Выбрать главу

– Merci pour le sac, dit Mathias.

– Merci à toi, répondit Sophie en le serrant dans ses bras. Ça va aller ? demanda-t-elle.

– Bien sûr, j’ai mon petit ange gardien avec moi.

– Tu reviens quand ?

– Dans quelques jours, je ne sais pas encore.

Mathias prit sa fille par la main et descendit les marches du perron, puis il se retourna pour contempler la façade de la maison. La glycine courait de chaque côté des deux portes d’entrée. Sophie le regardait, il lui sourit, ému.

– Occupe-toi bien de lui, murmura Mathias.

– Tu peux compter sur moi.

Mathias remonta les marches, il souleva Louis et l’embrassa comme un bonbon.

– Et toi, occupe-toi bien de Sophie, tu es l’homme de la maison pendant mon absence.

– Et mon père ? répondit Louis en reposant les pieds à terre.

Mathias lui fit un clin d’œil complice et s’éloigna dans la rue.

*

Antoine entra dans le restaurant désert. Au fond de la salle, un chandelier trô-

nait sur une table revêtue d’une nappe blanche. Le couvert était immaculé, seuls deux verres étaient emplis de vin. Il s’approcha et s’assit sur la chaise qu’occupait Mathias la veille.

– 203 –

– Laissez ça, je vais débarrasser, dit Enya, au pied de l’escalier.

– Je ne vous avais pas entendue.

– Moi si, dit-elle en s’approchant de lui.

– C’était un beau printemps, n’est-ce pas ?

– Avec quelques orages, comme à chaque printemps, dit-elle en regardant la salle vide.

– Je crois que j’entends le camion dans la rue.

Enya regarda par la vitrine.

– J’ai le trac, dit Antoine.

– Yvonne va adorer.

– Vous dites ça pour me rassurer ?

– Non, je vous dis ça parce que hier, après votre départ, elle est repassée regarder tous vos dessins, et croyez-moi, ses yeux riaient comme je ne les avais encore jamais vus le faire.

– Elle n’a fait aucun commentaire ?

– Si, elle a dit : « Tu vois papa, on y est arrivés. » Maintenant, je vais vous faire du café. Allez, bougez de là, il faut que je débarrasse cette table. Ouste !

Et déjà les menuisiers envahissaient le restaurant.

*

Dimanche matin, John avait fait visiter son village à Yvonne. Elle raffolait du lieu. Le long de la rue principale, les façades des maisons étaient toutes de couleurs différentes, roses, bleues, parfois blanches, même violettes, et tous les balcons débordaient de fleurs. Ils déjeunèrent au pub, institution locale. Le soleil brillait dans le ciel du Kent, et le patron les avait installés à l’extérieur. Étrangement, tous les gens du coin devaient avoir des courses à faire ce jour-là, car tous passaient ou repassaient devant la terrasse, saluant John Glover et son amie française.

Ils rentrèrent en coupant à travers champs ; la campagne anglaise était une des plus belles du monde. L’après-midi aussi était belle, John avait du travail dans la serre, Yvonne en profiterait pour faire une sieste dans le jardin. Il l’installa dans une chaise longue, l’embrassa et alla chercher ses outils dans l’appentis.

Les menuisiers avaient tenu leurs promesses. Toutes les boiseries étaient po-sées. Antoine et McKenzie se penchaient chacun à une extrémité du comptoir pour vérifier les ajustements. Ils étaient parfaits, pas une écharde ne dépassait des montants. Les vernis réalisés en atelier avaient été lissés au moins six fois pour obtenir une telle brillance. Avec mille précautions, et sous l’œil vigilant et impitoyable d’Enya, la vieille caisse enregistreuse avait retrouvé sa place. Louis l’astiquait. Dans la salle, les peintres finissaient les impostes qu’ils avaient égrenées et enduites dans la nuit.

– 204 –

Antoine regarda sa montre, il restait à déposer les bâches de protection, nettoyer à grands coups de balai et remettre les nouvelles tables et chaises en place. Les électriciens fixaient déjà les appliques aux murs, Sophie entra, un grand vase dans les bras.

Les corolles des pivoines étaient à peine ouvertes ; demain, quand Yvonne rentrerait, elles seraient parfaites.

*

Au sud de Falmouth, un père faisait découvrir à sa fille les falaises de Cornouailles. Quand il s’approcha du bord pour lui montrer au loin les côtes de France, elle n’en crut pas ses yeux, et elle courut le prendre dans ses bras, lui dire qu’elle était fière de lui. Regagnant la voiture, elle en profita pour lui demander si, maintenant qu’il n’avait plus le vertige, elle pourrait enfin glisser sur les rampes d’escalier sans se faire gronder.

*

Il était bientôt seize heures et tout était achevé. Debout devant la porte, Antoine, Sophie, Louis et Enya regardaient le travail accompli.

– Je n’arrive pas à le croire, dit Sophie en contemplant la salle.

– Moi non plus, répondit Antoine en lui prenant la main.

Sophie se pencha vers Louis pour lui faire une confidence, à lui seul.

– Dans deux secondes ton père va me demander si Yvonne va aimer, chuchota-t-elle à son oreille.

Le téléphone sonnait. Enya décrocha et fit signe à Antoine, l’appel était pour lui.

– C’est elle qui veut savoir si c’est fini, dit-il en se dirigeant vers le comptoir.

Et il se retourna, pour demander à Sophie si elle pensait que la nouvelle salle plairait à Yvonne…

Il prit l’appareil, et l’expression de son visage changea. Au bout du fil, ce n’était pas Yvonne mais John Glover.

*

– 205 –

Elle avait ressenti la douleur au début de l’après-midi. Elle n’avait pas voulu inquiéter John. Il avait tant attendu ce moment. La campagne autour d’elle était irradiée de lumière, les frondaisons des arbres oscillaient lentement sous le vent. Que ces parfums d’été naissant étaient doux. Elle était si fatiguée, la tasse glissait entre ses doigts, pourquoi lutter pour en retenir l’anse, ce n’était que de la porcelaine ; John était dans la serre, il n’entendrait pas de bruit. Elle aimait la façon dont il taillait les rosiers grimpants.

C’est drôle, elle pensait à lui et le voilà au bout de cette allée. Comme il ressemble à son père, il a sa douceur, cette même réserve, une élégance naturelle. Qui est cette petite fille qui le tient par la main ? Ce n’est pas Emily. Elle agite cette écharpe qu’elle portait le jour où il l’avait emmenée sur la grande roue. Elle lui fait signe de venir.

Les rayons du soleil sont chauds, elle les sent sur sa peau. Il ne faut pas avoir peur, elle a dit l’essentiel. Une dernière gorgée de café peut-être ? Le récipient est sur le guéridon, si près et déjà si loin d’elle. Un oiseau passe dans le ciel ; ce soir, il survo-lera la France.

John marchait vers elle, pourvu qu’il aille vers les sous-bois, il vaut mieux être seule.

Sa tête lui pesait trop. Elle la laissa glisser vers son épaule. Il faudrait garder les paupières encore un peu ouvertes, s’imprégner de tout ce qui était la, je voudrais voir les magnolias, me pencher sur les roses ; la lumière s’apaise, le soleil est moins chaud, l’oiseau est parti ; la petite fille me fait signe, mon père me sourit. Dieu que la vie est belle quand elle s’en va… et la tasse roula sur l’herbe.