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À une heure du matin, Audrey recevait l’e-mail suivant : Suis parta en Ecusse avec les enfins, reviendu samedi prochon, impassible de te joindre. Tu me manku teriballement. Matthiew.

Et le lendemain matin, alors qu’Antoine était déjà au volant de la Kangoo, les enfants ceinturés à l’arrière, le standardiste traversa le parking de l’hôtel en courant pour remettre une enveloppe à Mathias.

Mon Matthiew,

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Je m’inquiétais de ne pouvoir te joindre, j’espère que tu fais un beau voyage, j’aime tellement l’Écusse et ses Écussons. Je viendrai te voir bientôt, toi aussi tu me manku… beau cul trop.

Ta Hepburn.

Heureux, il replia la feuille et la rangea dans sa poche.

– Qu’est-ce que c’était ? demanda Antoine.

– Un duplicata de la note d’hôtel.

– C’est moi qui paie la nuit et c’est à toi qu’on donne la facture !

– Tu ne peux pas la passer dans tes frais, moi si ! Et puis arrête de parler et fais attention à la route, si j’en crois la carte, tu dois prendre la prochaine à droite… À

droite j’ai dit, pourquoi tu as pris à gauche ?

– Parce que tu tiens la carte à l’envers, andouille !

*

La voiture remontait vers le nord, direction les Highlands, ils s’arrêteraient dans le ravissant petit village de Speyside, célèbre pour ses distilleries de whiskey, et après le repas de midi, ils iraient tous visiter le fameux château de Cawdor. Emily raconta qu’il était trois fois hanté, d’abord par un ectoplasme mystérieux tout vêtu de soie violette, ensuite par le célèbre John Campbell de Cawdor, et enfin, par la bien triste femme sans mains. En apprenant qui était le troisième habitant des lieux, Antoine enfonça la pédale du frein, la voiture glissa sur plus de cinquante mètres.

– Qu’est-ce qui le prend ?

– Vous faites un choix tout de suite ! On déjeune ou on va voir la femme aux moignons, mais je ne fais pas les deux ! Trop c’est trop !

Les enfants hochèrent la tête, s’abstenant de tout autre commentaire. Décision collégiale fut prise, Antoine était exempté de visite, il les attendrait à l’auberge.

À peine arrivés, Emily et Louis s’échappèrent vers la boutique de souvenirs, laissant Antoine et Mathias seuls à table.

– Ce qui me fascine c’est que l’on dort depuis trois jours dans des endroits plus angoissants les uns que les autres et toi tu as l’air d’y prendre goût ! Ce matin pendant la visite du château tu avais quatre ans d’âge mental, dit Antoine.

– À propos de goût, répondit Mathias en lisant le menu, tu veux prendre le plat du jour ? C’est toujours bien de tester les spécialités locales.

– Ça dépend, c’est quoi ?

– Du haggis.

– Aucune idée de ce que c’est, mais va pour le haggis, dit Antoine à l’hôtesse qui prenait la commande.

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Dix minutes plus tard, elle posa devant lui une panse de brebis farcie et Antoine changea d’avis. Deux œufs au plat feraient l’affaire, il n’avait plus très faim. À la fin du repas, Mathias et les enfants partirent pour leur visite, laissant Antoine.

À la table voisine, un jeune homme et sa compagne parlaient de projets d’avenir. Tendant l’oreille, Antoine comprit que son voisin était architecte comme lui ; seul à table il s’ennuyait à mourir, cela faisait deux bonnes raisons d’engager la conversation.

Antoine se présenta et l’homme lui demanda s’il était bien français comme il avait cru le deviner. Antoine ne devait surtout pas s’offenser, son anglais était parfait, mais ayant vécu lui-même quelques années à Paris, il lui était facile d’identifier ce léger accent.

Antoine adorait les États-Unis et voulut savoir de quelle ville ils venaient, lui aussi avait reconnu leur accent.

