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– Ne me dis pas que tu es venu spontanément prendre une douche ?

– Je suis venu te dire que si tu étais triste, tu pouvais m’en parler, c’est pas Mathias ton meilleur ami, c’est moi.

– Je ne suis pas triste mon chéri, juste un peu fatigué.

– Maman aussi dit qu’elle est fatiguée quand elle repart en voyage.

Antoine regarda son fils qui le toisait depuis le pas de la porte.

– Entre, viens par là, murmura Antoine.

Louis s’approcha et son père le prit au creux de ses bras.

– Tu veux rendre un vrai service à ton père ?

Et comme Louis venait de lui dire oui de la tête, Antoine chuchota à son oreille :

– Ne grandis pas trop vite.

*

Pour compléter le reportage d’Audrey, il fallait traverser la ville et se rendre à Portobello. À l’initiative de Mathias qui n’avait pas retrouvé son portefeuille dans la poche de sa veste, ils avaient décidé de prendre le bus. Le dimanche, le marché était fermé et seuls les antiquaires du haut de la rue avaient ouvert leur échoppe ; Audrey ne quittait pas sa caméra, Mathias la suivait, ne ratant jamais une occasion de la prendre en photo avec le petit appareil numérique qu’il avait emprunté dans sa sacoche vidéo. En début d’après-midi, ils s’installèrent à la terrasse du restaurant Mediterraneo.

– 101 –

*

Antoine remonta Bute Street à pied. Il entra dans le magasin de Sophie et lui demanda si elle voulait passer l’après-midi avec eux. La jeune fleuriste déclina l’invitation, la rue était très animée et elle avait encore plusieurs bouquets à préparer.

Yvonne courait de la cuisine aux tables de la terrasse qui étaient déjà presque toutes occupées ; quelques clients s’impatientaient pour passer leurs commandes.

– Ça va ? demanda Antoine.

– Non, ça ne va pas du tout, répondit Yvonne, tu as vu le monde dehors, dans une demi-heure, ce sera plein à craquer. Je me suis levée à six heures du matin pour aller acheter des saumons frais que je voulais servir en plat du jour et je ne peux pas les cuire, mon four vient de me lâcher.

– Ton lave-vaisselle fonctionne ? questionna Antoine.

Yvonne le regarda d’un drôle d’air.

– Fais-moi confiance, reprit Antoine, dans dix minutes, tu pourras les servir, tes plats du jour.

Et quand il lui demanda si elle avait des sachets Ziploc, Yvonne ne posa plus de questions, elle ouvrit un tiroir et lui donna ce qu’il demandait.

Antoine rejoignit les enfants qui l’attendaient devant le comptoir. Il s’agenouilla pour les consulter ; Emily accepta aussitôt sa proposition, Louis réclama un dédommagement en argent de poche. Antoine lui fit remarquer qu’il était un peu jeune pour faire du chantage, son fils lui répondit qu’il s’agissait de négoce. La promesse d’une fessée régla l’accord entre eux. Les deux enfants s’installèrent à une table de la salle à manger, Antoine entra dans la cuisine, enfila un tablier et ressortit aussitôt un carnet à la main pour aller prendre les commandes en terrasse. Quand Yvonne lui demanda ce qu’il faisait exactement, il lui suggéra d’un ton qui ne laissait place à aucune réplique d’aller œuvrer en cuisine pendant qu’il s’occupait du reste. Il ajouta qu’il avait eu son compte de négociations pour la journée. Les saumons seraient cuits dans dix minutes.

*

Il posa l’appareil numérique sur la table et appuya sur le bouton du retarda-teur. Puis il invita Audrey à se pencher vers lui pour qu’ils soient tous les deux dans le cadre de l’objectif. Amusé par leur gymnastique, le serveur se proposa de les prendre en photo. Mathias accepta volontiers.

– On a vraiment l’air de deux touristes toi et moi, dit Audrey après avoir remercié le garçon.

– 102 –

– On visite la ville, non ?

