Il ne peut s’empêcher de sourire.
— Allons, je lui fais, accouche, frisé. C’était quoi comme turf ?
Il hausse les épaulés.
— Si je vous le dis, monsieur le commissaire, vous ne me croirez pas…
— Vas-y toujours… C’est pas une histoire de Père Noël ?
— Presque…
Il vide son verre afin de se donner du cran.
— V’là, commence-t-il. L’autre jour, je reçois un coup de fil d’une souris. Elle me fait une proposition.
« Je palpe un gentil pacson pour ouvrir un coffre…
« Je passe sur les salades qu’elle me raconte. Elle est tuyautée sur ma petite vie aussi bien que moi, j’en suis soufflé… Elle connaît sur moi des trucs… Hum… intimes, et me menace de les révéler aux flics… Pardon, à la police, si je ne marche pas… Du reste, mon job est simple : je force le coffre et c’est tout. Elle me dit que je ne dois absolument rien prendre de ce qu’il contient et que, du reste, il ne renferme pas de blé ni de valeurs. Je l’ouvre et je me taille, c’est marre. Elle m’indique l’emplacement exact, c’est dans le burlingue d’un vieux prof… Il y a un dispositif d’alarme par cellule photo-électrique, mais elle me rencarde sur le coupe-circuit. J’ai l’heure où la crèche est vide et où le gardien bricole dans sa loge. Du tout cuit… Le lendemain, je reçois un « à valoir » sur le montant de mes émoluments. Tout est recta… Il ne reste plus qu’à se mettre au tapin… »
Il se tait. Je réfléchis… Le garçon rince ses verres derrière le bar… Le silence se prolonge… On entendrait penser un gendarme.
— Bon, je murmure, ton truc m’a l’air bizarre, c’est pas ton avis ?
— Si. Je voulais pas marcher, mais la gonzesse est vachement persuasive… Et puis, c’était correct comme frais de déplacement. Enfin, vous savez ce que c’est ? Les temps deviennent durs.
« Je me suis dit que, du moment qu’il n’y avait rien à piquer, je pouvais risquer le paquet… »
— Et t’as pris tes précautions… Enfin, tu as du moins essayé… C’est pour quelle heure ton cassement à la noix ?
— Quatre heures.
Je bigle ma tocante ; elle indique trois heures…
— Tu as le temps.
Pour le coup, il paraît sidéré, Ferdinand.
— Vous… vous voudriez que j’y aille ? il demande.
— Pourquoi pas ? T’es ciglé pour, non ?
— Mais…
Je me fous dans une rogne noire.
— Écoute, fesse de rat, y en a classe de tes simagrées, tu vas faire ce que je te dis sans rouscailler, ou sinon, je t’envoie au mitard… Des motifs, j’en trouverai, fais-moi confiance, et ils seront suffisants pour que tu restes à l’ombre jusqu’à ce que tu sois devenu aussi blanc qu’une endive. Tu saisis ?
Il fait « oui » de la tête.
— Parfait. Quelle est l’adresse de ton coffre à décapsuler ?
— Rue Gambetta, à Boulogne-Billancourt, au 64…
— Ça joue…
Je pose la trousse devant son verre vide.
— À un de ces quatre, tu perches toujours rue des Abbesses ?
— Toujours…
— Vaudrait mieux que tu n’essaies pas de décamper…
— Pas de danger, m’sieur le commissaire.
— Je te laisse les consos, ça fera pour mon bitos écrabouillé.
Je me trisse, l’abandonnant en tête à tête avec son ahurissement.
CHAPITRE II
ENCORE DU CINÉMA
— Bonjour, San-Antonio, fait le Vieux en me proposant sa peluche d’aristo, vous vous sentez en bonne condition physique ?
— Et comment ! je lui réponds. Cette enquête sur la Côte m’a pour ainsi dire rénové. Vous avez un boulot intéressant à me confier ?
Il lisse son front somptueux, ce qui met en valeur ses boutons de manchette en jonc véritable.
— J’ai en effet un travail pour vous. Un travail… délicat, mais je ne puis vous dire s’il est intéressant ou non…
« Avez-vous entendu parler du major Stevens ? »
— N’est-ce pas ce savant english qui bosse avec nos champions de l’atome au sujet d’une fusée à la noix ?
