San-Antonio
Mes hommages à la donzelle
À mes amis BOUVIER,
« qui aiment la manière que je cause français ».
En affectueux hommage.
— Elle prend très mal la chose.
— Présente-lui tout de même mes hommages.
On est galant ou on ne l’est pas. Tout ça, c’est une question d’éducation.
Moi, je le suis.
CHAPITRE I
LE CHAPEAU ÉCRASÉ
Il fait un temps à ne pas mettre un huissier dehors. De la flotte, de la flotte et toujours de la flotte, avec des rafales de vent qui vous plaquent sur la bouille des feuilles mortes toutes visqueuses… Je commence à regretter la Côte d’Azur d’où je reviens. C’est pas que je sois farouchement porté sur le mimosa, mais je trouve vraiment que ce mois de novembre à Pantruche est infumable. Le gars qui s’occupe des grandes eaux, là-haut, fait les choses comme il faut ! Mon imper me colle au lard, et je commence à éternuer, ce qui est mauvais signe.
Pour lutter contre la grippe, je déclenche mon arme secrète d’automne numéro un : le rhum ! Depuis ce matin, je m’en téléphone des jerricans dans la brioche… Nature, en grog, du blanc, du brun… Ma toute dernière trouvaille, c’est mélangé à du sirop d’orange : une main de rhum et un doigt de sirop… L’essayer, c’est l’adopter ! Je consulte mon chrono et je constate qu’il me reste plus d’une heure à tuer avant de me rendre au rencart du grand patron. Si je ne suis pas la moitié d’un concombre, je vais me catapulter dans un ciné.
Dont acte !
Je m’engouffre dans un hall ravagé par le néon, et j’achète à la caisse pour dix balles d’émotions.
À peine répandu dans mon fauteuil, je comprends illico que je suis tombé sur le super naveton de l’année. Sur l’écran, il y a en premier plan une tordue du genre pin-up, qui chiale en caressant un ours en peluche.
Moi, les gonzesses qui chialent me courent sur le système glandulaire. Heureusement, la salle est chauffée. Je pose mon bada sur le fauteuil d’à côté, et je me mets à en écraser. De temps en temps j’ouvre un store, histoire de voir où en est l’exercice lacrymal de la souris. On ne peut pas savoir ce que c’est tartouze, le cinéma, lorsqu’on ne suit un film que par intermittence… Les bruits surtout sont marrants quand on ferme les châsses. On entend des claquements de portes, puis une musique nègre, puis un soupir de chatte en chaleur…
Drôle de méli-mélo, et y a des producteurs assez jojos pour exhiber ces salades au festival de Venise. Et y a des tordus assez tordus pour balanstiquer des Oscars à ces sucreries de pochettes surprises ! Des Oscars ! Un de ces jours, je fonderai le prix Jules ou le prix Eugène, et je le cloquerai à un documentaire quelconque sur les ratons laveurs ou la vie secrète d’un bandage herniaire…
J’en suis là de mes cogitations philosophiques, lorsqu’un gnace vient déposer son pétrousquin sur le fauteuil où j’ai mis sécher mon bitos. Évidemment, je commence à le traiter d’un tas de noms introuvables dans le Larousse. Il se rebiffe. Il m’explique que lorsqu’on a commencé une carrière de galurin sur une tranche comme la mienne, on peut très bien la finir sous une paire de fesses, et il ajoute que si je continue à rouscailler, il va me faire manger ce qui reste de ce sacré chapeau.
Je ne sais pas si vous connaissez mes antécédents, mais il n’y a pas beaucoup de bipèdes qui peuvent se vanter d’avoir parlé de la sorte à San-Antonio. Ceux qui s’y sont hasardés pouvaient, en sortant de mes pognes, passer la tête haute devant leur tailleur, et même lui demander du feu, sans crainte d’être reconnus. J’empoigne mon zigoto par les revers de sa gabardine et, d’un coup sec, je fais glisser le vêtement sur ses épaules. Il se trouve bloqué côté brandillons… Aussitôt, il se calme.
