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Heureusement, j’ai un tout petit peu plus de réflexe qu’un pâté en croûte. Je soulève mon jerrican et je l’abats sur le dôme du père Stevens. Ça fait un drôle de bruit, assez semblable à celui que produisent les tampons de deux wagons de chemin de fer qui se rencontrent. Pour la seconde fois de la nuit, le vieillard s’écroule. Le pilote plonge la main dans la poche de sa combinaison, dans l’une de ses poches, devrais-je dire, car ces survêtements d’aviateur en comportent autant que les paupières de Roger Lanzac. Je lève mon démonte-pneu et je lui balanstique en pleine poire. Il titube et recule. Ce zèbre-là doit avoir la tronche en béton armé. J’attrape le rebord de la carlingue et je fais un rétablissement. Me voici dans l’appareil. Le jeu consiste à empêcher le pilote de sortir une arme. Il a sa main glissée dans une poche lorsque je lui mets un coup de savate à la pointe du menton. Une nouvelle fois je crois le sonner, mais une nouvelle fois je constate qu’il est tout juste ébranlé. Sa daronne a dû se gaver de calcium lorsqu’elle l’attendait. Il m’est déjà arrivé de trouver des encaisseurs de ce gabarit. Ce sont des types qu’un tank de vingt tonnes ne parviendrait pas à renverser. Pour l’avoir à la châtaigne, il faut se lever de bonne heure et s’associer avec un marteau-pilon. Un grand frisson me court dans le dos. Dans un avion de tourisme, on est moins à son aise que dans le hall de la gare Saint-Lazare. Mon seul salut, c’est la fuite. Je saute de l’avion et très vite, j’en rabats la porte. Puis je vais m’accroupir sous une des ailes. Je m’attends à ce que mon adversaire ouvre sa lourde et se lance à ma poursuite, mais pas du tout. Rien ne se produit pendant quelques minutes. Peut-être cherche-t-il un projecteur pour me cavaler au panier ?

J’attends. Et alors je suis sidéré, en découvrant que ce mec refuse le combat et ne songe qu’à filer. Il lance son moteur. Le moteur a des ratés.

Alors une pensée extravagante me vient. Vous devez commencer à savoir que l’extravagance est mon violon d’Ingres.

En rampant, afin de parer une ruse éventuelle de l’aviateur, je vais récupérer mon bidon d’essence. Je le débouche, j’en asperge le fuselage de l’avion et je frotte mon briquet.

Il se produit une espèce de plouff ! Et de belles flammes drues et joyeuses s’élèvent, embrasant la nuit. Sur ces entrefaites l’avion décolle. Il part sur le terrain. L’air avive le foyer. Puis il quitte le sol et je regarde s’élever dans la grande nuit de velours la plus belle torche enflammée dont on puisse rêver. Je ne sais pas si c’est la réaction, mais je me marre. Je me marre comme je ne me suis jamais marré. Je suis plié en deux par l’hilarité, je pleure, je suffoque, je trépigne et puis… Et puis je m’arrête pile. J’ai la chique coupée. En examinant le père Stevens, toujours allongé, je découvre que sa petite valise aux plans a disparu.

- :-

Un instant, je me demande si je rêve. Je m’agenouille et, à la lumière de mon briquet, j’examine le savant. Il n’inventera plus de torpille à réaction, jamais. Le jerrican que je lui ai assené sur le but l’a rectifié pour toujours. Sans doute avait-il, contrairement à l’aviateur, le crâne décalcifié. Pourtant… Car il y a un pourtant. Et un drôle !

Moi, je ne l’ai frappé qu’une fois et sur le sommet du crâne, pas d’erreur sur ce point… Or, Stevens a le nez écrasé. Je regarde autour du corps et je découvre un gros caillou ensanglanté.

Bon, j’ai pigé. Quelqu’un s’est amené pendant que je m’expliquais dans l’avion avec l’avaleur de flammes. Ce quelqu’un lui a refilé la dose maximum et a fauché la précieuse valtouse…

Bref, je suis marron !

