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Le chef prête l’oreille et se fait repasser plusieurs fois ces passages.

— Ce n’est ni de l’anglais, ni de l’allemand, ni du russe, ni de l’italien…, assure-t-il.

Je le regarde avec admiration. Il parle une flopée de langues ; comme dit l’autre, il est polygone, car il habite Vincennes.

— Il faudra faire auditionner cet enregistrement à Strauss et Bonnet, ordonne-t-il au gars du labo. Ils possèdent à eux deux vingt-trois langues, c’est bien le diable si nous ne pouvons traduire ces mots.

— Je souris…

— Vous savez, chef, ils sont faciles à deviner : vu les conditions au cours desquelles ils ont été prononcés. Sans doute la poulette appelait-elle sa maman…

Bon, poursuivons…

Nous auditionnons la suite. Ce sont des bruits caractéristiques sur lesquels ma pudeur native m’interdit de m’étendre. Puis on entend un heurt répété. Une voix étouffée dit : « Monsieur Maubourg, s’il vous plaît, au téléphone pour une chose urgente. »

Ça, je le comprends, c’est la mère Tapedur qui vient prévenir le don juan.

On entend encore une exclamation étouffée. Le gars à l’air salement emmouscaillé d’être interrompu dans son exercice de main à main.

La voix d’Héléna questionne :

— Qu’est-ce que c’est ?

Le gars répond :

— Hé, je n’en sais rien…

— Quelqu’un savait que nous venions ici ?

— Ben, il faut croire. Pourtant…

Il doit passer des fringues son grimpant, sûrement. Un bruit de pas de porte… Silence… Le gars revient.

— Qu’est-ce que c’était ? demanda Héléna.

— Schwartz !

— Non.

— Si. Nous devons le rejoindre immédiatement là-bas…

— Tout de suite ?

— Oui.

— Qu’est-ce qui ne va pas ?

— Je ne sais pas mais ça doit être grave.

Elle murmure :

— Oh, chéri.

Elle a un léger accent indéfinissable. Elle non plus ne paraît point enchantée de baisser le compteur brusquement. Comment qu’elle préférerait continuer sa balade au septième ciel…

Personnellement, je lui donne d’autant plus raison que je sais comment s’est achevée sa soirée. On lui a tranché le col, à la pauvrette. Faut être un drôle de fumareaud pour se conduire ainsi. D’abord ce sont des choses qui ne se font pas lorsqu’on a pour trois ronds d’éducation.

Ensuite, même si l’on est un tueur assermenté, on ne saccage pas une souris de ce gabarit !

Plus rien à signaler au sujet de l’enregistrement. Le silence retombe.

— Terminé, dis-je au chef. La suite du programme sur la Chaîne nationale…

— Vous y voyez clair dans tout ça ? me demande-t-il.

— Hum… Mettons que j’aperçoive une faible lueur.

— Eh bien, je vous félicite. Pour moi, c’est la bouteille à encre.

Je n’ose pas lui avouer que c’est du kif pour le fameux San-Antonio.

On a sa dignité, n’est-ce pas ?

Nous descendons à son bureau à l’instant précis où l’un de mes collègues, le commissaire Juziers, y arrive.

Le chef lui en serre cinq, moi itou.

— Juziers s’occupe de Louveciennes, fait le boss à mon intention, alors mon bon, quoi de neuf ?

Juziers me regarde.

— Drôle d’affaire, murmure-t-il.

— Je sais… Pourquoi dites-vous cela ? Vous avez vu de quelle façon ces vaches-là ont travaillé la poulette ?

— Je n’ai rien vu, fait-il. Rien, sinon des traces de sang ; il n’y avait plus de cadavre, mon cher.

CHAPITRE IX

C’EST ÇA !

Je renonce à marquer de la surprise, j’en suis au point de saturation. On s’habitue à tout, même aux coups de théâtre ; c’est une des qualités principales de l’être humain.

Maintenant, au point où j’en suis ; je verrais ma concierge danser le french cancan ou une langouste à l’américaine fumer la pipe que je ne bougerais pas un poil de mes sourcils. On a embarqué le cadavre ? O.K…

Le chef sort un nouveau cure-dents d’un petit étui en mica.

— C’est du Grand Guignol, affirme-t-il.

Je me dis que si le Grand Guignol présentait des pièces de cette qualité, il n’y aurait plus un greffier dans les autres théâtres de Paris et même M. Roussin pourrait se chercher une place de repiqueur de betteraves à Saint-Trou…

Le raisonnement est la plus belle conquête de l’homme, après le cheval et le steak pommes-frites ; alors raisonnons.

Il y a sous le ciel de cette nuit étoilée un petit futé avec lequel je voudrais avoir une conversation, c’est le champion des téléphones toutes catégories.

Voilà une crème de nénuphar qui tire les ficelles à sa guise depuis un moment. Et moi, les types qui tirent les ficelles à leur guise, j’ai toujours envie de les faire passer par le trou des lavabos. C’est maladif ! Tout petit déjà j’étais comme ça et quand on jouait à la guerre, c’est moi qui faisais Napoléon.

Le mystérieux téléphoniste ordonne au couple Héléna-Maubourg de cesser ses travaux sur l’insémination et de le rejoindre. Il s’appelle Schwartz, c’est toujours ça de glané. Le rejoindre où ? À Louveciennes ? C’est probable… Mais Schwartz n’y va pas, lui, à Louveciennes, du moins pas tout de suite. Il s’occupe de moi. Il m’envoie sur les lieux du crime. Pendant que j’y vais, on kidnappe le professeur Stevens ; je fonce chez le vieil English, les gars en profitent pour faire disparaître le cadavre d’Héléna. À quoi bon puisque je l’avais vu ?

Conclusion, les types voulaient :

a) Que je sois hors de Paris pendant qu’on embarquait le père-la-torpille ;

b) Que je voie le cadavre ;

c) Qu’on ne le retrouve pas…

Toutes ces choses paradoxales se sont déroulées en moins de deux heures.

On frappe, le chef dit : « Entrez. »

C’est un inspecteur.

— Vous avez, des tuyaux sur la propriété de Louveciennes ? questionne vivement le boss.

— Oui, patron, elle appartient à un nommé Charles Maubourg.

— Hein ?

Ce beuglement, c’est moi qui le pousse.

— Charles Maubourg, monsieur le commissaire, répète docilement l’autre.

— Vous avez son adresse ?

— Il n’a pas d’autre adresse que celle de Louveciennes.

« En tout cas, pas d’autre connue. »

— Mais la maison est délabrée comme un abri-refuge !

Il fait un geste d’impuissance.

— C’est tout ce que j’ai pu découvrir, monsieur le commissaire.

« En pleine nuit, il n’est guère aisé de se rencarder, peut-être demain aurai-je du nouveau… »

— Demain…

Je secoue la tête.

— Ça va merci.

Je m’assieds à califourchon sur une chaise, je mets mon bras sur le dossier et ma tête sur mon bras. S’agit de réfléchir à bout portant.

Le chef ne clape pas mot. Il ronge son cure-dents et l’on entend le petit bruit de l’engin sur ses touches.

Que faire ? Où aller ? Le temps presse… On ne peut, dans cette affaire, procéder comme dans une enquête ordinaire, c’est-à-dire obéir à la logique, procéder aux investigations d’usage. Il faut marcher au pifomètre, jouer le tout pour le tout, sans quoi je suis rétamé… Jamais je ne pourrai obtenir un résultat dans les douze heures qui vont suivre.

À quelle branche me raccrocher ?

Alors le mot « champignon » pousse dans mon caberlot. Il pousse comme… un champignon.