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J’ai été repéré. Ils ont compris que la relève s’opérait, que ça devenait sérieux alors ils ont échafaudé un gros boum destiné à liquider le double d’Héléna qui devait les emmouscailler et à m’entraîner sur une fausse piste pendant qu’ils débarrasseraient le plancher avec les plans, le professeur et tout !

Une autre chose m’a fait tiquer : Héléna était sortie vêtue d’un pull-over jaune-or, plus tard, pendant que je fouillais sa chambre, j’ai déniché dans sa penderie le même pull. Il est rare qu’une femme élégante possède en double certains vêtements… caractéristiques.

Tous ces détails en faisceau m’ouvrent grand l’entendement.

Le rapport des anges gardiens, assurant qu’Héléna a une vie exemplaire, alors que la mère Tapautour jure qu’elle s’envoie en l’air sous son toit plusieurs fois par semaine.

Et surtout la disparition du cadavre de Louveciennes. Il fallait que je sache qu’Héléna était morte, mais ils ne pouvaient abandonner le corps aux docteurs légistes qui auraient établi l’identification.

Il y a également les tifs que j’ai trouvés sur le traversin, dans le studio, et qui m’ont appris que la femme à qui ils appartenaient les teignait…

Je me suis tout de suite dit que lorsqu’on possède des crins de cette couleur cuivrée, on ne les teint pas sans avoir une raison sérieuse.

Et comment qu’elle était sérieuse, la raison…

Je m’aperçois que, pendant le temps de ces déductions, Schwartz et Héléna n’ont pas cessé de me fixer. Ils attendent la réponse.

— Ah ! oui, dis-je, comment j’ai pigé qu’il y avait deux Héléna ?

Je demande à la donzelle.

— Vous parlez le roumain ?

Elle se mort les lèvres.

— Ah ! bien, murmure-t-elle, j’ai compris…

Je regarde par la vitre ; nous avons traversé Paris et nous roulons maintenant dans une banlieue triste et mouillée. J’entends siffler des trains…

Le type qui pilote la bagnole est un gros mec à tronche de sadique allemand. Chaque fois que nos regards se croisent dans le rétroviseur, je ne peux m’empêcher de penser qu’il ferait une bath carrière à Hollywood, pour remplacer Boris Karloff les jours où ce dernier va chez le dentiste…

— Si je ne suis pas trop indiscret… Où allons-nous ?

Pour la première fois, Schwartz perd de sa courtoisie.

— Vous le verrez bien, fait-il sèchement.

Je me renfrogne.

J’essaie de repérer le patelin, mais c’est impossible, car la flotte dégringole plus dru que jamais, et il y a de la buée sur les vitres.

Je toussote. Comme si j’éprouvais le besoin de me comprimer la poitrine, ma main se porte à l’emplacement de mon Lüger.

— Ne cherchez pas, fait doucement Héléna, c’est nous qui l’avons…

Elle a l’œil, cette fille.

La promenade dure près d’une plombe. À l’allure où conduit Boris Karloff, nous devons être loin de Pantruche.

La suite du scénario, je peux l’écrire si vous y tenez. Nous allons stopper dans un petit coin tout ce qu’il y a de peinard, vous voyez d’ici le style ? Un bois ou une carrière abandonnée… Un de ces coins tellement déserts que l’île de Robinson Crusoé ferait, en comparaison, l’effet du Stadium de Chicago le jour d’une rencontre de poids moyens comptant pour le Championnat du Monde.

Schwartz me priera de descendre de la voiture ; je descendrai et son sadique de chauffeur viendra me parler à l’oreille par l’intermédiaire de sa machine à fabriquer de la clientèle pour Borniol…

Un bûcheron, un pêcheur à la ligne, un gamin ou des amoureux découvriront ma carcasse dans quelque temps, du moins ce que les bestioles en auront laissé…

J’aurai un bel enterrement. On me cloquera des discours, des larmes en bronze et du chrysanthème… Peut-être même qu’il y aura les grandes orgues. Amour, délice et orgue…

Bon, la voiture s’arrête. Schwartz et son épouvantail se manient le prose pour descendre. Ils parviennent à ma portière en même temps.

