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– Dis-moi, tu n’as pas oublié pourquoi on est partis en Ecosse quand même ?

– Le week-end prochain, je commence les travaux chez Yvonne.

– Tu travaillais là-dessus ?

– Entre autres !

– Tu me montres ? dit Mathias en ôtant sa veste.

Antoine ouvrit le carton à dessins et étala les planches de perspectives devant son ami. Mathias s’extasia.

– Ça va être formidable ; qu’est-ce qu’elle va être contente !

– Elle peut !

– C’est toujours toi qui paies ses travaux ?

– Je ne veux pas qu’elle le sache, c’est bien clair entre nous ?

– Ça va coûter cher ce projet ?

– Si je ne compte pas les honoraires de l’agence, disons que j’y perdrai la marge de deux autres chantiers.

– Et tu en as les moyens ?

– Non.

– Alors pourquoi fais-tu ça ?

Antoine regarda longuement Mathias.

– C’est bien ce que tu as fait ce soir, remonter le moral d’un ami qui s’est fait larguer par sa femme, alors que tu souffres tant de ta séparation.

Mathias ne répondit rien, il se pencha sur les dessins d’Antoine et regarda une nouvelle fois à quoi ressemblerait bientôt la salle.

– Combien il y a de chaises en tout ? demanda-t-il.

– Autant que de couverts, soixante-seize !

– Et c’est combien la chaise ?

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– Pourquoi ? demanda Antoine.

– Parce que je vais les lui offrir, moi…

– Tu n’irais pas te fumer un bon cigare dans le jardin ? dit Antoine en prenant Mathias par l’épaule.

– Tu as vu l’heure ?

– Tu ne vas pas te mettre à inverser nos répliques, c’est la meilleure de toutes les heures, le jour va se lever, on y va ?

Assis sur le muret, Antoine sortit deux Monte Cristo de sa poche. Il huma les capes avant de les chauffer à la flamme d’une allumette. Quand il estima que le cigare de Mathias était prêt, il le coupa, le lui tendit et s’occupa de préparer le sien.

– C’était qui ton copain en détresse ?

– Un certain David.

– Jamais entendu parler ! répondit Antoine.

– Tu es sûr ? Tu m’étonnes… Je ne t’ai jamais parlé de David ?

– Mathias… tu as du gloss sur les lèvres ! Fous-toi encore de ma gueule et je remonte la cloison.

*

Audrey dormit pendant tout le trajet. En arrivant à Ashford, le cameraman dut la secouer pour la réveiller avant que le train entre en gare. La journée fut sans répit, mais l’entente entre eux très cordiale. Quand il lui demanda d’ôter son écharpe qui le gênait pour faire le point, elle eut une envie folle d’interrompre la prise et de se précipiter sur son portable. Mais la librairie sonnait toujours occupé, Louis avait passé une grande partie de l’après-midi dans l’arrière-boutique, assis devant l’ordinateur. Il échangeait des e-mails avec l’Afrique et Emily lui corrigeait toutes les fautes d’orthographe. C’était pour elle un bon moyen de calmer l’impatience qui la gagnait d’heure en heure, et pour cause…

… Le soir, autour de la table, elle annonça la nouvelle. Sa maman l’avait appelée, elle arriverait tard dans la nuit et logerait à l’hôtel de l’autre côté de Bute Street.

Elle viendrait la chercher demain matin. Ce serait un dimanche génial, elles le passeraient rien que toutes les deux.

À la fin du dîner, Sophie prit Antoine en aparté et lui proposa d’emmener Louis à la fête des fleurs de Chelsea. Son fils avait grandement besoin d’un moment de complicité féminine. Quand son père était là, il se confiait moins. Sophie lisait dans les yeux du petit garçon comme dans un livre ouvert.

Touché, Antoine la remercia. Et puis ça l’arrangeait, il en profiterait pour passer sa journée à l’agence. Il se débarrasserait ainsi du retard accumulé dans son tra-

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vail. Mathias ne disait rien. Après tout, que chacun organise son petit programme en l’oubliant, lui aussi avait le sien !… À condition toutefois qu’Audrey revienne d’Ashford. Son dernier message disait : Au pire, demain en fin d’après-midi.

*

Antoine avait quitté la maison dès l’aube. Bute Street dormait encore quand il entra dans l’agence. Il mit la cafetière en marche, ouvrit en grand les fenêtres de son bureau et se mit à la tâche.

Comme promis, Sophie passa chercher Louis à huit heures. Le petit garçon avait insisté pour porter son blazer et Mathias, encore titubant de sommeil, avait dû s’appliquer à bien faire le nœud de la petite cravate. La fête des fleurs de Chelsea avait ses coutumes et il était d’usage d’y être très élégant. Sophie avait fait rire Emily aux éclats, quand elle était entrée dans le salon avec son grand chapeau.

Dès que Louis et Sophie furent partis, Emily monta se préparer. Elle aussi voulait être jolie. Elle porterait une salopette bleue, des baskets, et son tee-shirt rose ; quand elle était habillée comme ça, sa mère disait toujours qu’elle était mignonne à croquer. On sonnait à la porte, elle voulait encore se coiffer, tant pis, elle ferait attendre sa maman, après tout, elle attendait bien depuis deux mois, elle.

Mathias, cheveux ébouriffés, accueillit Valentine en robe de chambre.

– Sexy ! dit-elle en entrant.

– Je pensais que tu arriverais plus tard.

– J’étais debout à six heures du matin et depuis je tourne en rond dans ma chambre d’hôtel. Emily est réveillée ?

– Elle se met sur son trente et un, mais chut, je ne t’ai rien dit, elle doit se changer pour la dixième fois, tu n’imagines pas dans quel état est la salle de bains.

– Elle a quand même hérité de deux, trois choses de son père cette enfant, dit Valentine en riant. Tu me prépares un café ?

Mathias se dirigea vers la cuisine et passa derrière le comptoir.

– C’est beau chez vous, s’exclama Valentine en regardant tout autour d’elle.

– Antoine a du goût… Pourquoi ris-tu ?

– Parce que c’est ce que tu disais de moi aux amis qui venaient dîner chez nous, dit Valentine en s’asseyant sur un tabouret.

Mathias remplit la tasse et la posa devant Valentine.

– Tu as du sucre ? demanda-t-elle.

– Tu n’en prends pas, répondit Mathias.

Valentine parcourut la cuisine du regard. Sur les étagères chaque chose était en ordre.

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– C’est formidable ce que vous avez construit ensemble.

– Tu te moques ? demanda Mathias en se servant à son tour un café.

– Non, je suis sincèrement impressionnée.

– Je te l’ai dit, Antoine y est pour beaucoup.

– Peut-être, mais ça respire le bonheur ici, et ça c’est toi qui dois y être pour beaucoup.

– Disons que je fais de mon mieux.

– Et rassure-moi, vous vous disputez quand même de temps en temps ?

– Antoine et moi ? Jamais !

– Je t’ai demandé de me rassurer !

– Bon, d’accord, un petit peu tous les jours !

– Tu crois qu’Emily en a encore pour longtemps à se préparer ?

– Que veux-tu que je te dise ?… Elle a quand même hérité de deux ou trois choses de sa mère, cette enfant !

– Tu n’as pas idée de ce qu’elle me manque.

– Si. Elle m’a manqué pendant trois ans.

– Elle est heureuse ?

– Tu le sais très bien, tu lui téléphones tous les jours.

Valentine s’étira en bâillant.

– Tu veux une autre tasse ? demanda Mathias en retournant vers la cafetière électrique.