– Comment ça s’est passé ? demanda-t-il à Mathias.
– Très bien.
– J’ai envoyé un mail cette nuit à la mère de Louis.
– Tu as eu une réponse ?
– Ce matin en arrivant au bureau.
– Alors ?
– Karine m’a demandé si, à la prochaine rentrée des classes, Louis devrait mettre ton nom dans la case « conjoint » sur sa fiche scolaire.
Yvonne récupéra les deux tasses sur le comptoir.
– Et aux enfants, vous leur en avez parlé ?
*
La transformation des mews était économiquement impossible, mais Antoine expliqua à Mathias, croquis à l’appui, l’idée qu’il avait eue pendant la nuit.
La cloison qui divisait leur maison ne soutenait aucune structure porteuse. Il suffisait de l’abattre pour redonner son aspect original à la demeure et créer un grand
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espace commun au rez-de-chaussée. Quelques reprises au niveau des parquets et des plafonds seraient nécessaires, mais les travaux ne devraient pas prendre plus d’une semaine.
Deux escaliers accéderaient aux chambres, ce qui, après tout, offrirait à chacun la sensation d’avoir son « chez-soi » à l’étage. McKenzie se rendrait sur place pour valider le projet. Antoine repartit vers ses bureaux et Mathias vers sa librairie.
*
Valentine alla chercher Emily à l’école. Elle avait décidé d’emmener sa fille dé-
jeuner chez Mediterraneo, une des meilleures tables italiennes de la ville. Un bus à impériale les conduisait sur Kensington Park Road.
Les rues de Notting Hill étaient baignées de soleil. Elles s’installèrent en terrasse, Valentine commanda deux pizzas. Elles se promirent de se téléphoner tous les soirs pour faire le point sur leurs journées respectives et d’échanger des tonnes d’e-mails.
Valentine commençait un nouveau travail, elle ne pourrait pas prendre de vacances à Pâques, mais cet été elles feraient un grand voyage, rien qu’entre filles. Emily rassura sa maman : tout se passerait bien, elle veillerait sur son père, vérifierait avant d’aller se coucher que la porte d’entrée était bien fermée et que tout était éteint dans la maison. Elle promit de mettre sa ceinture de sécurité en toutes circonstances, même dans les taxis, de se couvrir les matins où la température serait fraîche, de ne pas passer son temps à traîner à la librairie, de ne pas abandonner la guitare, tout du moins pas avant la rentrée prochaine, et finalement… finalement, quand Valentine la redéposa à l’école, elle-même tint sa promesse. Elle ne pleura pas, tout du moins jusqu’à ce qu’Emily fût rentrée dans sa classe. Un Eurostar la ramena le soir même à Paris. Gare du Nord, un taxi l’entraîna vers le petit studio de fonction qu’elle occupe-rait dans le IXe arrondissement.
*
McKenzie pratiqua deux trous dans le mur de séparation et fut ravi de confirmer à Mathias et à Antoine qu’il n’était pas porteur.
– Il m’énerve quand il fait ça ! râla Antoine en allant chercher un verre d’eau dans la cuisine.
– Qu’est-ce qu’il a fait ? demanda Mathias, perplexe, en suivant son ami.
– Son numéro avec sa perceuse, pour vérifier ce que j’avais dit ! Je sais encore reconnaître un mur porteur, merde à la fin, je suis architecte autant que lui, non ?
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– Sûrement, répondit Mathias d’une petite voix.
– Tu n’as pas l’air convaincu ?
– Je suis moins convaincu par ton âge mental. Pourquoi me dis-tu ça à moi ?
Dis-le-lui directement !
Antoine retourna vers son chef d’agence d’un pas déterminé. McKenzie rangea ses lunettes dans la poche haute de son veston et ne laissa pas le loisir à Antoine de parler le premier.
– Je pense que tout pourrait être fini dans trois mois et je vous promets que la maison aura retrouvé son aspect d’origine. Nous pouvons même réaliser un moulage des corniches… pour les raccords.
– Trois mois ? Vous comptez démolir cette cloison avec une cuillère à café ?
demanda Mathias dont l’intérêt pour la conversation venait de redoubler.
McKenzie expliqua que dans ce quartier tout chantier était soumis à des autorisations préalables. Les démarches prendraient huit semaines, au terme desquelles l’agence pourrait demander aux services du stationnement d’autoriser une benne à venir ôter les gravats. La démolition, elle, ne prendrait que deux ou trois jours.
– Et si on se passe d’autorisation ? suggéra Mathias à l’oreille de McKenzie.
Le chef d’agence ne prit même pas la peine de lui répondre. Il récupéra sa veste et promit à Antoine de préparer les demandes de permis dès ce week-end.
Antoine regarda sa montre. Sophie avait accepté de fermer sa boutique pour aller chercher les enfants à l’école et il fallait la libérer de sa garde. Les deux amis arrivèrent au magasin avec une demi-heure de retard. Assise en tailleur à même le sol, Emily aidait Sophie à effeuiller des roses, pendant que Louis triait, derrière le comptoir, les liens de raphia par ordre de taille. Pour se faire pardonner, les deux pères la convièrent à dîner. Sophie accepta à la seule condition qu’ils aillent chez Yvonne. Comme ça, Antoine dînerait peut-être en même temps qu’eux. Il ne fit aucun commentaire.
Au milieu du repas, Yvonne les rejoignit à table.
– Je serai fermée demain, dit-elle en se servant un verre de vin.
– Un samedi ? questionna Antoine.