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Mathias marchait d’un pas pressé dans une allée du parc. Il ouvrit le sachet de la boulangerie, y plongea la main et en sortit un pain aux raisins qu’il croqua à pleines dents. Soudain, il ralentit et son visage changea d’expression. Il se cacha derrière un chêne pour épier la scène devant lui.

Emily et Louis riaient de bon cœur. À quatre pattes sur l’herbe, Sophie cha-touillait l’un, puis l’autre. Elle se redressa pour leur poser une question.

– Une surprise en six lettres ?

– Manège ! s’exclama Louis.

Comme par magie, elle fit apparaître deux tickets dans le creux de sa main.

Elle se releva et invita les enfants à la suivre vers le carrousel.

Louis était à la traîne, il entendit siffler et se retourna. La tête de Mathias dé-

passait du tronc d’un arbre. Il lui fit signe de venir discrètement vers lui.

Louis jeta un rapide coup d’œil aux filles qui marchaient loin devant et courut vers le banc où Mathias l’attendait déjà.

– Qu’est-ce que tu fais là ? demanda le petit garçon.

– Et Sophie, qu’est-ce qu’elle fait là ? répondit Mathias.

– Je peux pas te le dire, c’est secret !

– Dis donc, quand j’ai appris qu’un certain petit garçon avait arraché une écaille du dinosaure au musée, j’ai rien dit !

– Oui mais là c’est pas pareil, le dinosaure il était mort.

– Et pourquoi c’est un secret que Sophie soit là ? insista Mathias.

– Au début, quand tu t’es séparé de Valentine et que tu venais voir Emily en cachette au jardin du Luxembourg, c’était un secret aussi, non ?

– Ah je vois…, murmura Mathias.

– Ben non, tu vois rien du tout ! Depuis que vous vous êtes engueulés avec Sophie on lui manque, et à moi aussi elle me manque.

Le petit garçon se leva d’un bond.

– Bon, faut que j’y aille, ils vont remarquer que je suis pas là.

Louis s’éloigna de quelques pas mais Mathias le rappela aussitôt.

– Notre conversation, c’est secret aussi, d’accord ?

Louis fit oui de la tête et confirma son serment (l’une main posée solennelle-ment sur le cœur. Mathias sourit et lui lança le sachet de viennoiseries.

– Il reste deux pains aux raisins, tu en donneras un à ma fille ?

Le petit garçon regarda Mathias, l’air effondré.

– Et je lui dis quoi à Emily, que ton pain aux raisins a poussé dans un arbre ?

T’es vraiment nul en mensonge mon vieux !

– 191 –

Il lui relança le sachet et repartit en hochant la tête.

*

Le soir, en rentrant à la maison, Mathias trouva Emily et Louis assis devant des dessins animés. Antoine préparait le repas dans la cuisine. Mathias se dirigea vers lui et croisa les bras.

– Je ne comprends pas bien ! dit-il en désignant la télévision allumée. Qu’est-ce que j’avais dit ?

Ébahi, Antoine releva la tête.

– Pas… de… té-lé-vi-sion ! Alors ce que je dis ou rien, c’est pareil ? C’est quand même un comble ! cria-t-il en levant les bras au ciel.

Depuis le canapé, Emily et Louis observaient la scène.

– Je voudrais bien que l’on respecte un peu mon autorité dans cette maison.

Quand je prends une décision au sujet des enfants, j’aimerais que tu m’épaules, c’est un peu facile que ce soit toujours le même qui punisse et l’autre qui récompense !

Antoine, qui n’avait pas quitté Mathias du regard, en arrêta de touiller sa rata-touille.

– C’est une question de cohérence familiale ! conclut Mathias en trempant son doigt dans la casserole et en faisant un clin d’œil à son ami.

Antoine lui asséna un coup sur la main avec la louche.

L’incident clos, tout le monde passa à table. À la fin du dîner, Mathias emmena Emily se coucher.

Allongé à côté d’elle, il lui raconta la plus longue des histoires qu’il connaissait.

