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Alors qu’Antoine refermait doucement la porte, il entendit son fils lui demander d’une voix à peine audible si, au mois d’août, sa maman reviendrait vraiment d’Afrique.

*

La semaine de Mathias et d’Antoine passa à toute vitesse, celle des deux enfants qui décomptaient les jours les séparant encore des châteaux écossais, beaucoup plus lentement. La vie dans la maison avait désormais inventé ses repères. Et même si Mathias sortait souvent le soir, pour prendre l’air dans le jardin, son téléphone portable collé à l’oreille, Antoine se gardait bien de lui poser la moindre question.

Le samedi fut une vraie journée de printemps, et tous décidèrent de partir en balade autour du lac de Hyde Park. Sophie, qui les avait rejoints, essaya sans succès d’apprivoiser un héron. Au grand bonheur des enfants, le volatile s’éloignait d’elle dès qu’elle s’en approchait et revenait dès qu’elle s’en éloignait.

Pendant qu’Emily distribuait sans compter son paquet de biscuits, émiettés pour la bonne cause, aux oies du Canada, Louis avait pour mission de sauver les canards mandarins d’une indigestion certaine, en courant derrière eux. Et tout au long de la promenade, Sophie et Antoine marchaient côte à côte, Mathias les suivait quelques pas derrière.

– Alors, l’homme aux lettres, où en est-il de ses sentiments ? demanda Antoine.

– C’est compliqué, répondit Sophie.

– Tu connais des histoires d’amour simples, toi ?… Tu peux me l’avouer, tu sais, tu es ma meilleure amie, je ne te jugerai pas. Il est marié ?

– Divorcé !

– Alors qu’est-ce qui le retient ?

– Ses souvenirs, j’imagine.

– C’est une lâcheté parmi d’autres. Un pas en arrière, un pas en avant, on confond excuses et prétextes et on se donne de bonnes raisons de s’interdire de vivre le présent.

– Venant de toi, rétorqua Sophie, c’est un avis un peu sévère, tu ne crois pas ?

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– Je te trouve injuste. J’exerce un métier que j’aime, j’élève mon fils, le départ de sa mère remonte à cinq ans, j’estime avoir fait ce qu’il fallait pour tourner le dos au passé.

– En vivant avec ton meilleur ami ou en étant amoureux d’une éponge ? reprit Sophie en riant.

– Arrête avec ça, n’en fais pas une légende.

– Tu es mon meilleur ami, alors j’ai le droit de tout te dire. Regarde-moi droit dans les yeux et ose me dire que tu peux dormir tranquille sans que ta cuisine soit rangée ?

Antoine ébouriffa les cheveux de Sophie.

– Tu es une vraie garce !

– Non, mais toi tu es un vrai maniaque !

Mathias ralentit le pas. Estimant qu’il était à bonne distance, il cacha son portable au creux de sa main et composa un message qu’il envoya aussitôt.

Sophie s’accrocha au bras d’Antoine.

– Je nous donne trente secondes avant que Mathias rapplique.

– Qu’est-ce que tu racontes, il est jaloux ?

– De notre amitié ? Bien sûr, reprit Sophie, tu ne l’avais pas remarqué ? Quand il était à Paris et qu’il m’appelait le soir pour prendre de mes nouvelles…

– Il t’appelait le soir pour prendre de tes nouvelles ? demanda Antoine en lui coupant la parole.

– Oui, deux, trois fois par semaine, je te disais donc que quand il me téléphonait pour prendre de mes nouvelles…

– Il t’appelait vraiment tous les deux jours ? l’interrompit à nouveau Antoine.

– Je peux terminer ma phrase ?

Antoine acquiesça d’un hochement de tête. Sophie reprit.

– Si je lui disais que je ne pouvais pas lui parler parce que j’étais déjà en ligne avec toi, il rappelait toutes les dix minutes pour savoir si nous avions raccroché.

