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Je lui emboîte le pas. La bonniche aussi, nous voilà partis à la queue leu leu dans la maison comme trois bons canards.

— Où pioge Bertrand ? je demande.

— Sur un lit de camp, dans le bureau de monsieur.

— Il est peut-être sorti ?

— Bertrand ne sort jamais le soir !

— Et le boss ?

— Monsieur le professeur ?

— Oui…

— Ce soir, il s’est mis au lit de bonne heure ; il est très fatigué depuis ces derniers temps…

Nous débouchons dans le bureau ; en effet, un petit lit de camp y est dressé. Bertrand fait son dodo dedans. C’est un grand moustachu. Il ronfle comme un Constellation. Je le secoue, mais autant essayer de réveiller un poteau à haute tension !

Je remarque une petite bouteille de gnole sur le traversin.

— Il est schlass, votre Bertrand ! dis-je au larbin.

— Lui ! Non, il boit un peu d’alcool à cause de sa grippe, mais je ne l’ai jamais vu ivre.

Je débouche le flacon et je le porte à mon pif. Je renifle une odeur douceâtre, par-delà celle du marc…

— On l’a drogué, expliqué-je.

« Où se trouve la chambre du professeur ? »

— Par ici ! couine la femme de chambre que l’affolement semble gagner.

Nous courons cette fois. La chambre du professeur est vide. Son lit est défait. Il y a une chaise renversée ; quelques gouttelettes de sang mouchettent l’oreiller.

— Il n’y est pas, remarque le domestique, lequel doit être un costaud de la déduction.

En effet, pour ne pas y être on peut dire qu’il n’y est pas, le fabricant de pétard.

— Il est sorti, murmure la bonne d’une voix incrédule.

— Je crois plutôt qu’on l’a kidnappé, lui dis-je.

Le larbin me regarde avec hébétude.

— Kidnappé ? bave-t-il.

— Un peu, mon neveu !

— Oui, admet-il, ce désordre…

— D’accord, le désordre, mais il y a ça surtout, fais-je.

Du pouce je lui désigne un chouette dentier qui fait trempette dans un verre d’eau.

— Un type qui part en balade n’oublie pas son casse-noisettes.

CHAPITRE VII

LE GARS LE PLUS CULOTTÉ DU MONDE !

Bon, maintenant c’est le professeur Stevens qu’on a embarqué. Lorsque le grand patron va savoir comment se porte mon enquête, il va trouver que je lui suis devenu aussi utile qu’une paire de patins à roulettes à une couleuvre ! Et il n’aura pas tort. En ce qui me concerne, si j’avais un collaborateur aussi tartouze, je lui voterais des crédits pour qu’il aille louer une part de chasse en Sologne.

Bien entendu, les larbins (il s’agit du mari et de l’épouse) ne me filent aucun tuyau valable. Le mardi soir ils vont au ciné, c’est un truc dûment établi. Ce jour-là, la cabane reste sous la surveillance de Bertrand.

— Et la secrétaire ? questionné-je doucement…

— Miss Héléna ?

— Oui.

— Elle est sortie. Du reste, il est rare qu’elle couche ici…

— Quelle genre de fille est-ce ?

Ils hochent la tête. Ce sont des gens aussi futés qu’un kilo de tomates ; Héléna les impressionnait par sa science, son élégance… Mais ils ont l’air de dire qu’entre elle et un prix de vertu il y a une marge aussi grande que l’océan Pacifique. Comme tous les gens de leur condition, ils haïssent les « employés intellectuels » dont Héléna faisait partie.

À grand renfort de verres d’eau froide et de café fort, nous parvenons à réveiller Bertrand. Il bâille tellement grand qu’on aperçoit le fond de son slip.

Je le questionne sur ce qui s’est passé. On dirait qu’il débarque du bateau de pommes.

— Est-ce qu’il comprend le français ? demandé-je au valeton.

— Mais… bien sûr.

— On ne le dirait guère… Hé, Bertrand, vous m’entendez ?

Il finit par pousser un grognement que j’interprète comme une affirmation.