CHAPITRE XVI

UN PETIT CADEAU

Les coudes au corps, je fonce vers le coin du terrain où j’ai laissé la voiture. Mais le terrain est désert. Je découvre les traces de pneus dans l’herbe humide. Bon, Héléna a pu se dépêtrer de ma ceinture. Elle est venue du côté de l’avion et c’est elle qui a liquidé le vieux et embarqué les plans.

Je fais un ramdam épouvantable. Pendant cinq minutes je déballe mon stock d’imprécations. Il est copieux et varié. Il est justifié aussi ; enfin, je vous le demande, à quoi cela ressemble-t-il de se laisser fabriquer par une donzelle après qu’on vient de réussir un coup pareil ?

Je lève le nez. Au fin fond de l’horizon, un trait de feu zigzague. Demain, j’apprendrai par la presse le lieu où est tombé l’avion. La nuit commence à s’éclaircir. Sans charre, je crois qu’elle aura été l’une des mieux remplies de ma p… d’existence.

Je vais remoucher du côté de la cabane, histoire de prendre des nouvelles des amis. La carcasse de Schwartz barre le sentier. Le patron du « Champignon » a pris la bagnole comme cataplasme, tout à l’heure, et l’une des roues lui a écrasé la bouille. Quant à Boris Karloff, s’il n’est pas mort, c’est parce qu’il a pris beaucoup d’huile de foie de morue lorsqu’il était petit. La balle perdue de tout à l’heure s’est logée dans sa poitrine et il est dans le coma. Je comprends tout de suite que je ne peux rien pour lui ; personne ne peut plus rien pour lui, excepté le menuisier qui lui fera un pardessus en planches avec de belles poignées en métal argenté.

Je me dis que deux cadavres et demi ne sont pas des relations convenables pour un homme de mon âge et qu’il est temps de quitter cette lande macabre. Je relève le col de mon pardessus, car le froid de l’aube se fait durement sentir.

- :-

Une heure plus tard, grâce à l’obligeance d’un maraîcher, je suis dans le bureau du chef. Celui-ci a le visage bouffi de sommeil.

— Dieu soit loué ! s’écrie-t-il en m’apercevant ; je commençais à désespérer.

Je lui raconte la suite des événements. Il ponctue mon récit de petits hochements de tête.

— Vous êtes inouï ! conclut-il.

— Peut-être, admets-je, mais je suis également refait… Ce qui nous intéresse avant tout, ce sont les plans, or ceux-ci se sont envolés…

— Façon de parler, sourit le boss ; justement ils ne se sont pas envolés, grâce à vous, et nous avons l’espoir de remettre la main dessus. N’oubliez pas que nous avons des photographies d’Héléna ; je vais mettre toutes les polices sur sa piste, il faut qu’avant ce soir nous l’ayons retrouvée.

Je loue ces belles intentions.

— Que dites-vous du professeur Stevens, chef ?

Il se gratte le blair.

— Je ne sais pas. Je vais convoquer d’urgence ses collègues français chez le ministre de l’Intérieur ; certainement que l’ambassadeur britannique assistera à la conférence. C’est une affaire qui peut avoir sur le plan diplomatique d’énormes répercussions.Il semble soucieux. Je suis trop las, trop épuisé, pour compatir à ses tracas. Je me lève.

— Que pensez-vous faire ? me demande-t-il.

Alors là, j’explose.

— Écoutez, chef, j’ai passé une nuit complète à buter des gens et à recevoir des balles et des gnons. J’ai une sérieuse éraflure au mollet et il reste dans mes poumons assez de gaz d’éclairage pour faire fonctionner une douzaine de réverbères pendant trois mois. Vous ne pensez pas qu’étant donné le fait que je ne suis pas le bonhomme en bois des Galeries Barbès, j’ai besoin de me rebecqueter un peu ?