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À trois heures du matin, Mathias faisait toujours les cent pas dans sa chambre.

À quatre heures, en caleçon, il s’assit derrière le secrétaire disposé près de la fenêtre et commença à mâchonner son stylo. Un peu plus tard, il rédigea les premiers mots d’une lettre à l’intention de Mme Morel. À six heures, la corbeille accueillait le onzième brouillon que Mathias venait d’y jeter. À sept heures, les cheveux ébouriffés, il relut une dernière fois son texte et le glissa dans une enveloppe. Les marches de l’escalier craquaient, Emily et Louis descendaient dans la cuisine. L’oreille collée à la porte, il guetta les bruits du petit déjeuner, et quand il entendit Antoine appeler les enfants pour le départ à l’école, il enfila un peignoir de bain à la hâte et se précipita au rez-de-chaussée. Mathias rattrapa Louis sur le perron. Il lui remit la missive mais, avant qu’il n’ait eu le temps de lui expliquer quoi que ce soit, Antoine saisit la lettre et demanda à Emily et à Louis d’aller l’attendre un peu plus loin sur le trottoir.

– Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il à Mathias en agitant l’enveloppe.

– Un mot de rupture, c’est bien ce que tu voulais, non ?

– Parce que tu ne peux pas faire tes commissions toi-même ? Tu as besoin de mêler nos enfants à ça ? chuchota Antoine en tirant Mathias un peu plus à l’écart.

– Je pensais que c’était mieux ainsi, balbutia ce dernier.

– Et lâche, en plus ! s’esclaffa Antoine, avant de rejoindre les enfants.

En montant dans la voiture, il rangea quand même le mot dans le cartable de son fils. Le cabriolet s’éloigna, Mathias referma la porte de la maison et monta se préparer. En entrant dans son bain, il affichait un drôle de sourire.

*

La porte du magasin venait de s’ouvrir. Depuis son arrière-boutique, Sophie reconnut les pas d’Antoine.

– Je t’emmène prendre un calé ? dit-il.

– Oh, toi, tu as ta mine des mauvais jours, répondit-elle en essuyant le revers de ses mains sur sa blouse.

– Qu’est-ce que tu t’es fait ? demanda Antoine en regardant la gaze tachée de sang noir sur le doigt de Sophie.

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– Rien, une coupure mais ça ne cicatrise pas, c’est impossible avec toute cette eau.

Antoine lui prit la main, ôta le sparadrap et fit une grimace. Ne laissant pas à Sophie le temps de discuter, il l’entraîna vers l’armoire à pharmacie, nettoya la plaie et refit un pansement.

– Si ce n’est pas guéri dans deux jours, je t’emmène voir un médecin, grommela-t-il.

– Bon, on va prendre ce café, répondit Sophie en agitant la poupée qu’elle avait maintenant au bout de l’index, et puis tu me raconteras ce qui te tracasse ?

Elle ferma le verrou, mit la clé dans sa poche et entraîna son ami par le bras.

*

Un client attendait, impatient, devant la librairie. Mathias remontait Bute Street à pied, Antoine et Sophie marchaient à sa rencontre ; son meilleur ami ne lui adressa pas le moindre regard, et entra dans le bistrot d’Yvonne.

*

– Qu’est-ce qui s’est passé entre vous deux ? demanda Sophie en reposant sa tasse de café crème.

– Tu as une moustache !

– Je te remercie, c’est gentil !

Antoine prit sa serviette et essuya les lèvres de Sophie.

– On s’est un peu engueulés ce matin.

– La vie de couple, mon vieux, ça ne peut pas être parfait tous les jours !

– Tu te moques de moi ? demanda Antoine en regardant Sophie qui avait du mal à contenir son rire.

– Quel était le sujet de votre dispute ?

– Rien, laisse tomber.

– C’est toi qui devrais laisser tomber, si tu voyais la tête que tu fais… Tu ne veux vraiment pas me dire de quoi il s’agit ? Un conseil de fille ça peut toujours aider, non ?

