Выбрать главу

– Pour Antoine j’ai dit ! Tu n’as pas dîné ?

– Pas eu le temps, répondit Mathias, je suis rentré en courant juste après le ci-néma, je ne savais pas que le film durait aussi longtemps.

– 68 –

– Ça valait le coup, j’espère ? dit Sophie d’un ton narquois.

Mathias regarda l’assiette de viandes froides.

– Il y en a qui ont de la chance !

– Tu as faim ?

– Non, file, je préfère que tu sois partie avant qu’il arrive, sinon il va se douter de quelque chose.

Mathias souleva la cloche à fromages, prit un morceau de gruyère et le mangea sans grand appétit.

– Tu as visité l’étage ? Antoine a tout refait de mon côté. Comment trouves-tu la nouvelle décoration ? demanda-t-il la bouche pleine.

– Symétrique ! répondit Sophie.

– Qu’est-ce que ça veut dire, symétrique ?

– Ça veut dire que vos chambres sont pareilles, même les lampes de chevet sont identiques, c’est ridicule.

– Je ne vois pas ce qu’il y a de ridicule ! rétorqua Mathias, vexé.

– Ce serait bien que quelque part, dans cette maison, « chez toi » veuille dire

« chez toi » et pas « j’habite chez un copain » !

Sophie mit son manteau et sortit dans la rue. La fraîcheur de la nuit la saisit aussitôt, elle frissonna et se mit en marche. Le vent soufflait dans Old Brompton Road. Un renard – la ville en compte beaucoup – l’accompagna sur quelques mètres, à l’abri des grilles du parc d’Onslow Gardens. Dans Bute Street, Sophie vit l’Austin Healey d’Antoine, garée devant ses bureaux. Sa main effleura la carrosserie, elle releva la tête et regarda quelques instants les fenêtres éclairées. Elle resserra son écharpe et continua son chemin.

En entrant dans le studio qu’elle occupait à quelques rues de là, elle n’alluma pas la lumière. Son jean glissa le long de ses jambes, elle le laissa roulé en boule à même le sol, jeta son pull au loin et se faufila aussitôt sous ses draps ; les feuilles du platane qu’elle voyait par la petite lucarne au-dessus de son lit avaient pris une couleur argentée sous la clarté de la lune. Elle se tourna sur le côté, serrant son oreiller contre elle, et attendit que vienne le sommeil.

*

Mathias grimpa les marches et colla son oreille à la porte de la chambre de Louis.

– Tu dors ? chuchota-t-il.

– Oui ! répondit le petit garçon.

Mathias tourna la poignée, un rai de lumière s’élargit jusqu’au lit. Il entra sur la pointe des pieds et s’allongea à côté de lui.

– 69 –

– Tu veux bien qu’on en parle ? demanda-t-il.

Louis ne répondit pas. Mathias tenta de soulever un pan de la couette, mais l’enfant enfoui au-dessous la retenait fermement.

– T’es pas toujours drôle, tu sais, parfois t’es même un peu lourd !

– Il faut que tu m’en dises un peu plus, mon vieux, reprit Mathias d’une voix douce.

– J’ai pris une punition à cause de toi.

– Qu’est-ce que j’ai fait ?

– À ton avis ?

– C’est à cause du petit mot pour Mme Morel ?

– T’as écrit à beaucoup d’autres maîtresses ? Je peux savoir pourquoi tu dis à la mienne que sa bouche te rend fou ?

– Elle te l’a répété ? C’est moche !

– C’est elle qui est moche !

– Ah non, tu ne peux pas dire ça ! s’insurgea Mathias.

– Ah bon ! Elle est pas moche Séverine la pingouine ?

– Mais c’est qui cette Séverine ? demanda Mathias, inquiet.

– T’es amnésique de la mémoire ou quoi ? reprit Louis furieux en sortant la tête des draps. C’est ma maîtresse ! hurla-t-il.

– Mais non… elle s’appelle Audrey, répliqua Mathias convaincu.

