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– Personne n’a le vertige en avion, c’est bien connu, tu racontes n’importe quoi, râla Antoine en s’asseyant à la place contre son gré.

– Eh bien, moi quand je regarde le bout de l’aile, si !

– Eh bien, tu n’as qu’à pas le regarder, de toute façon, tu veux m’expliquer l’intérêt de regarder le bout d’une aile ? Tu as peur qu’elle se décroche ?

– J’ai peur de rien du tout ! C’est toi qui as peur que l’aile se décroche, c’est pour ça que tu ne veux pas t’asseoir au hublot. Qui est-ce qui serre les poings quand il y a des turbulences ?

*

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De retour à Londres, Emily résuma parfaitement l’amitié qui liait les deux hommes. Elle confia à son journal intime qu’Antoine et Mathias, c’étaient exactement les mêmes… mais en très différents, et cette fois Louis n’ajouta rien dans la marge.

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XV

Dans le bureau du directeur de l’information, ce vendredi matin, Audrey apprit une nouvelle qui la rendit folle de joie. La rédaction de la chaîne, satisfaite de son travail, avait décidé d’accorder plus d’importance à son sujet. Pour compléter son reportage, elle devrait se rendre dans la ville d’Ashford où une partie de la communauté française s’était installée. Le mieux pour réaliser les interviews serait d’aller à la rencontre des familles, le samedi midi à la sortie des écoles. Audrey en profiterait aussi pour retourner certaines images inutilisables à cause d’une histoire à laquelle le directeur de l’information ne comprenait rien. De toute sa carrière, il n’avait jamais entendu parler d’un « viseur de caméra qui décadrait les plans », mais il fallait bien un début à tout… Un cameraman professionnel la rejoindrait à Londres. Elle avait à peine le temps de rentrer chez elle pour faire sa valise, son train partait dans trois heures.

*

La porte s’était ouverte, mais Mathias n’avait pas jugé bon de quitter son ar-rière-boutique ; à cette heure de la journée, la plupart des clientes qui attendaient l’heure de la sortie de l’école entraient chez lui pour feuilleter les pages d’un magazine et repartaient quelques minutes plus tard sans rien acheter. C’est quand il entendit une voix au timbre légèrement éraillé demander s’il avait le Lagarde et Michard édition XVIIIe qu’il laissa tomber son livre et se précipita dans la librairie.

Ils se regardaient, chacun surpris du bonheur de retrouver l’autre ; pour Mathias la surprise était totale. Il la prit dans ses bras et cette fois ce fut elle qui eut presque le vertige. Pour combien de temps était-elle là ?… – Pourquoi parler déjà de son départ alors qu’elle venait à peine d’arriver ?… – Parce que le temps lui avait paru très long… Quatre jours ici… c’était court… Elle avait la peau douce, il avait envie d’elle… – Elle avait dans la poche de son imperméable la clé de l’appartement de Brick Lane… – Oui, il trouverait un moyen de faire garder sa fille, Antoine s’en occu-perait. – Antoine ?… – Un ami avec qui il était parti en vacances… mais assez parlé !

Il était si heureux de la voir, c’était sa voix à elle qu’il voulait entendre… – Il fallait qu’elle lui avoue quelque chose, elle avait un peu honte… mais d’avoir eu tant de mal à le joindre alors qu’il était en Ecosse… c’était difficile à dire… oh et puis autant l’avouer, elle avait fini par croire qu’il était marié, qu’il lui mentait… tous ces messages qui arrivaient toujours avant le dîner, et puis ensuite les silences des soirées…

elle était désolée, c’était à cause des cicatrices du passé… – Bien sûr qu’il ne lui en voulait pas… au contraire, maintenant tout était clair, c’était bien mieux quand les choses étaient claires. Evidemment qu’Antoine savait pour eux deux, là-bas il n’avait