Sur ces entrefaites, le métrage de c…erie s’avère suffisant, la tordue y va de sa dernière larme, tandis que des cloches sonnent à toute volée. La lumière revient. Je regarde mon écraseur de badas, et je pousse une exclamation :
— Ferdinand !
Il est tout pâlot. Il ouvre des cocards grands comme le tunnel de Saint-Cloud et balbutie :
— Monsieur le commissaire…
Je lâche ses revers. Lentement, il fait remonter sa gabardine sur ses épaules.
Ferdinand, c’est un gars du milieu. Pas du tout le genre caïd. Lui, c’est le gagne-petit du crime. Il turbine dans un peu tout, pourvu que ça rapporte et que ça ne mouille pas trop le bonhomme.
— Et alors, je lui dis, tu joues à James Cagney, maintenant ?
La chose me surprend, car c’est pas du tout son genre.
Le cinéma non plus, c’est pas son genre…
Je le regarde. Il a l’air penaud comme un mironton qui rencontrerait sa bourgeoise en sortant du lupanar.
D’un mouvement preste, je palpe ses fouilles, j’en retire une petite trousse de voyage en cuir. Là, il devient verdâtre, le Ferdinand. J’ouvre la trousse, certain à l’avance qu’elle ne contient ni rasoir ni savonnette… En effet, elle renferme un joli nécessaire de cassement. Tout ce qu’il faut pour rire et s’amuser en société lorsque les locataires sont absents. C’est de l’instrument de précision. Une vraie trousse de chirurgien.
— Oh ! dis donc, je lui fais, tu te montes, Ferdi…
À ce moment, l’ouvreuse vient nous proposer des esquimaux.
Je lui assure qu’elle peut les renvoyer en terre Adélie, et je fais signe à Ferdinand de me suivre.
Je ne sais pas si vous êtes développés du côté méninges, mais laissez-moi vous dire que dans mon job, on ne rate pas une occase pareille. C’est comme en amour. Dites-vous toujours, lorsqu’une mousmé vous propose de jouer à la brouette chinoise, que c’est un truc qui ne se représentera peut-être jamais.
Nous voilà dehors. Il flotte toujours. Je guide Ferdinand dans un bistro et, d’autorité, je commande des grogs. Le grog, c’est l’ami de l’homme.
— Fais sissi, Ferdi, ordonné-je.
D’un coup de postère, je le pousse sur la banquette, et je prends place à ses côtés.
— Veux-tu que nous nous racontions une histoire ? je lui demande.
« Une bath histoire ; moi je la commence, et toi, tu la finis…
« Il était une fois un petit futé qui s’appelait Ferdinand et qu’avait trop lu les Pieds Nickelés. Un jour, il décide de faire un fric-frac dans un coin pépère. Seulement, ce Ferdinand-là, c’est un peu le Père Tranquille. Il aime pas les vacances à la grande taule, et il se munit d’un condé. Pour cela, il emploie les moyens classiques : ce sont les meilleurs. Le ciné est un bel alibi lorsqu’on s’y fait remarquer. Alors, il va dans une salle dont il connaît déjà le film et, bien que ce soit l’heure creuse et qu’il n’y ait pas douze pèlerins, il trouve le moyen d’aller s’asseoir sur le bitos d’un mec, alors que huit cents autres fauteuils lui tendent les bras. Ce qu’il cherche, c’est à attirer l’attention sur sa petite tête de pinceau usagé. Une altercation, à ce moment, ne peut passer inaperçue. De cette façon, l’ouvreuse témoignera, le cas échéant, qu’il se trouvait bien au cinéma… »
Je bois une gorgée de grog.
— Continue, toi.
Il hésite.
— Écoutez, m’sieur le commissaire…
— Tu parles que j’écoute !
Il ne se résout pas à claper. Pour l’encourager, je rigole.
— T’es pas vergeot, dis, Ferdi, mettre au point ton petit cirque et venir jouer la scène du gros méchant loup avec ce vieux San-Antonio… Raconte pas ça à tes petits copains, car ils se paieraient tellement ta fiole, que tu serais obligé de déménager.