– Tu permets quand même que je sache un peu mieux que toi comment elle s’appelle, ma maîtresse.

Mathias était mortifié, quant à Louis, il s’interrogeait sur l’identité de cette fameuse Audrey.

Son parrain décrivit alors avec moult détails la jeune femme au timbre de voix si joliment éraillé. Louis le regarda, effondré.

– C’est plutôt toi qui dérailles, parce que elle c’est la journaliste qui fait un reportage sur l’école.

Et comme Louis ne disait plus rien, Mathias ajouta :

– Ah merde !

– Ouais, et c’est toi qui nous as mis dedans, je te ferai remarquer ! ajouta Louis.

Mathias se proposa de recopier lui-même les cent lignes de « Je ne remettrai plus jamais de mots grossiers à ma maîtresse », il falsifierait la signature d’Antoine au bas de la punition, en échange de quoi Louis garderait cet incident sous silence. Après réflexion, le petit garçon trouva que le marché n’était pas assez avantageux. Mais si son parrain ajoutait les deux derniers albums de « Calvin et Hobbes », il serait éven-tuellement disposé à reconsidérer son offre. L’accord fut conclu à onze heures trente-cinq et Mathias quitta la chambre.

– 70 –

Il eut juste le temps de se glisser sous ses draps. Antoine venait de rentrer et montait l’escalier. Apercevant la lumière qui filtrait sous la porte, il frappa et entra aussitôt.

– Merci pour le plateau, dit Antoine, visiblement touché.

– Je t’en prie, répondit Mathias en bâillant.

– Il ne fallait pas te donner tout ce mal, je t’avais dit que je dînais avec McKenzie.

– J’avais oublié.

– Ça va ? demanda Antoine en scrutant son ami.

– Formidable !

– Tu as l’air bizarre ?

– Épuisé, c’est tout. Je luttais contre le sommeil en t’attendant.

Antoine lui demanda si tout s’était bien passé avec les enfants.

Mathias lui dit que Sophie était venue lui rendre visite, ils avaient passé la soirée ensemble.

– Ah oui ? demanda Antoine.

– Ça ne t’embête pas ?

– Non, pourquoi ça m’embêterait ?

– Je ne sais pas, tu as l’air bizarre.

– Donc tout s’est bien passé ? insista Antoine. Mathias lui suggéra de parler moins fort, les enfants dormaient. Antoine lui souhaita bonne nuit et repartit. Trente secondes plus tard, il rouvrit la porte et conseilla à son ami d’enlever son imperméable avant de dormir, il ne pleuvrait plus ce soir. À l’air étonné de Mathias, il ajouta que son col dépassait du drap et referma la porte sans autre commentaire.

– 71 –

VIII

Antoine entra dans le restaurant, un grand carton à dessins sous le bras.

McKenzie le suivait, traînant un chevalet en bois qu’il installa au milieu de la salle.

Yvonne fut conviée à s’asseoir à une table pour découvrir le projet de rénovation de la salle et du bar. Le chef d’agence installa les esquisses sur le chevalet et Antoine commença de les détailler.

Heureux d’avoir enfin trouvé le moyen de capter l’attention d’Yvonne, McKenzie faisait défiler les planches, courant s’asseoir à côté d’elle dès que l’occasion s’offrait, pour lui présenter tantôt les catalogues de luminaires, tantôt les éventails de gammes de couleurs.

Yvonne était émerveillée et bien qu’Antoine se soit gardé de lui présenter tout devis, elle devinait déjà l’entreprise bien au-delà de ses moyens. Quand la présenta-tion fut achevée, elle les remercia du travail accompli et demanda à l’ineffable McKenzie de la laisser seule en compagnie d’Antoine. Elle avait besoin de lui parler en tête à tête. McKenzie, dont le sens des réalités échappait souvent à ses proches, en conclut qu’Yvonne, bouleversée par sa créativité, voulait certainement s’entretenir avec son patron du trouble qui la gagnait à son sujet.