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pas cessé de parler d’elle… Et il mourait d’envie de la rencontrer… peut-être pas ce week-end, puisque leur temps était compté… il ne voulait être qu’avec elle. – Elle reviendrait en début de soirée, maintenant elle avait rendez-vous à Pimlico avec un cameraman qu’elle emmenait à Ashford. Hélas oui, elle s’absenterait demain, peut-

être aussi dimanche, c’est vrai, ils n’auraient plus que deux jours si on enlevait ceux-là… Il fallait vraiment qu’elle file, elle était déjà en retard. Non, il ne pouvait pas l’accompagner à Ashford, la chaîne avait exigé un cadreur professionnel… Il n’avait aucune raison de faire cette tête, son collègue était marié et attendait un enfant… Il fallait qu’il la laisse partir, elle allait rater son rendez-vous… Elle aussi voulait encore l’embrasser. Elle le retrouverait au bar d’Yvonne… vers huit heures.

*

Audrey monta dans un taxi et Mathias se précipita sur le téléphone. Antoine était en réunion, il suffisait que McKenzie le prévienne de faire dîner les enfants et de ne surtout pas l’attendre. Rien de grave, un ami parisien de passage à Londres lui avait fait la surprise d’entrer dans sa librairie. Sa femme venait de le quitter, elle demandait la garde des enfants. Son copain était au plus mal, il allait s’occuper de lui ce soir. Il avait bien pensé le ramener à la maison mais ce n’était pas une bonne idée…

à cause des enfants. McKenzie était tout à fait d’accord avec Mathias, ç’aurait été une très mauvaise idée ! Il était sincèrement désolé pour l’ami de Mathias, quelle tristesse… Et à propos d’enfants, comment ceux de son ami prenaient-ils la chose ?

– Eh bien, écoutez McKenzie, je vais lui poser la question ce soir et je vous rappelle demain pour tout vous raconter !

McKenzie toussota dans le combiné et promit de transmettre le message. Mathias raccrocha le premier.

*

Audrey arriva en retard à son rendez-vous. Le cameraman écouta ce qu’elle attendait de lui et demanda s’il avait un espoir de pouvoir rentrer le soir même.

Audrey n’avait pas plus envie que lui de dormir à Ashford, mais le travail passerait avant tout. Rendez-vous fut donné pour le lendemain sur le quai de la gare, au départ du premier train.

De retour dans le quartier, elle passa chercher Mathias. Il y avait trois clientes dans sa libraire ; de la rue elle lui indiqua qu’elle l’attendrait chez Yvonne.

Audrey alla s’installer au comptoir.

– Je vous garde une table ? demanda la patronne.

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Audrey ne savait pas si elle dînerait ici. Elle préférait attendre au bar. Elle commanda une boisson. Le restaurant était désert et Yvonne s’approcha pour converser avec elle et tuer l’ennui.

– Vous êtes bien la journaliste qui enquêtez sur nous ? dit Yvonne en se levant.

Vous restez combien de temps, cette fois ?

– Quelques jours seulement.

– Alors, ce week-end, ne ratez surtout pas la grande fête des fleurs de Chelsea, dit Sophie qui venait de s’asseoir à côté d’elle.

L’événement, qui n’avait lieu qu’une fois par an, présentait les créations des plus grands horticulteurs et pépiniéristes du pays. On pouvait y voir et acheter de nouvelles variétés de roses et d’orchidées.

– La vie semble bien douce de ce côté de la Manche, dit Audrey.

– Tout dépend pour qui, répondit Yvonne. Mais je dois avouer que lorsqu’on a fait son trou dans le quartier, on n’a plus vraiment envie d’en sortir.

Yvonne ajouta, au grand bonheur de Sophie, qu’au fil du temps, les gens de Bute Street étaient devenus presque une famille.

– En tout cas, vous avez l’air de former une bien jolie bande d’amis, reprit Audrey en regardant Sophie. Vous vivez tous ici depuis longtemps ?