— Vous êtes vous aperçu qu’il se passait quelque chose ?

— Il s’est passé quelque chose ?

Bon, il n’en sait pas plus sur ce qui est arrivé qu’un cafard exilé dans une malle. Non, il n’a rien vu, rien entendu. Il n’a pas trouvé que son marc avait un drôle de goût. Il vient de s’offrir une croisière en plein cirage, ce pauvre ballot.

Je le questionne sur les événements de l’après-midi.

— Il ne s’est rien passé d’insolite ?

— Non, fait-il.

Il ne ment pas. C’est chez lui une impossibilité physique.

Je tique un brin, encore que, depuis quelques heures, j’aie appris à ne m’étonner de rien.

— Comment ! m’exclamé-je, le coffre n’a pas été forcé ?

Il secoue la tête.

— Mais non.

« C’est curieux ce que vous demandez, fait-il après un instant de réflexion, dans l’après-midi un type a sonné pour me dire qu’il avait cru entendre un signal d’alarme. Je suis allé vérifier ; en effet, le circuit était coupé mais ça provenait d’un plomb sauté… »

Ferdinand n’avait donc pas fait son boulot. Pourquoi ? A-t-il eu les jetons à la suite de notre entretien ou bien n’a-t-il pu avoir raison de la serrure à secret ?

Je suis prêt à pencher pour la première version. Des serrures de coffre sont, quoi que vous en pensiez, comme les femmes vertueuses : elles n’ont pas de secrets. Du moins pour les mecs comme Ferdinand…

Enfin, peu importe…

J’entreprends une petite visite générale des lieux.

Exceptée la chambre du professeur, tout est dans un ordre parfait. Dans la piaule d’Héléna je prends mon temps.

Elle est impec, cette chambrette. De la soie, du satin ! J’aime ça, toujours mon âme de poète, quoi !

La penderie est pleine de fringues dignes d’une reine de beauté : des robes de cocktails, des robes de soirées, des tailleurs, des jupes, des corsages, des pulls…

Je referme la penderie, songeur. Je suis songeur parce qu’un fait quelconque a attiré mon subconscient. Un petit fait de rien… Inutile d’essayer de le mettre à jour maintenant ; je me connais, ça me reviendra en ruminant, plus tard.

— Il faut prévenir la police, gémit la bonne.

Je lui réaffirme que, pour l’instant, la police c’est moi et je leur conseille, avant de m’en aller, de préparer des grogs fortement musclés et de les boire en attendant la suite des événements.

Je remonte dans ma bagnole et j’appelle le quartier général. Ça, c’est le mauvais moment ! Va falloir que je déballe le linge sale au patron. Justement, malgré l’heure tardive, il est encore là, le patron. Et s’il est encore là, c’est parce qu’il attend de mes nouvelles.

Je lui bonnis ce conte de ma mère-grand. Je le fais le plus succinctement possible. Quand j’ai achevé, il y a un silence coupé par les grésillements de mon appareil.

Ce silence me pèse sur l’œsophage.

— En somme, résume le chef, depuis notre entrevue de tantôt, nous totalisons deux assassinats et un enlèvement. Et quel enlèvement ! C’est un truc qui va faire du bruit. Le monde entier va en parler ! Nous pouvons, vous et moi, y laisser notre situation ! — Vous devez me prendre pour une drôle d’endive, hein chef ? C’est pas fort de ma part d’arriver trois fois trop tard dans la même soirée…

Il toussote.

— Il a bien fallu que vous preniez contact avec l’affaire…

— Drôle de contact !

Il fredonne brusquement « Les jolis soirs dans les jardins de l’Alhambra » ce qui, de sa part, dénote un signe d’intense nervosité.

San-Antonio, me dit-il.

— Qui ?

— Je vais envoyer du monde rue Gambetta pour tenir les domestiques à l’œil. Nous allons tâcher d’étouffer la disparition de Stevens jusqu’à demain après-midi pour gagner un jour sur la presse. De même, je vais faire enlever discrètement le cadavre d’Héléna à Louveciennes. Je vous laisse carte blanche pour retrouver le professeur.