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– Vous avez demandé l’addition ? questionna Antoine.
– Par ici, répondit un client qui agitait la main à l’autre bout de la terrasse.
Antoine portait trois assiettes en équilibre sur l’avant-bras, il ramassa les couverts en désordre et passa un coup d’éponge sur la table avec une dextérité impres-sionnante. Derrière lui, Sophie attendait pour prendre la place de ceux qui s’en allaient.
– Vous avez l’air d’aimer votre métier, dit-elle en s’asseyant.
– Je suis aux anges ! s’exclama un Antoine rayonnant en lui présentant la carte.
– Tu dis aux enfants de venir me rejoindre ?
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– En plat du jour, nous avons un très beau saumon vapeur. Si je peux me permettre un conseil, gardez un peu d’appétit pour les desserts, notre crème caramel est inoubliable.
Et Antoine retourna dans la salle.
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Mathias fouillait sa veste, cherchant toujours son portefeuille, en vain. Audrey le rassura, il l’avait certainement oublié chez lui. D’ailleurs, elle ne l’avait pas vu le sortir une seule fois, il avait toujours réglé en espèces les différentes additions. Mathias était quand même inquiet et terriblement embarrassé de la situation.
Depuis qu’ils se connaissaient, il n’avait jamais voulu la laisser l’inviter et Audrey se réjouissait de pouvoir enfin le faire, elle regrettait même que ce ne soit que pour une simple gaufre et quelques cafés. Elle avait connu tant d’hommes qui partageaient l’addition.
– Tu en as connu tant que ça ? reprit Mathias.
– Ôte-moi d’un doute, tu ne serais pas un peu jaloux ?
– Pas le moins du monde, et puis Antoine le dit tout le temps, être jaloux c’est ne pas accorder sa confiance à l’autre, c’est ridicule et dégradant.
– C’est Antoine qui le dit, ou c’est toi qui le penses ?
– Bon, je suis un petit peu jaloux, concéda-t-il, mais juste ce qu’il faut. Si on ne l’est pas du tout, c’est qu’on n’est pas très amoureux.
– Et tu as encore beaucoup de théories sur la jalousie ? demanda ironiquement Audrey en se levant.
Ils remontèrent à pied Portobello Road. Audrey se tenait au bras de Mathias.
Pour lui, chaque pas qui les rapprochait de l’arrêt d’autobus était un pas qui les éloi-gnerait l’un de l’autre.
– J’ai une idée, dit Mathias. Arrêtons-nous sur ce banc, le quartier est joli, nous n’avons pas besoin de grand-chose, on ne bouge plus d’ici.
– Tu veux dire que nous restons là, immobiles ?
– C’est exactement ce que je veux dire.
– Combien de temps ? demanda Audrey en s’asseyant.
– Autant de temps que nous le voudrons.
Le vent s’était levé, elle frissonna.
– Et quand l’hiver arrivera ? demanda-t-elle.
– Je te serrerai un peu plus fort.
Audrey se pencha vers lui pour lui souffler une bien meilleure idée. En courant pour prendre le bus qui apparaissait au loin, ils pourraient regagner la chambre de
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Brick Lane en une demi-heure au plus. Mathias la regarda, sourit et se remit en marche.
L’autobus à impériale se rangea devant l’arrêt, Audrey monta sur la plate-forme arrière, Mathias resta sur le trottoir. À son regard, elle comprit et fit un signe au contrôleur pour qu’il n’actionne pas encore le signal du départ. Elle mit un pied sur la chaussée.
– Tu sais, lui confia-t-elle à l’oreille, hier, c’était tout sauf un fiasco.
Mathias ne répondit rien, elle posa une main sur sa joue et caressa ses lèvres.
– Paris n’est qu’à deux heures quarante, dit-elle.
– Rentre, tu grelottes.
Quand l’autobus s’éloigna dans la rue, Mathias agita la main et attendit qu’Audrey ait disparu.
Il retourna s’asseoir sur le banc de la petite place de Westbourne Grove et regarda passer ce couple d’amoureux qui marchait devant lui. En fouillant sa poche, à la recherche des pièces de monnaie qui lui restaient pour rentrer, il trouva un petit bout de papier.
Toi aussi tu m’as manqué toute l’après-midi. Audrey.
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XI
La journée s’achevait. Sophie raccompagna Antoine et les enfants jusqu’à la porte de la maison. Louis aurait voulu qu’elle l’aide à faire ses devoirs, mais elle lui expliqua qu’elle aussi avait des devoirs.
– Tu ne veux pas rester ? insista Antoine.
– Non, je rentre, je suis fatiguée.
– C’était vraiment utile d’ouvrir un dimanche ?
– J’ai pris un peu d’avance sur mon chiffre du mois, je vais pouvoir fermer quelques jours.
– Tu pars en vacances ?
– En week-end.
– Où ça ?
– Je ne sais pas encore, c’est une surprise.
– L’homme aux lettres ?
– Oui, l’homme aux lettres comme tu dis, je vais le rejoindre à Paris et ensuite il m’emmène quelque part.
– Et tu ne sais pas où ? insista Antoine.
– Si je le savais ce ne serait plus une surprise.
– Tu me raconteras en revenant ?
– Peut-être. Je te trouve bien curieux tout à coup.
– Excuse mon indiscrétion, reprit Antoine, après tout, de quoi je me mêle ? Je joue les Cyrano depuis six mois en écrivant des mots d’amour à ta place, je ne vois pas pourquoi cela me donnerait le droit de partager les bonnes nouvelles !… Ah mais au moment où on part en week-end, surtout ne demande rien Antoine, profite juste de mon absence pour remplir ton stylo parce que quand je rentrerai, si je venais à ressentir un manque ou un moment de cafard, je te serais reconnaissante de bien vouloir reprendre la plume et de me pondre une nouvelle lettre qui le fera tomber encore un peu plus amoureux, histoire qu’il m’invite à nouveau à passer un week-end avec lui, dont je ne te dirai rien !
Bras croisés, Sophie dévisageait Antoine.
– Ça y est, tu as fini ?
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Antoine ne répondit pas, il fixait le bout de ses chaussures et l’expression de son visage le faisait ressembler trait pour trait à son fils. Sophie avait du mal à garder son sérieux. Elle l’embrassa sur le front et s’éloigna dans la rue.
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La nuit tombait sur Westbourne Grove. Une jeune femme qui portait un manteau bien trop grand pour elle vint s’asseoir sur le banc devant l’arrêt du bus.
– Vous avez froid ? demanda-t-elle.
– Non, ça va, répondit Mathias.
– Vous n’avez pas l’air dans votre assiette.
– Il y a des dimanches comme ça.
– J’en ai connu beaucoup, dit la jeune femme en se levant.
– Bonsoir, dit Mathias.
– Bonsoir, dit la jeune femme.
Il la salua d’un signe de tête, elle fit de même et grimpa dans l’autobus qui venait d’arriver. Mathias la regarda partir, se demandant où il avait bien pu la rencontrer.
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Après le dîner, les enfants s’étaient endormis sur le canapé, épuisés de leur après-midi au parc. Antoine les avait portés jusque dans leur lit. De retour dans le salon, il profitait d’un moment de calme. Il remarqua le portefeuille de Mathias, oublié dans la coupelle qui servait de vide-poches. Il l’ouvrit et tira lentement sur l’angle d’une photo qui dépassait. Sur ce portrait froissé par les années, Valentine souriait les mains posées sur son ventre rond ; témoignage d’un autre temps. Antoine remit la photo en place.
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Yvonne entra dans la douche et ouvrit le robinet. L’eau ruissela sur son corps.