Il se fend la cerise.
— C’est à peu près cela. Il s’agit d’un homme remarquable, vous savez.
— Bon, et alors ?
— Alors, il se trouve que nos services de détection ont capté dernièrement un message chiffré. Les gars du chiffre ont réussi à mettre ce message en clair, il s’agissait d’une formule concernant la fameuse fusée Stevens ; le professeur ne comprend absolument pas comment la fuite a pu se produire. Il était le seul à connaître cette formule, laquelle était enfermée dans son coffre auquel personne ne peut avoir accès… Le coffre n’a pas été forcé… Bref, le mystère est total.
— Du personnel ?
— Des domestiques, triés sur le volet et parfaitement insignifiants.
Le grand patron me regarde avec insistance :
— Et puis… une secrétaire : le bras droit du patron, il a en elle une confiance absolue.
— Elle connaissait la formule ?
— Non. Du moins, c’est lui qui le dit.
— Si bien que vous songez à cette fille ?
— Plutôt qu’à tout autre, oui. Et j’aimerais que vous vous occupiez d’elle. J’ai attaché deux anges gardiens à ses semelles, leur rapport est rigoureusement négatif. La fille est irréprochable… Sa vie est réglée comme du papier à musique.
— Hum, je vois. C’est ce genre de fille qui travaille vingt heures sur vingt-quatre et qui se lève la nuit pour passer l’aspirateur, non ?
Le patron secoue la tête :
— Pas exactement. Ne croyez point qu’il s’agisse d’une vieille fille revêche et laborieuse. C’est une personne up to date extrêmement cultivée et compétente. Stevens dit qu’il ne saurait se passer d’elle.
— Je vois…
Je regarde le boss.
— D’où vient que vos soupçons se soient portés sur elle ?
Il recommence ses effets de manchettes, et ses boutons en gold projettent un rayon de lumière dans mes châsses.
— Cette formule n’avait pas quitté son coffre. Le professeur assure que le coffre n’a pas été ouvert ; par conséquent, je ne vois guère qu’un familier — non seulement de Stevens, mais aussi de ses travaux — pour s’approprier la formule.
— Vous avez fait examiner ce coffre ?
— Non. Nous ne nous sommes pas manifestés. J’ai demandé au professeur de garder sur cette affaire le secret le plus absolu. En débarquant chez lui, les photographes et les gens du labo en tête, nous risquions d’effaroucher le voleur de formules…, tout au moins de le mettre sur ses gardes. L’affaire me paraît sérieuse. Je me suis contenté de faire surveiller Héléna Cavarès, discrètement…
— Héléna, c’est le nom de la secrétaire ?
— Oui. Je vous attendais pour vous confier cette enquête.
— Merci !
Il se lève.
— Venez !
Il m’entraîne dans une petite pièce sans fenêtre, que je connais bien : c’est la salle de projection. Je prends place dans un fauteuil, et il déclenche l’appareil après avoir éteint la lumière.
Décidément, je me paie du ciné, aujourd’hui. Tout d’abord, l’écran est traversé de zigzags sombres, puis ce sont des écheveaux d’ombres, enfin ça se tasse, et je découvre un trottoir avec des gens qui vont et viennent.
— Nous avons filmé Héléna Cavarès à son insu, fait le patron. De cette façon, vous allez pouvoir prendre un premier contact avec elle. Tenez ! s’écrie-t-il, la voici !
Je suis obligé de me cramponner à la rampe pour ne pas m’écrouler. La fille que je vois déambuler sur le petit écran est ce qu’il y a de plus sensationnel sur cette planète en fait de beauté. À côté d’elle, la plus photogénique des stars hollywoodiennes ressemble à une marchande de crevettes. Elle est de taille moyenne, et son corps est littéralement sensationnel. Elle a son taf de rondeurs. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais je trouve que la rondeur est à la femme ce que le papier bleu est à l’huissier. Elle est munie en flotteurs. Quant à son minois, parlons-en ! Des cheveux noirs roulés en demi-couronne, des pommettes délicates, des yeux de biche…