Et quand, pour finir, Théodore, le lapin aux pouvoirs magiques, vit dans le ciel l’aigle qui tournait en rond (le pauvre animal avait depuis sa naissance une aile plus courte que l’autre… de quelques plumes), Emily mit son pouce dans sa bouche et se blottit contre son père.

– Tu dors, ma princesse ? chuchota Mathias.

Il se laissa glisser tout doucement sur le côté. Agenouillé près du lit, il caressa les cheveux de sa petite fille et resta un long moment à la regarder dormir.

Emily avait une main posée sur le front, l’autre retenait encore celle de son père. De temps en temps, ses lèvres frémissaient, comme si elle allait dire quelque chose.

– Qu’est-ce que tu lui ressembles, murmura Mathias.

Il posa un baiser sur sa joue, lui dit qu’il l’aimait plus que tout et quitta la chambre sans faire de bruit.

– 192 –

*

Antoine, en pyjama, couché dans son lit, lisait tranquillement. On frappa à sa chambre.

– J’ai oublié de récupérer mon costume chez le teinturier, dit Mathias en passant la tête par l’entrebâillement de la porte.

– J’y suis passé, il est dans ta penderie, répondit Antoine en reprenant le début de sa page.

Mathias s’approcha du lit et s’allongea sur la couverture. Il prit la télécommande et alluma la télévision.

– Il est bon, ton matelas !

– C’est le même que le tien !

Mathias se redressa et tapota l’oreiller pour améliorer son confort.

– Je ne te dérange pas ? demanda Mathias.

– Si !

– Tu vois, après tu te plains qu’on ne se parle jamais.

Antoine lui confisqua la télécommande et éteignit le poste.

– Tu sais, j’ai repensé à ton vertige, ce n’est pas neutre comme problème. Tu as peur de grandir, de te projeter en avant et c’est ça qui te paralyse, y compris dans tes relations avec les autres. Avec ta femme tu avais peur d’être un mari, et parfois, même avec ta fille tu as peur d’être un père. À quand remonte la dernière fois que tu as fait quelque chose pour quelqu’un d’autre que toi ?

Antoine appuya sur l’interrupteur de la lampe de chevet et se retourna. Mathias resta ainsi quelques minutes, silencieux dans l’obscurité ; il finit par se lever et, juste avant de sortir, regarda fixement son ami.

– Alors tu sais quoi ? Conseil pour conseil, j’en ai un qui te concerne, Antoine : laisser entrer quelqu’un dans sa vie, c’est abattre les murs qu’on a construits pour se protéger, pas attendre que l’autre les enfonce !

– Et pourquoi tu me dis ça ? Je ne l’ai pas cassé le mur, peut-être ? cria Antoine.

– Non, c’est moi qui l’ai fait et je ne parlais pas de ça ! C’était quoi la pointure des chaussons dans le magasin de layette ?

Et la porte se referma.

*

– 193 –

Antoine ne dormit pas de la nuit… ou presque. Il ralluma la lumière, ouvrit le tiroir de sa table de chevet, prit une feuille de papier et se mit à écrire. Ce n’est qu’au petit matin que le sommeil l’emporta, quand il eut finit de rédiger sa lettre.

Mathias non plus ne dormit pas de la nuit… ou presque. Lui aussi ralluma la lumière, et comme pour Antoine, ce n’est qu’au petit matin qu’enfin le sommeil l’emporta, quand il eut pris quelques résolutions.

– 194 –

XX

Ce vendredi, Emily et Louis arrivèrent vraiment en retard à l’école. Ils avaient eu beau secouer leurs pères pour les tirer du lit, rien n’y fit. Et pendant qu’ils regardaient des dessins animés (cartables au dos, au cas où quelqu’un aurait eu le culot de leur faire un reproche), Mathias se rasait dans sa salle de bains et Antoine, catastro-phé, appelait McKenzie pour le prévenir qu’il serait à l’agence dans une demi-heure.