Antoine regarda son amie et se laissa gagner par le sourire qu’elle affichait maintenant sans gêne. Il fouilla les poches de sa veste et lui tendit une enveloppe.

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– Tiens, j’espère qu’elle te plaira.

– Elles me plaisent toujours.

– Je ne fais que retranscrire ce que tu me demandes d’écrire, reprit Antoine en relisant son texte.

– Oui, mais tu le fais avec tes mots et, grâce à toi, les miens prennent un sens que je n’arrive pas à leur donner.

– Tu es sûre que ce type te mérite vraiment ? Parce que je peux te dire une chose, et ce n’est pas parce que je les écris moi, mais si je recevais des lettres comme ça, quelles que soient mes obligations personnelles ou professionnelles, je peux te jurer que je serais déjà venu t’enlever.

Le regard de Sophie se détourna.

– Ce n’est pas ce que je voulais dire, reprit Antoine désolé, en la prenant dans ses bras.

– Tu vois, tu devrais faire attention à ce que tu dis de temps en temps. Je ne sais pas quel est le sujet de votre brouille, mais c’est forcément une perte de temps, alors prends ton téléphone et appelle-le.

Antoine reposa sa tasse de café.

– Pourquoi est-ce que c’est moi qui devrais faire le premier pas ? bougonna-t-il.

– Parce que si vous vous posez la même question tous les deux, vous allez vous gâcher la journée pour rien.

– Peut-être, mais là, c’est lui qui est en tort.

– Qu’est-ce qu’il a bien pu faire de si grave ?

– J’ai le droit de te dire qu’il a fait une connerie mais ce n’est pas pour autant que je vais le balancer.

– Deux mômes !… Et pas un pour racheter l’autre ! Il s’est excusé ?

– D’une certaine façon, oui…, répondit Antoine, repensant au petit mot que Mathias avait confié à Louis.

Sophie décrocha le téléphone sur le comptoir et le fit glisser sur la table.

– Appelle-le !

Antoine reposa le combiné sur son socle.

– Je vais plutôt passer le voir, dit-il en se levant. Il régla les cafés, tous deux ressortirent dans Bute Street. Sophie refusa de regagner son magasin avant d’avoir vu Antoine franchir la porte de la librairie.

– Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? demanda Mathias en levant les yeux de sa lecture.

– Rien, je passais comme ça, voir si tout allait bien.

– Tout va bien, je te remercie, dit-il en tournant une page de son livre.

– Tu as du monde ?

– Pas un chat, pourquoi ?

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– Je m’ennuie, chuchota Antoine.

Antoine retourna le petit panneau suspendu à la porte vitrée, côté « Fermé ».

– Viens, je t’emmène faire un tour.

– Je croyais que tu croulais sous le travail ?

– Arrête de discuter tout le temps !

Antoine sortit de la libraire, il s’installa à bord de sa voiture garée devant la vitrine et klaxonna deux fois. Mathias reposa son livre en râlant et le rejoignit dans la rue.

– Où va-t-on ? demanda-t-il en grimpant à bord du cabriolet.

– Faire la librairie buissonnière !

L’Austin Healey remontait Queen’s Gâte, elle traversa Hyde Park et fila vers Notting Hill. Mathias trouva une place à l’entrée du marché de Portobello. Les trottoirs étaient envahis par les étals de brocanteurs. Ils descendirent la rue, s’arrêtant à chaque stand. Chez un fripier, Mathias essaya une veste à grosses rayures et la cas-quette aux motifs assortis, il se retourna pour demander son avis à Antoine. Celui-ci s’était déjà éloigné, bien trop gêné pour rester à côté de lui. Mathias reposa le vêtement sur son cintre et déclara à la vendeuse qu’Antoine n’avait aucun goût. Ils s’installèrent à la terrasse de la brasserie Electric. Deux jolies jeunes femmes descendaient la rue en tenue d’été. Leurs regards se croisèrent, elles leur sourirent tout en passant leur chemin.