– C’est une façon de voir les choses, dit-elle en se resservant de vin.

Mathias lui ôta la bouteille des mains et la servit.

– C’est rare, un homme galant. Tu ne m’as pas parlé une seule fois de ta fille, dit Audrey.

– Non, c’est vrai, répondit Mathias en baissant la voix.

Audrey remarqua l’expression qui venait de changer sur son visage.

– Tu en as la garde ?

– Elle vit avec moi.

– Emily, c’est un très joli prénom, où est-elle en ce moment ?

– Avec Antoine, mon meilleur ami, tu l’as croisé dans la librairie mais tu ne dois pas t’en souvenir. C’est un peu grâce à lui que je t’ai revue dans cette cour de récréation.

Le serveur apporta le dessert qu’Audrey avait commandé, un simple café pour Mathias. Elle étala la crème de marrons sur sa gaufre.

– Tu ne le sais pas non plus, reprit Mathias, mais, au début, j’ai cru que tu étais la maîtresse de Louis.

– Pardon ?

– L’institutrice du fils d’Antoine !

– C’est une drôle d’idée, pourquoi ?

– C’est un peu compliqué à expliquer, répondit Mathias en trempant son doigt dans la crème.

– Et sa maîtresse est plus jolie que moi ? questionna Audrey, l’air taquin.

– Oh, non !

– Ta fille et Louis s’entendent bien ?

– Comme frère et sœur.

– Quand la retrouves-tu ? demanda Audrey.

– Ce soir, répondit Mathias.

– Ça tombe bien, dit-elle en cherchant une cigarette dans son sac, ce soir, il faut que je mette un peu d’ordre dans mes affaires.

– Tu viens de dire ça comme si tu avais l’intention de te jeter sous un train demain matin.

– Me jeter dessous non, monter dedans oui.

Elle se retourna pour commander un café au serveur.

– Tu pars ? demanda Mathias, d’une voix qui avait perdu toute assurance.

– Je ne pars pas, je rentre, enfin j’imagine que c’est la même chose.

– Et tu comptais me le dire quand ?

– Maintenant.

– 103 –

Elle tournait mécaniquement la cuillère dans la tasse, Mathias interrompit son geste.

– Tu n’as pas mis de sucre, dit-il en lui ôtant la cuillère des doigts.

– Paris n’est qu’à deux heures quarante. Et puis toi aussi tu peux venir me voir, non ? Enfin, si tu en as envie.

– Bien sûr que j’en ai envie. J’aurais encore plus envie que tu ne partes pas, que nous puissions nous revoir dans la semaine. Je ne t’aurais pas proposé de dîner avec moi lundi, la date aurait été trop proche, je n’aurais pas voulu te faire peur, ou être trop présent, mais je t’aurais dit mardi ; toi tu m’aurais répondu que ce mardi-là, tu étais malheureusement prise ; alors nous aurions choisi de nous revoir mercredi.

Mercredi aurait été parfait pour nous deux. Bien sûr, la première partie de la semaine nous aurait paru interminable, la seconde un peu moins car nous nous serions retrouvés pendant le week-end. D’ailleurs, dimanche prochain, nous aurions brunché, à cette même table, qui serait déjà devenue notre table.

Audrey posa ses lèvres sur celles de Mathias.

– Tu sais ce que nous devrions faire, maintenant ? murmura-t-elle. Profiter de ce dimanche-là, puisque nous sommes assis à notre table, et que nous avons encore toute une après-midi, rien qu’à nous.

Mais Mathias était bien incapable d’entendre ce qu’Audrey venait de lui proposer. Il le savait, son après-midi à lui serait couleur cafard. Il fit semblant de s’amuser de l’allure d’un passant. Elle avait beau être assise à côté de lui, depuis l’annonce de son départ, elle lui manquait déjà. Il regarda les nuages au-dessus d’eux.

– Tu crois qu’il va pleuvoir ? demanda-t-il.

– Je ne sais pas, répondit Audrey.

Mathias se retourna et fit signe au serveur.