– Mais c’est absurde, tu es certaine de ce que tu dis ?

– Tu ne me crois pas ? Si je pose ma tête sur ton épaule, je te parie qu’il nous rejoint dans moins de deux secondes.

– Mais enfin c’est ridicule, chuchota Antoine, pourquoi serait-il jaloux de notre amitié ?

– Parce que en amitié aussi on peut être exclusif, et tu as tout à fait raison, c’est complètement ridicule.

Antoine gratta la terre du bout de sa chaussure.

– Tu crois qu’il voit quelqu’un à Londres ? demanda-t-il.

– Tu veux dire un psy ?

– Non… une femme !

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– Il ne m’a rien dit !

– Il ne t’a rien dit ou tu ne veux pas m’avouer qu’il t’a dit quelque chose ?

– De toute façon, s’il avait rencontré quelqu’un ce serait une bonne nouvelle, non ?

– Bien sûr ! Je serais fou de joie pour lui, conclut Antoine.

Sophie le regarda, consternée. Ils s’arrêtèrent devant un petit kiosque ambu-lant. Louis et Emily optèrent pour des glaces, Antoine pour une crêpe et Sophie commanda une gaufre. Antoine chercha Mathias, qui marchait quelques pas plus loin, les yeux rivés à l’écran de son téléphone.

– Pose la tête sur mon épaule pour voir, dit-il a Sophie en se retournant.

Elle sourit et fit ce qu’Antoine lui avait demandé.

Mathias se campa devant eux.

– Bon, eh bien puisque je vois que tout le monde se fiche complètement que je sois là ou pas, je vais vous laisser tous les deux ! Si les enfants vous gênent, n’hésitez pas à les jeter dans le lac. Je pars travailler, au moins ça me donnera l’impression d’exister !

– Tu vas travailler un samedi après-midi ? Ta librairie est fermée, reprit Antoine.

– Il y a une vente aux enchères de vieux livres, je l’ai lu dans le journal ce matin.

– Tu fais dans le commerce de livres anciens maintenant ?

– Bon, écoute-moi Antoine, si un jour Christie’s met en vente des vieilles équerres ou des vieux compas, je te ferai un dessin ! Et si par le plus grand des hasards vous vous rendiez compte que je n’étais pas à table ce soir, c’est que je serais certainement resté à la nocturne.

Mathias embrassa sa fille, fit un signe à Louis et s’éclipsa sans même saluer Sophie.

– On avait parié quelque chose ? demanda-t-elle, triomphante.

*

Mathias traversa le parc en courant. Il en sortit par Hyde Park Coiner, héla un taxi et prononça son adresse de destination dans un anglais qui témoignait de ses efforts. La relève de la garde avait lieu dans la cour de Buckingham Palace. Comme chaque week-end, la circulation aux alentours du palais était perturbée par les nombreux passants qui guettaient le défilé des soldats de la reine.

Une colonne de cavaliers remontait Birdcage Walk au pas. Impatient, Mathias, bras à la fenêtre, tapa de la main sur la portière.

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– C’est un taxi, monsieur, pas un cheval, dit le chauffeur en jetant un regard noir dans son rétroviseur.

Au loin, les hauts-reliefs du Parlement se découpaient dans le ciel. À en juger par la longueur de la file de voitures qui s’étirait jusqu’au pont de Westminster, il n’arriverait jamais à temps. Quand Audrey avait répondu à son message, l’invitant à la rejoindre au pied de Big Ben, elle avait précisé qu’elle l’attendrait une demi-heure, pas plus.

– C’est le seul chemin ? supplia Mathias.

– C’est de loin le plus joli, répondit le conducteur en montrant du doigt les allées fleuries de St James Park.

Puisqu’on parlait de fleurs, Mathias confia qu’il avait un rendez-vous amoureux, que chaque seconde comptait, s’il arrivait en retard tout serait perdu pour lui.