— Descendez ! ordonna Schwartz.

J’obéis. L’endroit est en effet terriblement désert, mais ce n’est pas un bois. Il s’agit au contraire d’un champ immense et plat.

— Venez !

Ils m’encadrent et je me mets en marche. Mes jambes ne sont pas encore très fortes, pourtant je fais bonne figure, car je ne voudrais pas que mes copains supposent une seconde que j’aie les chocottes. Je m’attends à recevoir mon petit contingentement d’acier dans la théière… Rien ne se produit…

Nous parcourons une centaine de mètres.

J’aperçois soudain une petite cabane en planches sur la droite.

« Bon, pensé-je, ça va être là… »

Nous nous dirigeons vers la cabane. Je constate qu’un mince rai de lumière filtre à travers les planches. Il y a quelqu’un à l’intérieur…

Nous entrons.

Une lampe à acétylène est accrochée au plafond, le courant d’air la fait remuer, ce qui met en branle des masses d’ombres.

Pour tout le mobilier, il y a un tronc d’arbre. Sur ce tronc d’arbre, un bonhomme est assis.

Je le reconnais. J’ai un haut-le-corps, mais comme je sais dominer mes sentiments, je lui dis avec mon sourire le plus merveilleux :

— Bonjour, monsieur le professeur…

CHAPITRE XIII

IL EST ENCORE QUESTION DE MON CHAPEAU !

Stevens est un vieillard voûté, je vous l’ai déjà dit, qui ressemble à Léon Blum. Comme le défunt leader socialiste, il a le visage allongé, une moustache en jet d’arroseuse municipale, des lunettes et un bada à larges bords.

Il me contemple d’un air distrait, et il demande à ceux qui m’escortent :

— Qui est cet homme ?

— Commissaire San-Antonio, monsieur le professeur.

Il attend une explication, et Schwartz s’empresse de la lui donner.

— C’est le policier chargé de… notre affaire. Il est allé un peu trop vite, je ne sais si vous avez entendu parler de lui, mais c’est le numéro un des services secrets français…

— Vous allez me faire rougir, lui dis-je.

— Alors, explique Schwartz, j’ai cru bon de m’assurer de sa personne…

Stevens approuve d’un mouvement de tête.

— Dites donc, prof, fais-je tout à coup, vous m’avez l’air de jouer un drôle de jeu…

Il ne répond pas. Posément, il ôte ses lunettes et en essuie les verres.

— Il y a longtemps que vous vous occupez de nous ? demande-t-il.

Sa voix est douce. Il a un accent britannique assez marqué.

— Depuis quatre heures de l’après-midi, monsieur Stevens.

— Et vous avez parcouru déjà tout ce chemin ?

— Ben… Vous voyez…

— En somme, si vous aviez à rédiger un rapport, quel en serait le résumé ?

Il y a un silence. Je contemple tour à tour chacun des assistants : le professeur d’abord, calme et un peu indifférent, puis Héléna, méfiante et féline, puis Schwartz avec son air presque loyal, et enfin Boris Karloff, aux yeux injectés de sang.

— Le résumé de mon rapport, lady and gentlemen ? Le voici : le professeur Stevens, qui travaille avec nos savants, est allié à une puissance étrangère. Au fur et à mesure de leur réalisation, ses travaux sont transmis à cette puissance par radio. C’est sa dévouée secrétaire, miss Héléna, qui se charge de cette transmission. Mais les services de détection radio découvrent la « fuite ». La chose est signalée au professeur. On lui pose une foule de questions. Il sent que la dévouée secrétaire est « brûlée ». Il faut, pour la sauver, amorcer une autre piste afin d’égarer les enquêteurs. On organise donc un cambriolage… Mais ça n’est pas suffisant ; Héléna a deux flics au panier qui paralysent son activité.