Le couple était originaire de la côte Ouest, ils vivaient à San Francisco et prenaient des vacances bien méritées.

– Vous êtes venu en Écosse pour voir les fantômes ? interrogea Antoine.

– Non, pour ça j’ai ce qu’il faut à la maison, il me suffit d’ouvrir les placards, dit le jeune homme en regardant sa compagne.

Elle lui asséna en retour un coup de pied sous la table.

Il s’appelait Arthur, elle Lauren, tous les deux parcouraient l’Europe, suivant presque à la lettre l’itinéraire recommandé par un couple de leurs vieux amis, Georges Pilguez et sa compagne qui étaient revenus enchantés du périple qu’ils avaient l’ait l’an dernier. D’ailleurs au cours de ce voyage, ils s’étaient mariés en Italie.

– Et vous aussi, vous êtes venus ici vous marier ? demanda Antoine piqué par la curiosité.

– Non, pas encore, répondit la ravissante jeune femme.

– Mais nous fêtons un autre heureux événement, reprit son voisin. Lauren est enceinte, nous attendons notre bébé pour la fin de l’été. Il ne faut pas le dire, c’est un secret pour le moment.

– Je ne veux pas qu’on l’apprenne au Mémorial Hospital, Arthur ! dit Lauren.

Elle se tourna vers Antoine et le prit gentiment à partie.

– Je viens d’être titularisée, je préfère éviter que des rumeurs d’absentéisme circulent dans les couloirs. C’est normal, non ?

– Elle a été nommée chef de service l’été dernier et son métier l’obsède un peu, reprit Arthur.

La conversation se prolongea : la jeune médecin avait une repartie sans égal ; Antoine était émerveillé par la complicité qu’elle entretenait avec son compagnon.

Quand ils s’excusèrent – ils avaient de la route à faire – Antoine les félicita tous les deux pour le bébé et leur promit d’être discret. S’il visitait un jour San Francisco, il espérait n’avoir aucune raison de se rendre au Mémorial Hospital.

– Ne jurez de rien, croyez-moi… La vie a beaucoup plus d’imagination que nous !

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En partant, Arthur lui remit sa carte, lui faisant promettre de les appeler s’il venait un jour en Californie.

*

Mathias et les enfants revinrent fous de joie de leur après-midi. Antoine aurait dû les accompagner, le château de Cawdor était magnifique.

– Ça te dirait de découvrir San Francisco l’an prochain ? demanda Antoine en reprenant la route.

– Les hamburgers ce n’est pas mon truc, répondit Mathias.

– Eh ben, le haggis, ce n’est pas le mien et pourtant je suis là.

– Bon, eh bien, alors on verra l’an prochain. Tu ne veux pas rouler un peu plus vite, on se traîne là !

Le lendemain, ils filèrent vers le sud et firent une longue halte sur les rives du Loch Ness. Mathias paria cent livres sterling qu’Antoine ne serait « pas cap » de tremper un pied dans le lac, et il gagna son pari.

Le vendredi matin, les vacances s’achevaient déjà. À l’aéroport d’Édimbourg, Mathias bombarda Audrey de messages. Il en envoya un caché derrière un portant à journaux, deux autres depuis les toilettes où il avait dû retourner chercher un sac oublié au pied du lavabo, un quatrième pendant qu’Antoine passait sous le portique de sécurité, un cinquième dans son dos, en descendant la passerelle qui menait à l’avion, et un dernier pendant qu’Antoine rangeait les blousons des enfants dans les compartiments à bagages. Audrey était heureuse de le savoir de retour, elle avait une folle envie de le voir, elle viendrait bientôt.

Dans l’avion qui les ramenait, Antoine et Mathias se disputèrent – comme à l’aller – pour ne pas s’asseoir près du hublot.

Antoine n’aimait pas être coincé au fond de la rangée, Mathias rappelait qu’il avait le vertige.